LE SAMOURAÏ
France, Italie – 1967
Support : UHD 4K, Bluray & Vinyle
Genre : Policier
Réalisateur : Jean-Pierre Melville
Acteurs : Alain Delon, François Perier, Nathalie Delon, Cathy Rosier…
Musique : François de Roubaix
Image : 1.85, 16/9 compatible 4/3
Son : Français DTS HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Anglais
Durée : 105 minutes
Éditeur : Pathé
Date de sortie : 29 novembre 2023
LE PITCH
Jef Costello, dit le Samouraï, est tueur à gages. Chargé d’abattre le patron d’une boîte de nuit, Jane, sa maîtresse, dot lui servir d’alibi… mais Valérie, pianiste, est témoin du meurtre. Arrêté, Jef est relâché faute de preuves. Les commanditaires du meurtre lui demandent alors d’éliminer Valérie.
Le règne de l’épure
L’apothéose de l’iconisation de la star Delon. Le sommet d’une mise en scène à la recherche constante de perfection. Un immense classique du cinéma policier français qui se pâme désormais dans un coffret luxueux limité à 1000 exemplaires avec en plus de la copie restaurée 4K le scénario complet et le vinyle de l’inoubliable bande originale signée François de Roubaix.
Au sujet de Jean-Pierre Melville, les langues se délient. Issu d’une famille juive alsacienne, cet ancien résistant, colérique et difficile d’accès, au parlé singulier, à la dégaine étrange et souvent affublé d’un imposant Stetson, entra dans le monde du cinéma par la grande porte. D’abord affilié aux « zébulons » de la « Nouvelle Vague », le cinéaste va rapidement dessiner sa propre trajectoire, à la fois classique et terriblement novatrice. Classique, dans le sens où son œuvre entière semble gravée à même la rocaille antique. Dès ses premiers films, Melville impose un style cinématographique unique, dominé par l’épure narrative et stylistique. Du côté de la modernité, on retiendra sa manière bien spécifique d’orchestrer ses thèmes, héritée du cinéma américain qu’il contribua à transfigurer « à sa sauce ». Il fut l’un des chantres du minimalisme. Les décors sont magnifiquement dépouillés, grisâtres et minéraux. Ses héros, masculins et affublés des codes vestimentaires de la virilité (« impers » parfaitement coupés, couvre-chefs joliment vissés, revolvers scintillants, cigarettes et volutes), composent des archétypes immuables dont l’âme bouillonnante se trouve camouflée sous les masques et le cérémonial de la mythologie urbaine. De Jean-Paul Belmondo dans Le Doulos à Lino Ventura dans Le Deuxième Souffle, sans bien évidemment omettre Alain Delon, son double artistique (avec qui il tournera trois de ses derniers, et plus beaux, films), les êtres que Melville met en scène semblent dirigés par une force intérieure extirpée d’une légende millénaire. Et comme toujours dans ce cas-là, la mort, cette sordide faucheuse, plane, menaçante et inéluctable, au-dessus de leurs crânes. Jamais Le Samourai ne déroge à la règle.
Cinéma composite
Le film débute avec une citation du « Bushido », le livre-guide des samouraïs nippons. Il y est question de tigre esseulé traqué en pleine jungle. Sauf qu’ici, la jungle devient la ville et ses recoins ombreux, ses impasses, ses arcanes métalliques et ses coupe-gorges. Rythmé par les lancinants riffs de saxophone du compositeur François de Roubaix, l’errance filante et tragique de Jef, si élégante bête fauve brusquement prise en chasse, nous illumine, nous éblouie littéralement. Alain Delon, sublime, habite l’espace, imprègne chaque plan de sa grâce animale : on ne répétera jamais assez à quel point ce comédien excella dans les arts du mouvement et de la gestuelle. Il n’est jamais aussi bon que quand il ne dit mot. Avec son regard de félin, fermement dissimulé sous un chapeau-refuge, Jef met tout en jeu pour éviter le trépas. Mais à quel prix ? Le flic collé à ses basques n’est pas là pour plaisanter (génial François Perier à la ténacité exemplaire), à l’image des cadors de la pègre pour qui Jef devient le témoin gênant. La carte à abattre. Rameutant dans une même gigue la police et les gangsters, Le Samourai ressemble à une intense ligne furtive, une dérive existentielle, lancinante et quasi-spectrale, qui se conclue par un coup de feu létal, sous les stroboscopes miroitants et aveuglants d’une boîte de jazz.
Une affaire de filiations
Chef d’œuvre instantané lors de sa sortie, en 1967, Le Samouraï bénéficie depuis d’un statut d’œuvre culte. Il s’agit d’une matrice : le point de départ d’un cinéma policier revisité. Bon nombre de metteurs en scène, aux quatre coins du globe, admirent le travail de Jean-Pierre Melville, vénèrent sa thématique. L’illustre Martin Scorsese n’a jamais cessé de clamer la pureté artistique de ses plans, Quentin Tarantino a longtemps affirmé que son turbulent Reservoir Dogs se calait dans une continuité évidente. D’autres cinéastes ont même littéralement copié, reproduit, voire optimisé les motivations créatrices de l’auteur, mais toujours avec honneur et pudeur. Du côté de Hong Kong, on évoquera bien sûr John Woo qui, depuis The Killer, se qualifie comme l’un de ses disciples directs. Plus récemment, Jim Jarmusch lui a rendu hommage dans son vibrant Ghost Dog et l’immense Michael Mann s’est imposé comme l’un de ses plus éminents « rejetons ». A chacun de ses longs-métrages, Mann illustre un peu plus de la prose « melvilienne », mais en y surexposant une ampleur technologique toute américaine. De Heat à Miami Vice, de Collateral à Public Enemies, les élans cinématographiques sont les mêmes : on y retrouve la solitude comme moteur scénaristique, un affect-frère pour les ambiances citadines, les règles inviolables régissant à la fois la pègre et les forces de l’ordre, une identique froideur des comportements et des décors, une rareté voire une absence des personnages féminins (femmes souvent utilisées comme des étapes à franchir, des obstacles à « laisser en plan » ou pis encore, le déclencheur d’une mort certaine) et l’omniprésence de la violence et de la tragédie. On l’aura compris, le cinéma de Jean-Pierre Melville a laissé et laisse encore une empreinte ineffaçable, semblable à un diamant brut dont la magnificence demeure intacte. Solide comme un roc.
Image
Plus de 10 ans après son Bluray, Pathé revoit totalement sa copie et surtout laisse de coté le dégrainage et les filtres numériques trop visibles. Le travail a ici été effectué directement à la source avec un nouveau scan 4K des négatifs originaux et une reprise minutieuse de chaque photogramme. Le résultat est alors frappant, le métrage se parant à nouveau de toutes ses matières naturelles (grain, relief, argentique, profondeurs…) tout en déployant sa photographie toujours sombre, mais beaucoup plus équilibrée et pointue qu’autrefois. La finesse des détails, l’harmonie de la colorimétrie, la maitrise des accents de pellicules, rédonnent au Samouraï toute son impériosité.
Son
On retrouve le solide DTS HD Master Audio mono, tout à fait conforme aux volontés initiales de Melville. Clair, net, solide et équilibré entre les silences et les prestations de François de Roubaix, la piste n’est jamais pauvre, assurant une restitution franche et frontale des dialogues et des ambiances.
Interactivité
Première sortie pour cette nouvelle copie 4K disponible uniquement, pour l’instant, dans un luxueux coffret collector. Livret de 60 pages signé Bertrand Tessier, reproduction du scénario original et surtout 33 tours de la sublime bande originale viennent élever l’attrait de l’objet mais aussi le prix.
De même le film est proposé sur trois support différents : l’UHD, le Bluray et… le DVD toujours aussi anachronique. Mais Pathé ne s’est pas contenté de mettre en avant l’objet et les « goodies » et à produit toute une série de nouveaux suppléments inédits. A commencer par un reportage très précis sur la restauration du film venant expliquer les différentes techniques et méthodes utilisées pour aboutir à ce nouveau master 4K. Sur le Bluray on trouve aussi une longue interview du collègue Philippe Labro (Sans mobile apparent, L’Héritier…) qui évoque tout autant ses souvenirs du bonhomme, sa relation compliquée avec Delon, que sa propre amitié avec celui qu’il perçoit aussi comme un mentor. La suite du programme se trouve sur le DVD avec une réflexion du critique Philippe Rouyer sur les multiples cinéastes et métrages influencés par Le Samouraï (de Michael Winner à The Killer de John Woo), suivi d’une discussion autour du travail de François de Roubaix et du rapport entre Melville et ses compositeurs et enfin un regard tout personnel sur le film porté par le cinéaste Taylor Hackford (L’Associé du diable, Ray…).
Des propositions toujours intéressantes, mais au milieu desquels on aurait tout de même aimé retrouver les interviews d’archives de Delon et Melville et le documentaire Melville-Delon : de l’honneur à la nuit présents sur l’édition précédente.
Liste des bonus
Bluray du film, DVD du film, Vinyle 33 tours de la bande originale du film, le scénario original du film, le livret « Le Samouraï : Chorégraphie de la solitude et de la mort » rédigé par Bertrand Tessier (60 pages), « Le Samouraï : La Restauration » avec Tessa Pontaud, directrice adjointe restauration patrimoine Pathé Films (11’), « Jean-Pierre Melville, mon ami » : entretien avec Philippe Labro (34’), « Jean-Pierre Melville, l’influenceur » : entretien avec Philippe Rouyer (33’), « Jean-Pierre Melville et la musique de film » : entretien avec Stéphane Lerouge, historien de la musique de film, et Nicolas Errera, compositeur (21’), « Le Samouraï » revu par Taylor Hackford (19’).