LE RÔDEUR

The Prowler – Etats-Unis – 1951
Support : Bluray & DVD
Genre : Thriller
Réalisateur : Joseph Losey
Acteurs : Van Heflin, Evelyn Keyes, John Maxwell, Katharine Warren, Emerson Treacy…
Musique : Lyn Murray
Image : 1.85 16/9
Son : DTS HD Master Audio 2.0 Anglais
Sous-titres : Français, Anglais.
Durée : 92 minutes
Editeur : Éléphant Films
Date de sortie : 25 mars 2025
LE PITCH
En l’absence de son mari qui travaille de nuit pour la radio, Susan appelle la police pour signaler la présence d’un rôdeur qui espionne sa belle hacienda californienne. L’officier Webb Gardood ne trouve pas de trace du voyeur, mais décide de garder un oeil sur la jeune femme. Son attitude est-elle vraiment dictée par sa conscience professionnelle ou cache-t-elle des motifs moins avouables ?
Liaison dangereuse
Le Rôdeur constitue l’une des œuvres phares de la période américaine du cinéaste Joseph Losey. L’auteur légendaire de The Servant, Monsieur Klein et Don Giovanni y distille toute l’ampleur de ses dons malsains et perturbateurs, épaulé dans sa tâche par le scénariste Dalton Trumbo, illustre plume maudite et victime notoire du Maccarthysme. Immense film noir, doublé d’une célébration de l’interdit, des ravages de la passion et de l’aigreur sociétale, Le Rôdeur a tout du chef d’œuvre. Auscultation.
L’intrigue débute avec un fait-divers lambda. Susan, l’épouse d’un animateur de radio, vivant souvent seule dans sa jolie maison de la « Cité des Anges », signale la présence d’un rôdeur sur sa pelouse. Ni une, ni deux, deux policiers chapotés déboulent. La fouille s’avère infructueuse. L’intrus a disparu. Tout rentre dans l’ordre et les deux flics déguerpissent. Enfin, pas vraiment. L’un deux, Webb (génial Van Heflin), semble avoir « craqué » pour la résidente blonde platine. Fouineur, obstiné et accroché, l’homme revient, le lendemain, toquer à la porte de la jolie solitaire. A coup d’œillades marquées, d’interrogatoires hors-propos et de sous-entendus déplacés, Webb s’immisce dans la vie privée de Susan (géniale Evelyn Keyes qui fut l’épouse éclair de John Huston). D’abord réticente, observatrice apeurée et sur la défensive, la blondinette succombe progressivement au charme insistant de ce curieux « poulet ». Les deux individus sont originaires du même coin, dans une bourgade reculée de l’Indiana. Et Webb s’avère bien mystérieux. Ancien basketteur prometteur passé du côté des forces de l’ordre, le patrouilleur dégage une aura souillée d’étrangeté. C’est un homme en rupture, un être douloureux, un séducteur en colère mais terriblement attirant. Leur émoi évolue, ils se rapprochent dangereusement. Problème, Madame est mariée à un époux invisible dont on ne connaît que la caverneuse voix radiophonique. Un mari également richissime. Peu à peu, une idée mortifère prend vie dans l’esprit torturé de Webb. Pourquoi ne pas flinguer cet obstacle si gênant et s’emparer du magot-héritage ? Webb possède l’alibi parfait : c’est un policier, non ? Donc à l’écart de tout soupçon. Le piège machiavélique se fomente inévitablement. Webb assassine sa proie, récupère le butin et, au passage, Susan qui devient sa femme. A eux le motel flambant neuf, un bébé, la belle vie. Et les ennuis…
Talent clandestin
Remettons les choses dans leur contexte. Nous sommes en 1951. Le sénateur McCarthy, diable « yankee » lancé aux basques des Rouges dans le sombre contexte de la Guerre Froide, a listé tous les artistes affiliés au parti communiste, proclamé ennemi juré du doux pays de l’Oncle Sam. Elia Kazan s’apprête à donner le nom de ses collègues devant la commission des activités anti-américaines. Joseph Losey, lui, se révèle un brillant cinéaste, doté d’une persistante idéologie de gauche. Le Rôdeur provoquera son exil, hors des frontières américaines. Au lieu de prêter serment de patriotisme, il atterrira en Europe pour y livrer une série de films mythiques, à l’instar de The Servant, portrait au vitriol d’un domestique sociopathe ou Monsieur Klein, réflexion oblique et absurde sur l’Holocauste, qui offrira à Alain Delon l’un des ses plus beaux rôles. Bref, passons… Losey en appelle ici aux talents de Dalton Trumbo. Un scénariste « coco » notoire, subversif et fiché (non présent au générique, dissimulé sous un prête-nom), incarcéré par les chasseurs de sorcières, futur auteur du script du pacifiste Spartacus de Kubrick et réalisateur de Johnny s’en va en guerre, déchirant « coup de gueule » antimilitariste.
Lune de Fiel
Trumbo s’amuse avec les codes hollywoodiens, les entortille, les dynamite. L’adultère a toujours été mal perçu. Malheur, il constitue le thème leader du Rôdeur. Prenant exemple sur Assurance sur la mort de Billy Wilder, le duo clandestin décide d’aller encore plus loin, se perd et nous perd avec délectation, s’engouffre dans de vastes failles putréfiées. La liaison entre Webb et Susan suinte le soufre, la perversion, la bizarrerie. Elle pue le prohibé, le sexe, la folie. Campé par deux fabuleux comédiens, le couple hors-la-loi glisse sur une pente sablonneuse. Nous sommes en Amérique, contrée qui, sous ses abords libérateurs, fait régner l’ordre, célèbre le puritanisme. Le Rôdeur illustre tout le contraire. Ses héros forment des êtres déséquilibrés en quête d’impossible, des individus décalés, aveuglés par le mal-être et la fureur, paumés et régis par une démence larvée. Surtout Webb dont les idéaux de changement le conduiront à une mort certaine et poudreuse, au sommet d’une dune aride du désert californien. Ce pauvre fou entrainera tous ceux qu’il aime à leur perte. Le verdict s’avère direct et désespéré. Honte et trépas à celui qui enfreint la loi. Ecrin d’écriture noire, Le Rôdeur symbolise l’esprit frondeur de Losey et Trumbo, authentiques terroristes de l’intime.
Image
La remasterisation du Rôdeur n’est pas repassée par un travail direct sur une source pellicule mais par un approfondissement et un peaufinage d’une copie déjà utilisée sur de précédentes présentations DVD. On y retrouve donc sans grande surprise les petites taches blanches récurrentes, quelques instabilités et surtout un grain oscillant un peu bruité. Mais comme le film est en noir et blanc, ces petits défauts passent plutôt bien, n’atténuant pas trop le piqué général ou les contrastes très soignés. Pas parfait mais très agréable tout de même.
Son
Le mono d’origine est replacé ici dans un DTS HD Master Audio 2.0 qui ne triche pas avec sa source. Le son est direct, sobre et équilibré avec de tous légers grésillements parfois en arrière-plan, mais jamais bien envahissants. La musique nous laisse savourer plusieurs ballades jazzy, envolées radiophoniques, jeux de ping-pong verbaux, et décuple toute sa puissance cuivrée lorsque la tragédie débarque enfin, ne faisant qu’une bouchée de nos illusions.
Interactivité
Après le DVD collector édité par Wild Side Video il y a quelques années, c’est Eléphant Films qui nous propose le film en combo Bluray / DVD au sein de sa collection Film Noir. On y perd malheureusement le passionnant documentaire The Cost of living, au profit ici d’une introduction un peu plate signée Stephen Sarrazin, enseignant et critique, qui se contente trop souvent de résumer l’action du film. Quelques considérations sur les carrières des deux acteurs précédents, sur la place du film dans la carrière de Losey et de toutes petites pistes d’analyses sur le sous-textes politiques emballent le tout.
Liste des bonus
Le film par Stephen Sarrazin (20’), Bandes-annonces.