LE SALAIRE DE LA PEUR

France, Italie – 1953
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Aventure, Thriller
Réalisateur : Henri-Georges Clouzot
Acteurs : Yves Montand, Charles Vanel, Peter van Eyck, Folco Lulli, Véra Clouzot, Dario Moreno, William Tubbs…
Musique : Georges Auric
Image : 1.37 16/9
Son : DTS HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français pour sourds et malentendants
Durée : 152 minutes
Editeur : L’Atelier d’images
Date de sortie : 11 avril 2025
LE PITCH
En Amérique Centrale, une compagnie pétrolière propose une grosse somme d’argent à qui acceptera de conduire deux camions chargés de nitroglycérine sur 500 kilomètres de pistes afin d’éteindre un incendie dans un puits de pétrole. Quatre aventuriers sont choisis et entament un voyage long et très dangereux …
Sans retour
Grand prix au Festival de Cannes, Ours d’or à Berlin, Prix Méliès et Meilleur film aux BAFTA, énorme succès public en France et à l’international, encore et toujours considéré comme l’un des films les plus importants de l’histoire et certainement pas amoindri par trois tentatives de remakes (le Friedkin excellent, les autres euh…), Le Salaire de la peur est un film monstre. Un survival sous très haute tension, spectaculaire et éreintant, démonstration de maitrise d’un Henri-Georges Clouzot, passé de maitre du polar français à maitre du suspense tout court.
L’Assassin habite au 21, Le Corbeau, Quai des orfèvres : après trois premiers films quasiment parfaits et inscrivant directement son nom au panthéon du genre policier, le cinéaste opère une mue aussi difficile que douloureuse. Le cinéaste tente d’échapper au genre, mais aussi à une écriture importante et une prédominance des dialogues. Le drame romantique Manon, la comédie légère Miquette et sa mère, sa participation au film à sketch Retour à la vie et surtout le grand documentaire aventureux avorté Brasil, témoignent d’un besoin de se réinventer et surtout de trouver une nouvelle forme. Celle-ci va bien entendu éclore avec l’adaptation du roman de Georges Arnaud, personnage aussi sulfureux (il fut accusé d’avoir assassiné des membres de sa famille) que picaresque (il fut explorateur, chercheur d’or…), qui insuffla ses souvenirs de conducteur de poids lourd au Venezuela dans les pages du Salaire de la peur.
Un cadre, l’Amérique du Sud qui fascinait Clouzot d’autant plus depuis sa rencontre avec son épouse brésilienne Vera, et une voie narrative essentiellement tournée vers l’action qui inspira fortement le cinéaste, se délestant définitivement de son socle cartésien et des méthodes à l’ancienne. Même s’il ne peut tourner sur place ou même en Espagne pour accommoder les opinions politiques d’Yves Montand, Clouzot embarque son équipe de tournage en dehors des grands studios, en Camargue pour être exact, reconstitue avec maniaquerie l’intégralité du village Las Piedras et fera tourner les nombreuses séquences véhiculées dans des conditions les plus réels possibles. Le tournage sera stoppé pendant un an à cause d’un déluge qui manquera de faire couler la production, connaitra de nombreux accidents (dont deux morts noyés) et de fortes crises devant et derrière la caméra, mais ces coulisses parfois épiques, en tout cas nourries d’une tension électrique et de fortes prises de risques, imprègnent forcément le film achevé d’une pesanteur constante, d’une sensation d’urgence refrénée, d’un appétit pour le danger.
La mort aux trousses
Nous sommes tout de même ici très loin d’un cinéma à l’américaine, misant tout sur une énergie débordante, sur une frénésie énergique, puisque Le Salaire de la peur joue sur une constante attente. En premier lieu celle de ces hommes égarés, « enfermés » dans cette ville oubliée aux airs de purgatoire et dont plus personnes ne semble capable de repartir. Durant presque une heure, Clouzot explore la dure réalité des lieux, insiste sur la chaleur, la torpeur, la violence et le désespoir des personnages, vils insectes pris au piège, avant de leur offrir un triste échappatoire : emmener deux camions remplis de nitroglycérine à un pipeline en flamme de l’autre coté de la montagne pour les faire exploser. Une mission suicide, mais l’opportunité enfin de faire, d’agir, qui là aussi sera constamment contrite par des soucis mécaniques, par la géographie des lieux et des zones de dangers (la plateforme en bois qui menace de s’effondrer, l’étang remplis de pétrole…) presque constituées en tableaux comme le feront bien plus tard les jeux vidéo. De cette fausse lenteur forcée, un suspens absolument implacable va naitre. Insupportable même lorsque pendant presque dix minutes silencieuses les quatre bougres mettent en place une stratégie pour faire disparaitre un obstacle rocheux qui obstrue la route. Camera fixe, cadres précis, gros plans et détails s’accumulent dans un montage d’une rare rigueur et d’une impeccable efficacité, autant pour instaurer un rythme pesant au film que pour souligner constamment l’apprêtée de la condition humaine mise en exergue dans ce défit face à la mort.
Yves Montand, jusque-là surtout star du music-hall y gagne pleinement ses galons de grand acteur, anti-héros au bout de ses forces et de ses convictions, tandis que le solide Charles Vanel subjugue par son portrait du lâche ordinaire, fausse figure virile qui s’effondre face à l’adversité, à cette peur qui semble habiter chaque image de ce très, très, grand film.
Image
On retrouve ici la superbe restauration produite par TF1 Vidéo en 2017, mais cette fois ci avec l’apport considérable d’un disque UHD. Rappelons que la restauration avait été effectuée à partir d’un scan 4K du négatif nitrate et avait été éprouvée par des centaines d’heures passées à retirer la moindre trace de griffure, point ou rayure afin d’obtenir le meilleur master existant du film, dépassant même la proposition de Criterion. Celle-ci ne proposait d’ailleurs que le montage international du film plus court de 5 minutes environ.
En disposant donc la copie complète sur un disque UHD, L’Atelier d’image en déploie plus encore le niveau d’excellence, appuyant la définition, creusant son relief et soulignant la précision incroyable de son noir et blanc. Les matières sont sublimes, du grain aux textures des arrière-plans, les contrastes fermes et puissants (la dernière séquence nocturne est à tomber), et les argentiques n’ont jamais été aussi présents.
Son
La piste mono développée en DTS HD Master Audio 2.0 est bien entendu la même que celle présente sur le Bluray. On note là aussi un excellent travail de restauration, effectué à partir d’un scan du contretype sonore, pour un rendu très agréable, clair et assez rond. Même si quelques défauts de la source (encore quelques grésillements dans les voix ou les ambiances sonores) sont encore perceptibles, on est tout de même très loin de ce que l’on a pu entendre durant des décennies de mauvaises conservations (genre René Château Vidéo).
Interactivité
L’Atelier d’images fait les choses bien et propose dans son édition présentée sous la forme d’un boitier scanavo et d’un fourreau cartonné, de retrouver la totalité du Bluray édité autrefois par TF1 Vidéo. Celui-ci comporte donc toujours le petit reportage éclairant sur la restauration du film, l’interview d’archive d’Yves Montand, et les trois entretiens phares. Soit une conversation échevelée entre Jean Ollé-Laprune et Samuel Blumenfeld, rivalisant d’anecdotes et de petites analyses personnelles, suivi par un regard pertinent et passionnant sur l’œuvre apporté par le réalisateur Xavier Giannoli (L’Apparition, Illusions perdues…) et enfin le témoignage amoureux de Bong Joon-ho (Parasite) fasciné par le pouvoir de suggestion de Clouzot.
A tout cela s’ajoute désormais sur le disque UHD la présentation inédite signée Marc Godin, auteur de « Henri-Georges Clouzot, cinéaste », qui revient dans les grandes lignes sur les origines et le tournage du film, sur la relation entre Clouzot et Montand et sur l’impact considérable du métrage à sa sortie mais aussi au cours des années… sans oublier bien entendu un petit détour par les remakes. Plutôt carré et efficace.
Liste des bonus
Présentation du film par Marc Godin (inédit, 21’), « Regards croisés sur Le Salaire de la peur », par Jean Ollé-Laprune et Samuel Blumenfeld (19’), « L’Extraordinaire Ambition d’Henri-Georges Clouzot », par Xavier Giannoli (20’), « Aux sources du choc original », par Bong Joon-ho (17’), Souvenirs d’Yves Montand (2’), La restauration du film (7’).