LE VOYEUR
Peeping Tom – Royaume-Uni – 1960
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Thriller
Réalisateur : Michael Powell
Acteurs : Carl Boehm, Moira Shearer, Anna Massey, Maxine Audley, Brenda Bruce, Miles Malleson…
Musique : Brian Easdale
Image : 1.66 16/9
Son : LPCM 2.0 Anglais, français et allemand
Sous-titres : Français, allemand.
Durée : 101 minutes
Éditeur : StudioCanal
Date de sortie : 31 janvier 2024
LE PITCH
Mark Lewis est cameraman dans un studio cinématographique. À ses heures perdues, il prend des photographies de nus, vendues sous le manteau dans des kiosques à journaux. Le père de Mark, scientifique de renom, consacra sa vie à l’étude de la psychologie de la peur, utilisant son propre fils comme cobaye. Mark, aujourd’hui adulte, est devenu un tueur fou, obsédé par la peur et qui filme l’agonie de ses victimes…
L’homme à la caméra
Honni par une critique scandalisée et donc violente, Le Voyeur ne connu même pas de véritable sortie salles en 1960. Il faudra attendre que les années passent, que la curiosité s’attise et que l’intense modernité du film ne se fasse totalement évidente pour que le dernier grand film de Michael Powell ne retrouve la place qui était la sienne : un bijou noir et précurseur sur le pouvoir de l’image et du cinéma, pouvant mener à l’obsession destructrice.
Cela faisait trente ans que Michael Powell, associé à son scénariste et coproducteur Emeric Pressburger, faisait figure de maitre du cinéma anglais. Du Voleur de Bagdad au Narcisse noir en passant par Colonel Blimp ou Une Question de vie ou de mort, leurs œuvres ont installé dans l’esprit collectif une version extrêmement poétique du cinéma, esthétique et inventive, mais toujours élégante, voir noble, même si la transgression était déjà bien présente. Mais leur relation s’est finalement achevée en 1957 avec Intelligence Service, et Michael Powell se tourne alors vers l’étrange projet de Leo Marks, ancien décodeur réputé des services secrets britanniques et auteur de quelques pièces, qui lui conte, à grand renfort de détails imagés, les exactions d’un jeune caméraman, photographe de nudies à ses heures, qui se passionne pour l’image de la peur et s’efforce de la capturer dans le regard des femmes qu’il tue face à sa caméra avec son trépied aiguisé. L’art comme force pulsionnelle, comme un ultime sacrifice, comme une quête inextinguible de perfection, des notions qui traversaient déjà un film comme le sublime Les Chaussons rouges, mais qui explose ici littéralement à l’écran par sa violence et un besoin d’autodestruction dévastateur. Difficile de ne pas percevoir dans le portrait de Mark Lewis (incarné par un surprenant Carl Boehm, ancien jeune premier des Sissi) une exacerbation du cinéaste perfectionniste et du cinéphile monomaniaque, quettant des indices obscurs dans l’image, fixe ou en mouvement, ou s’efforçant de reproduire inlassablement une vérité inaccessible.
L’œil et la proie
Comme l’annonce le premier plan du film, celui d’un œil dont le clignement est accompagné du déclic d’un appareil photo, tout dans Le Voyeur n’est que regard, perceptions visuelles, et surtout trompe-l’œil, Powell pouvant déplacer les points de vue dans un même meurtre, alternant vue subjective de la caméra, plans de vision du tueur, de celui de la victime et y ajoutant même une revisionnage du dit crime en noir et blanc dans la salle personnelle du fétichiste. Qui regarde qui ? Tout le monde regarde tout le monde, fasciné par les images argentiques et cette recréation fantasmée de la réalité. Au-delà de cette réflexion puissante et esthétique, baignée dans une atmosphère typique du Soho des 60’s mais teintée de lumières chaudes et de couleurs tranchées entre le style Hammer et les revues de mauvaises réputations, le film annonce déjà les débordements de l’omniprésence de l’image (l’ultime selfie en orgasme terminal) tout en confrontant l’ambiguïté constante de la bonne société avec ses propres perversions, inavouées et expérimentées sous le manteau. Perturbant, Le Voyeur l’est constamment, surtout lorsqu’il s’efforce de faire de Mark Lewis non pas un nouveau monstre du cinéma (comme le Norman Bates du Psychose sorti justement la même année), mais un être malade, fragile, touchant et même romantique, victime des expérimentations douteuses d’un père sur son jeune fils. Non sans ironie, c’est Michael Powell lui-même et son enfant qui apparaissent dans ces home-movies opaques, annonçant au passage un sous-textes méta dans lequel le cinéaste n’hésite pas à multiplier les références à l’industrie du cinéma anglais et à critiquer ouvertement sa propension à produire à la chaine de fades divertissements.
Œuvre particulièrement noire, repoussant constamment les codes (on aperçoit ici la première nudité « frontale » du cinéma et l’ambiance générale mêle sexe et frustrations), malaisante et pourtant confectionnée avec une maestria symbolique digne des grands giallos à venir, Le Voyeur ne pouvait que provoquer un choc violent lors de ses premières présentations à la presse. Un retour de bâton si brutal que le distributeur choisira de ne même pas le sortir en salles, confirmant l’aura sulfureuse et douteuse du film ce qui sonnera pour Michael Powell le glas de sa carrière « glorieuse », l’obligeant à se tourner vers la télévision, l’Allemagne ou l’Australie pour continuer, difficilement, son métier. Longtemps invisible, le film sera finalement exhumé par Martin Scorsese aux USA et Bertrand Tavernier en France, lui permettant de reprendre enfin la place qui était sienne et ce n’est que justice.
Image
La BFI et StudioCanal se sont alliés pour proposer un tout nouveau master du Voyeur. Si l’ancien Bluray pouvait s’avérer satisfaisant, cette nouvelle proposition a été produite à partir d’un scan 4K des négatifs, et fait preuve d’un approfondissement considérable de toutes les étapes de nettoyage (chimique et numérique), de stabilisation, d’étalonnage, associées avec une dynamique beaucoup plus large assurée par les traitements HDR10+ et Dolby Vision. Sur support UHD le résultat est des plus impressionnants avec une palette de couleurs particulièrement chaude et riche, réveillant comme jamais le potentiel de l’EastmanColor, tout en soulignant constamment un grain vibrant et organique et une profondeur de détail et de matière rigoureuse. Un vrai petit bijou.
Son
Les prestations sonores restent fidèles aux volontés d’origine avec des postes mono disposées en LPCM 2.0 sobres et frontaux. La version originale est ferme, claire et bien équilibrée, là où la version française manque peut-être d’un peu de pep’s. A noter la présence de deux pistes allemandes correspondant aux doublages de 1960 et 2006 pour les curieux… et les germanophiles.
Interactivité
StudioCanal propose une édition très complète du Voyeur. Disposé sous la forme d’un digipack trois volet avec fourreau, l’objet contient déjà un livret composé d’un texte analytique qui résume parfaitement les enjeux du film, la modernité du sujet et l’impact de ce dernier sur la carrière de Powell. Le tout associé à quelques documents d’archives et retours sur les critiques de l’époque.
Forcément toutes ces réflexions esthétiques, thématiques et historiques vont se retrouver avec de variables différences d’approfondissement dans l’ancien commentaire audio du critique Ian Christie, l’intervention inédite de Christopher Frayling (critique anglais lui aussi) où l’on découvre une nouvelle fois l’impact d’un article de Bertrand Tavernier, la discussion plus détendue entre Rhianna Dhillon et Anna Bogustskaya (…critiques elles-aussi) et bien entendu dans le petit documentaire rétrospectif « The Eye of the Beholder » produit pour une ancienne édition. Dans ce dernier d’ailleurs, on retrouve tout de même Martin Scorsese, qui permit véritablement une redécouverte mondiale du film, ainsi que Thelma Shoonmaker (monteuse de Scorsese et veuve de Michael Powell) et l’acteur Karlheinz Bohm pour un regard plus intérieur. Un programme auquel il faut ajouter la jolie introduction enregistrée par Scorsese en 2007 et une autre interview de Thelma Shoonmaker tournée vers sa découverte du cinéma de Powell, introduit par Scorsese, les efforts de ce dernier pour ressortir le film en salle et le regard que portait Powell sur son film « maudit ».
Vaste programme, un peu redondant parfois forcément, qui se tourne aussi vers des questions purement techniques avec un petit doc précis et documenté sur la toute nouvelle restauration du film.
Liste des bonus
Livret 32 pages, Introduction de Martin Scorsese, Commentaire audio du Professeur Ian Christie, « Le Voyeur » par Sir Christopher Frayling, L’héritage du Voyeur, La restauration du Voyeur, « The Eye of the Beholder » d’Olivier Serrano, avec Ian Christie, Martin Scorsese, Karlheinz Böhm, Thelma Schoonmaker, Laura Mulvey et Columba Powell (19’), Interview de Thelma Schoonmaker, Bande-annonce originale.