LE DESTIN D’UN HOMME & ILS ONT COMBATTU POUR LA PATRIE
Судьба человека / Они сражались за Родину – Russie – 1959/1975
Support : Bluray & DVD
Genre : Guerre
Réalisateur : Sergeï Bondarchuk
Acteurs : Sergeï Bondarchuk, Pavel Boriskin, Zinaïda Kirienko, Vasily Shukshin, Vyacheslav Tikonov, Georgiy Burkov, …
Musique : Venyamin Basner, Vadim Yusov
Durée : 101 min / 157 min
Image : 1.37:1, 16/9ème
Son : Français & Russe 2.0 Mono DTS-HD
S-T : Français
Editeur : Rimini Editions
Date de sortie : 18 janvier 2023
LE PITCH
Accompagné d’un orphelin qu’il a adopté, un ancien combattant raconte sa vie brisée par la Seconde Guerre Mondiale / 1942. Alors que l’armée allemande avance sur Stalingrad, un régiment russe tente de défendre sa retraite en essuyant des bombardements violents…
Pour la mère patrie
Hasard de la programmation (ou pas), Rimini inaugure une nouvelle collection dédiée au cinéma russe. Si la parution du Destin d’un homme et d’Ils ont combattu pour la patrie offrent en premier lieu l’opportunité de redécouvrir l’immense cinéaste que fut Sergeï Bondarchuk dans des conditions idéales (via des copies restaurées), ces deux adaptations des écrits de Mikhail Cholokhov permettent surtout une meilleure compréhension de la construction de l’imaginaire soviétique autour de la Grande Guerre Patriotique qui opposa les armées de Staline à celles d’Hitler. Une leçon d’humanisme, d’Histoire, de patriotisme et, in fine, de propagande.
Né le 15 septembre 1920 à Bilozerka, une commune de l’oblast de Kherson (autrefois l’Union Soviétique avant d’être intégré à l’Ukraine actuelle), Sergeï Bondarchuk trouve très jeune sa voie dans le théâtre amateur. Comédien de formation, il est appelé à combattre dès le début de la Seconde Guerre Mondiale. S’il fait l’expérience du front et de combats terribles, il se produit également pour l’Armée Rouge sur une scène à Grozny. De retour du front, Bondarchuk s’oriente vers le cinéma. D’abord en tant qu’acteur, rencontrant la gloire dans le film d’Igor Savtchenko, Taras Chevtchenko, en 1951. Mais la réalisation le démange, bien qu’il n’y connaisse pas grand chose. Profitant de la période du Dégel qui s’ouvre avec la « déstalinisation » et l’arrivé au pouvoir de Nikita Khrouchtchev, il obtient de pouvoir mettre en scène une adaptation à gros budget de la nouvelle Le destin d’un homme de l’écrivain Mikhail Cholokhov.
Ce premier film laisse à Bondarchuk le soin de raconter la guerre telle qu’il l’a vécu et ressenti, bien loin du mythe de l’invincibilité du soldat russe tel que la propagande stalinienne l’avait imposé. Puisant son inspiration dans son expérience personnelle mais aussi dans le cinéma de Sergeï Eisenstein et de David Lean, Sergeï Bondarchuk livre une fresque romanesque à la maîtrise flamboyante et un mélodrame estomaquant. Véritable homme-orchestre, Bondarchuk réalise et interprète le premier rôle, mêlant l’intime et le grand spectacle. Au travers de l’odyssée douloureuse et tragique d’Andreï Sokolov, le soldat auquel il prête ses traits pour un récit s’étalant sur plus de deux décennies, il réinvente le courage russe, amplifiant la notion de sacrifice pour mieux mettre en valeur la résilience de tout un peuple qui, malgré les pertes et les épreuves, se relève toujours. De nobles intentions qui se perdent toutefois dans un final un brin manipulateur où le mensonge (et donc la propagande) est justifié par un discours au patriotisme forcé. Admirable dans son approche inédite – pour l’époque – de la Seconde Guerre Mondiale (la défaite et l’Holocauste n’avait jamais été ainsi abordés auparavant), Le destin d’un homme retombe un peu maladroitement sur ses pattes en embrassant la dialectique d’un tract approuvé par le Politburo et célébré par un immense succès public.
à l’est rien de nouveau
Lorsqu’il retrouve Mikhail Cholokhov et le souvenir de la Grande Guerre Patriotique au mi-temps des années 70, Sergeï Bondarchuk n’a plus tout à fait le même statut. L’élève a dépassé ses maîtres et le faste de son adaptation pharaonique de Guerre et Paix de Tolstoï ainsi que les ambitions démesurées de sa reconstitution de la bataille de Waterloo dans la superproduction du même nom (jusqu’à 20000 figurants devant sa caméra – un record!) ont fait du bonhomme un cador du cinéma à proportions épiques. Logique, au vu de sa réputation, que le ministère de la Défense lui passe la commande d’une grosse production pour fêter en grandes pompes les trente ans de la victoire de l’U.R.S.S. sur l’Allemagne Nazie en 1945. Et pourtant, le cinéaste doit ruser pour mettre en boîte Ils ont combattu pour la patrie. Avec Brejnev au pouvoir, la Guerre Froide a pris un nouveau tournant et Bondarchuk est conscient qu’il ne peut pas se permettre de mettre en boîte un film aussi audacieux dans son approche que l’avait été Le destin d’un homme. Tout en gardant dans sa manche l’atout d’un épilogue faisant l’apologie de l’Armée Rouge en marche vers sa victoire à Stalingrad avec un général déposant un baiser fiévreux sur le drapeau soviétique, Sergeï Bondarchuk entend pousser le réalisme de la guerre toujours plus loin. Mentant à ses commanditaires sur le scénario qu’il est en train de mettre en images, il s’intéresse à la déroute d’une bande de trouffions repoussant tant bien que mal les assauts répétés de la terrible machine de guerre allemande au travers de séquences à la fois spectaculaires et traumatisantes. La pyrotechnie employée à l’écran est à ce point cauchemardesque que l’on viendrait presque à ressentir physiquement l’intensité des combats. Mais il n’y a pas que les grandes manœuvres dans la vie et Bondarchuk s’attarde tout autant sur le quotidien des soldats, parfois conspués par la population des villages qu’ils traversent parce que l’offensive n’est pas encore à l’ordre du jour. Le cinéaste soigne ces petits moments en se reposant sur un casting épatant dominé par le très charismatique Vasily Shukshin, sosie de Vladimir Poutine (!) et d’Aaron Eckhart (!!), décédé subitement à la fin du tournage.
Pas forcément emballés par le résultat final, les producteurs d’Ils ont combattu pour la patrie réserveront le film pour Cannes par défaut mais seront pourtant rassurés par un nouveau succès en salles, le public russe ayant vraisemblablement compris que l’héroïsme ne réside pas dans une victoire à l’écran mais dans la résistance presque surhumaine de combattants tout à fait ordinaires. De là à croire que l’insaisissable âme russe se complaît dans un certain masochisme, il n’y a qu’un pas que nous n’oserons pas franchir.
Image
Loin d’être parfaite, la restauration proposée par le studio russe historique Mosfilms conserve une image pour le moins rugueuse. Le noir et blanc du Destin d’un homme, propre, joliment défini et marqué par des contrastes plutôt convaincants n’en diffuse pas moins par intermittence un étrange bruit vidéo que la compression tente de masquer. Dans le cas d’Ils ont combattu pour la patrie, il faudra passer outre quelques défauts de pellicule et un voile terne qui ne plie bagages que pour le dernier tiers. Rien de rédhibitoire dans l’ensemble mais on pouvait s’attendre à un tout petit peu mieux. La difficulté de collaborer avec un studio russe au vu de l’actualité explique sans doute ces réserves (il faudrait demander à l’éditeur pour en avoir le cœur net) et pousse à l’indulgence. Il s’agit d’œuvres rares, inédites en haute-définition et le travail de Rimini, appliqué, mérite néanmoins moult louanges.
Son
La présence des versions françaises (incomplète dans le cas d’Ils ont combattu pour la patrie avec des retours aux dialogues russes) est un vrai plus avec des doublages réussis. Les versions originales, forcément plus authentiques, sont à privilégier. La clarté des dialogues et de certaines ambiances l’emportent sur une quelconque ampleur et un souffle léger pointe encore le bout de son nez.
Interactivité
Le packaging des digipacks proposent des visuels qui insistent avec élégance sur la nature de films de patrimoine. Pas de livrets mais des interventions passionnantes et spécialement réalisées pour l’occasion de Joël Chapron, spécialiste du cinoche caviar et vodka, replacent les œuvres dans leur contexte historique et fournissent une avalanche d’informations précieuses. D’aucuns trouveront le tout un peu court mais la densité du propos est indiscutable.
Liste des bonus
Le destin d’un homme : « Le destin d’un réalisateur » : entretien avec Joêl Chapron (22 minutes) / Ils ont combattu pour la patrie : « Le destin d’un film » (11 min) et « Le cinéma de Sergeï Bondarchuk » (13 min) entretiens avec Joël Chapron.