LE QUARANTE-ET-UNIÈME & LA BALLADE DU SOLDAT
Sorok pervyy / Ballada o soldate – URSS – 1956/1959
Support : Blu-Ray
Genre : Drame
Réalisateur : Grigori Tchoukhraï
Acteurs : Izolda Izvitskaya, Oleg Strizhenov, Nikolay Kryuchov / Vladimir Ivachov, Jeanna Prokhorenko, Antonina Maximova…
Musique : Nikolai Kryukov, Mikhail Zive
Durée : 87 et 88 minutes
Image : 1.37 16/9
Son : Russe DTS HD Master Audio 2.0 Mono
Sous-titres : Français
Éditeur : Potemkine Films
Date de sortie : 21 février 2023
LE PITCH
Pendant la Guerre Civile de 1918, un détachement de l’Armée Rouge se déplace sur le sable blanc de l’Asie centrale. Le meilleur tireur du groupe est une femme, Marioutka, qui a déjà tué 40 soldats de la Garde Blanche. A quand le 41ème ? /
Après un exploit militaire, le jeune soldat Aliocha demande une permission pour aller embrasser sa mère. Lors d’un voyage épique dans le chaos de la guerre, il fait connaissance de Choura, son premier amour.
Amour aveugle
Après l’édition d’un coffret DVD consacré à Grigori Tchoukhraï en 2016, Potemkine ressort en HD les premiers films de son auteur, Le quarante-et-unième et La ballade du soldat. Deux œuvres personnelles, primées au Festival de Cannes, marquées par le talent et l’engagement du cinéaste.
Lorsque Grigori Tchoukhraï s’apprête à démarrer sa carrière de réalisateur en 1953 à sa sortie de l’institut national du cinéma (VGIK), l’URSS vit alors un grand chamboulement avec la mort de Joseph Staline. Une période de mutation commence avec un rejet progressif de la politique autarcique passée qui aboutira à la « déstalinisation » engagée par Nikita Khroutchev en 1956. Et c’est cette même année que Tchoukhraï, après avoir été assistant aux studios Mosfilm, entreprend la réalisation de son premier long-métrage, Le Quarante-et-unième, qui n’aurait certainement jamais vu le jour du vivant du « tyran rouge »…
En effet même s’il s’agit un remake du film de Yakov Protazanov sorti en 1927, la version de Tchoukhraï ne cadre pas autant avec la vision politique du cinéma soviétique en faisant tomber amoureux un couple à priori impossible, composé d’une communiste et d’un Blanc (soutien du Tsar). Tout en reprenant la quasi-intégralité des éléments de la nouvelle de Boris Lavrenev et du film de 1927, Tchoukhraï apporte par les dialogues une ambiguïté, rendant ridicule l’aveuglement politique de Marioutka, la tireuse d’élite rouge, et sympathique le « dandy » Blanc. Le scénariste, Grigori Koltounov, ne goûtant guère cette histoire d’amour qui transcenderait les différences de classes, claquera d’ailleurs la porte et demandera à ce que son nom soit retiré du générique, en vain…
En raison du « dégel » idéologique de cette période, le film put sortir et remporta un important succès aussi bien en URSS (25 millions de spectateurs) qu’en France où il attira un million de personnes et remporta le Prix spécial du Jury du Festival de Cannes 1957. Se déroulant dans le désert du Kazakhstan et aux abords de la mer d’Aral, le film doit également sa réussite aux superbes décors naturels et à la magnifique photographie de Sergueï Ouroussevski, fidèle collaborateur de Mikhaïl Kalatozov (Quand passent les cigognes, La Lettre inachevée).
Ceux qui ne sont jamais revenus
Les éditions Potemkine nous proposent aussi le second film de Tchoukhraï, et son plus célèbre, La Ballade d’un soldat dans une copie HD. Sorti en 1959, vainqueur du Prix de la meilleure participation soviétique au Festival de Cannes 1960, il est sans doute l’un de ses plus personnels renvoyant à sa jeunesse. Prenant le contexte de la Seconde Guerre Mondiale, et de la débandade subie par l’URSS face à l’Allemagne au début du conflit, Tchoukhraï évoque effectivement une période qu’il a bien connue. Entré dans l’armée à 18 ans en 1939, blessé à plusieurs reprises il participera à l’effort de guerre de 1941 à 1945, de Stalingrad à Vienne en tant qu’opérateur radio, comme le jeune héros de son film joué par Vladimir Ivachov, seulement 19 ans.
A l’instar des films de Kalatazov, le cinéaste appréhende le récit de guerre à échelle humaine, replaçant l’individu dans le centre de la caméra alors que les films de propagande d’après-guerre mettaient plutôt en avant les généraux et la figure de Staline. A la lisière du néoréalisme, La Ballade du soldat se veut une reconstitution réaliste de la guerre délaissant les champs de bataille pour montrer la vie quotidienne d’un peuple subissant la guerre et les bombardements.
Comme dans Le Quarante-et-unième, la touche romanesque et romantique de l’histoire est parfaitement retranscrite par le duo d’acteurs ici composé des inexpérimentés Jeanna Prokhorenko et Vladimir Ivachov. Éléments moteurs de la résistance soviétique à l’Allemagne nazie, les femmes, qui travaillaient à l’usine ou aux champs en l’absence des hommes, ne sont pas ignorées par le réalisateur. On pense notamment à la touchante Antonina Maximova, qui joue la mère d’Aliosha, un « enfant » qui ne reviendra jamais du front, comme tant d’autres. In fine, le film se veut un hommage à cette jeunesse décimée, à ce gâchis de la guerre : « Ce garçon pouvait devenir un bon père de famille, un mari affectueux, un ingénieur ou un savant, il pouvait cultiver le blé ou des jardins. La guerre ne l’a pas permis. Il n’est pas revenu. Combien d’autres ne sont pas revenus ! »
Malgré une filmographie relativement maigre, seulement huit films, l’œuvre de Grigori Tchoukhaï demeure essentielle dans le cinéma soviétique comme en attestent ses deux superbes premiers films où il n’hésita pas à entrer en conflit avec les scénaristes ou producteurs pour délivrer sa vision sincère d’un communisme engagé et humaniste, rejetant l’autarcie et la propagande.
Image
Les deux Master restaurés (en 2020) présentés ici en HD permettent d’apprécier une meilleure qualité d’image que sur les DVD sortis en 2016. Pour ces deux copies de près de 70 ans d’âge, on retrouve des cadres stabilisés et une définition correcte. En ce qui concerne Le Quarante-et-unième, on remarquera une instabilité des couleurs et des contrastes, quelques sous-éclairages… Toutefois, le travail de restauration sur ce film de 1956 est de qualité et peu de défauts subsistent.
La version de La Ballade du soldat se montre plus précise et détaillée avec une joli contraste de « gris ». On notera toutefois un grain argentique légèrement lissé.
Son
Les mixages 2.0 Mono s’avèrent dynamiques, clairs, aérés, et la musique comme les dialogues sont parfaitement retranscrits.
Interactivité
Pour parfaire cette édition, Potemkine présente les mêmes bonus que sur l’édition DVD précédente, avec l’ajout notable d’un entretien avec François-Xavier Nérard, Maître de conférences en Histoire contemporaine (Paris Sorbonne). Il rappelle le contexte politique des films et le changement de ton opéré sur la vison de la guerre. Plus surprenant, et intéressant, le professeur nous avertit qu’à l’aune de la Guerre en Ukraine « on ne peut plus voir ces films de la même façon. » En effet, malgré le côté « engagé » de ces films dans les années 1950, la Russie de Poutine utilise encore les films sur la guerre 39-45 comme objets de propagande.
Les entretiens avec le réalisateur sont passionnants, on y découvre un homme simple racontant avec plaisir les anecdotes de tournage et les nombreuses difficultés les accompagnant.
Enfin, le spécialiste du cinéma russe, Joël Chapron, nous apporte de nombreux éléments permettant de mieux comprendre les films. Il revient sur la biographie du cinéaste, son engagement face aux dérives du PC, la création d’un studio expérimental où fut tourné par exemple le Solaris de Tarkovski…
Liste des bonus
Le quarante-et-unième : Présentation du film (9’) et du réalisateur (11’) par Joël Chapron, Entretien avec Grigori Tchoukhaï (14’), “La représentation de la guerre et sa mémoire en URSS et en Russie”, entretien avec François-Xavier Nérard (26’)
La ballade du soldat : Présentation du film (9’) et du réalisateur (11’) par Joël Chapron, Entretien avec Grigori Tchoukhaï (35’), “La représentation de la guerre et sa mémoire en URSS et en Russie”, entretien avec François-Xavier Nérard (26’)