Lorsque Joseph M.Newman réalise en 1959 Le Shérif aux mains rouges (nous préférerons le titre original plus cohérent The Gunfight at Dodge City), il signe son troisième western après Les Bannis de la sierra en 1952 et le réussi Fort Massacre en 1958. Le réalisateur de série B qui s’essaya également au polar (Dans les bas-fonds de Chicago) nous transporte ici à la fin des années 1870 dans une ville de Dodge City gangrenée par le crime et… la corruption du shérif du comté Regan (campé de belle manière par Don Haggerty) qui exerce un système de racket organisé sur ses administrés… Après la mort de son frère, qui briguait le poste de shérif, Bat Masterson décide alors de reprendre le flambeau.
La bonne idée du scénario est de placer l’action pendant une campagne électorale tendue pour élire un nouveau shérif. Toutefois, comme le note avec justesse le spécialiste Jean-François Giré, les subtilités du fonctionnement politique américain ne semblent pas avoir été bien comprises  lors de la traduction des dialogues, rendant la VO obligatoire pour bien comprendre les enjeux du récit.

Pour le rôle principal, on retrouve une figure reconnue du Hollywood des années 1930-1940, Joel McCrea (Les Chasses du comte Zaroff), qui devint à partir de l’après-guerre un acteur récurent du western américain, apparaissant dans des films de Raoul Walsh, Jacques Tourneur, Sam Peckinpah ou Newman déjà avec Fort Massacre.

American hero

Alors qu’il a atteint la cinquantaine, on pourra être surpris de le retrouver ici dans le rôle du célèbre Bat Masterson. L’histoire est en effet censée se dérouler en 1878, au moment de l’assassinat de Ed Masterson. Or le véritable Bat (appelé Pat dans la VF…) avait environ vingt-cinq ans…
Complice de Wyatt Earp, chasseur de bisons, shérif, journaliste, Bat Masterson fait partie des légendes américaines et son personnage apparaît dans de nombreux westerns (Tombstone, Réglements de comptes à OK Corral…). Toutefois The Gunfight at Dodge City semble le seul film à le placer en héros principal, au même titre que la série TV Bat Masterson (1958-1961) où il était incarné par Gene Barry.

Si on pourra rester circonspect devant le scénario de Martin Goldsmith et Daniel Ullman qui réécrit et détricote l’Histoire, le film se suit avec plaisir grâce à de bons comédiens, dont John McIntire excellent en docteur alcoolique anticlérical. De plus, Newman parvient à rendre encore plus mémorable son western grâce à un final parfait. Répondant à la scène d’ouverture, où un jeune fou demandait à Masterson « Qu’est-ce que ça fait de tuer un homme ? », le cinéaste replace la réponse amère et désespérante du héros en écho lors du duel final.

Ressorti dans une version restaurée, cette honnête série B où le rythme ne faiblit pas, saura ravir les amateurs du genre avec l’évocation de moments historiques et un casting de qualité porté par un Joel McCrea parfait dans son rôle de shérif malgré lui.