LE PARRAIN : TRILOGIE
The Godfather, The Godfather Part II, The Godfather Part III – Etats-Unis – 1972, 1974, 1990
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Francis Ford Coppola
Acteurs : Al Pacino, Marlon Brando, James Caan, Robert Duvall, Diane Keaton, Talia Shire, John Cazale, Robert de Niro, Andy Garcia, Eli Wallach…
Musique : Nino Rota, Carmine Coppola
Durée : 547 minutes
Image : 1.78 16/9
Son : Dolby True HD 5.1 Anglais, Dolby Digital 2.0 Mono Anglais, Dolby Digital 5.1 et 2.0 Français, Espagnol, italien
Sous-titres : Français, Anglais, italien, portugais…
Éditeur : Paramount Pictures France
Date de sortie : 23 mars 2022
LE PITCH
Sur près de huit décennies, de New York au Vatican, en passant par Cuba et Las Vegas, l’ascension, les luttes et les tragédies de la famille Corleone, immigrants siciliens à la tête d’un puissant empire mafieux…
Le clan des siciliens
Deux ans après la sortie en blu-ray d’un nouveau montage du Parrain, 3ème partie, la saga Corleone saute finalement le pas de l’Ultra HD avec deux intégrales, l’une « simple », l’autre furieusement collector. L’occasion pour Paramount de corriger le tir d’éditions blu-ray perfectibles et désormais obsolètes et d’offrir un écrin définitif à un mythe du 7ème Art.
Que peut-on encore ajouter sur Le Parrain et ses suites qui n’ait déjà été écrit ailleurs – et en mieux ? Quel angle d’analyse est le plus à même de nous offrir un soupçon de fraîcheur, un demi-siècle pile poil après la sortie d’un film qui participa à la naissance du Nouvel Hollywood et qui fit entrer Francis Ford Coppola (et son clan) dans la légende ? En adaptant le best-seller de Mario Puzo, le (pas encore) réalisateur d’Apocalypse Now n’avait pour seule ambition que d’offrir au public l’équivalent cinématographique des plus grandes sagas littéraires du passé et d’apporter un réalisme nouveau à la fresque hollywoodienne classique dont il épouse le lyrisme tout en le saupoudrant d’une intensité et d’une violence jusqu’alors inédites. Œuvre d’art colossale, ne serait-ce que par son formalisme minutieux (on ne louera jamais assez le travail sur la lumière et le cadre du regretté chef opérateur Gordon Willis), la trilogie du Parrain entre pourtant, et sans la moindre ambiguïté, dans la catégorie de ce que certains ont longtemps appelé en se pinçant le nez, le cinéma populaire. À l’instar de son ami George Lucas qui, de Star Wars à Indiana Jones, s’est efforcé de moderniser les serials de son enfance pour en restituer l’essence à un public nouveau, Coppola traite l’histoire de Michael Corleone et de sa famille pour ce qu’elle est : une immersion romanesque dans l’univers du crime organisé où chaque meurtre, chaque trahison et chaque complot est un morceau de bravoure opératique qui se doit de choquer et de marquer le spectateur au fer rouge. En jouant sur la durée des scènes les plus intimistes (un mariage, un baptême, une fête, et ainsi de suite), en s’attardant sur le moindre détail et en transformant la moindre confrontation verbale en joutes virtuoses où les mots se révèlent aussi tranchants que la lame d’un assassin sicilien, le cinéaste aiguise l’appétit d’un public qu’il sait à l’époque déjà acquis à la cause de la narration au long cours du petit écran et le « récompense » de performances d’acteurs et d’explosions de violence comme seul le grand écran pouvait alors en offrir.
Profondo Rosso
Revoir Le Parrain en 2022, c’est aussi se replonger dans un festival de mises à mort sanglantes que Francis Ford Coppola orchestre avec un savoir-faire ahurissant et une indéniable pointe de sadisme. Sorti en 1972, le premier volet n’est d’ailleurs pas loin d’être le plus généreux des trois en la matière. Au sortir d’une introduction pantagruélique qui nous présente les Corleone sous toutes les coutures, des audiences presque papales du patriarche Don Vito aux infidélités du queutard et impulsif Sonny (un James Caan en ébutition perpétuelle), Coppola enchaîne en douceur sur la rencontre entre Tom Hagen (Robert Duvall, grand absent du troisième film pour une triste histoire de salaire), avocat et frère adoptif des Corleone, et un producteur hollywoodien, tentative de négociation pour que le mogul californien pardonne à un chanteur gominé de s’être enfui avec une starlette qu’il convoitait lui-même. Les échanges sont tendus et les deux parties se séparent sur une fin de non-recevoir. Et là, le réalisateur délivre son premier uppercut : le producteur se réveille dans une mare de sang et hurle à la mort en découvrant à ses pieds la tête coupée de son cheval favori. Le temps d’un long mouvement de caméra soigneusement chorégraphié, la saga familiale s’abandonne à l’horreur pure et dure. Et ce ne sera pas la dernière fois, loin s’en faut. La strangulation suffocante et insoutenable de Luca Brasi face caméra, le double meutre brutal commis par Michael dans un petit restaurant sordide (comment oublier le visage déformé par la surprise et la douleur de Sterling Hayden ?), l’explosion apocalyptique dans laquelle trépasse la belle épouse sicilienne de ce même Michael et, bien évidemment, l’embuscade dont est victime Sonny et où l’on assiste, toujours impuissants, à son supplice, criblé de plomb par des dizaines de mitrailleuses. La mort de Sonny est d’ailleurs un hommage direct au climax du Bonnie & Clyde d’Arthur Penn et à celui de La horde sauvage de Sam Peckinpah, datant pour sa part de 1969, deux œuvres majeures ayant fait sensation pour leurs effusions de sang captées dans des ralentis esthétisants et novateurs.
Poulain parmi bien d’autres de l’écurie Roger Corman, Francis Ford Coppola est en réalité parfaitement conscient de l’impact de la violence sur les spectateurs et s’en sert à la fois à des fins narratives (c’est la mort qui fait avancer l’intrigue et bouger les lignes) mais aussi pour cultiver l’image sulfureuse de la Mafia et alimenter le bouche à oreille à la sortie des salles de cinéma comme Hitchcock le fit une décennie plus tôt avec Pyschose et ses rebondissements mémorables. Qui n’a pas été attiré vers Le Parrain à la simple évocation dans la presse ou autour d’un repas de la scène de la tête coupée du cheval ?
Tragedia dell’arte
Il a souvent été reproché à la trilogie du Parrain d’entretenir une image séduisante, romantique et glamour de la Mafia, reproche également adressé au Scarface de Brian de Palma, récupéré par une portion du monde du hip-hop pour bâtir la mythologie du gangta bling bling et agressif. Dans un cas comme dans l’autre, le reproche est profondément injuste et témoigne d’une authentique confusion alors qu’il s’agit de dresser un parallèle entre la violence et le pouvoir, entre le mensonge et la respectabilité, entre le meurtre et la richesse. Tout en humanisant ses gangsters et en usant même d’une certaine tendresse pour dépeindre des tranches de vie quotidienne à l’authenticité quasi-documentaire, qu’il s’agisse des conseils culinaires de Clemenza en pleine guerre des gangs ou de l’amour sincère que Don Vito éprouve pour sa progéniture, Francis Ford Coppola ne se fait aucune illusion sur la vie qu’ils ont choisi de mener et ne se met pas d’oeillères sur leurs nombreux défauts. Dans l’absolu, il leur refuse toute forme de rédemption, un point sur lequel le troisième volet insiste largement jusqu’à un dernier plan pathétique et déchirant d’un vieillard abandonné de tous et balayé par un infarctus comme une vulgaire brindille est emportée par le vent – dernier plan que le nouveau montage de 2020 ampute d’ailleurs, préférant baisser le rideau sur une mort plus symbolique. Un épilogue qui ne fait que répéter ce que les deux précédents films exposaient déjà avec sécheresse, de la porte se refermant sur Kay Adams à la fin de la première partie à la solitude de Michael, glacial alors qu’il vient de faire tuer son propre frère, à la fin du second volet. D’un bout à l’autre, Le Parrain est une tragédie d’ampleur shakespearienne, un regard amer sur la criminalité comme acte fondateur et destructeur, non seulement à l’échelle d’une famille mais aussi d’une Nation. Personne ne peut envier à Michael Corleone une existence de renoncement, de désillusion, de paranoïa et de tristesse absolue. La décision pour Coppola d’explorer la jeunesse de Don Vito dans Le parrain, deuxième partie, ne se justifie pas seulement par le besoin de donner de l’ampleur à sa saga et de développer son arrière-plan historique, il s’agit surtout pour le cinéaste de marquer le point de bascule des Corleone, cet instant précis où la vengeance de Vito Corleone, vis à vis des assassins de son père, cède la place à un mode de vie, un fonds de commerce, et contamine sa descendance jusqu’à l’assécher. Sans doute est-ce là la clé du succès et de la longévité du Parrain dans l’imaginaire collectif et dans le cœur du public : nous présenter des êtres de chair et de sang, les plonger dans un monde qui n’a de séduisant que les apparences et nous demander si nous sommes prêts à les suivre jusqu’au point de non-retour. N’est-ce pas là le propre du cinéma populaire, d’entretenir l’équilibre entre la séduction de la fiction et la pertinence du conte moral ?
Image
Comme le soulignent les nouveaux suppléments de ce coffret, c’est à l’occasion de la sortie en salles et en vidéo du nouveau montage du Parrain, 3ème partie (mais ne l’appelez plus ainsi) que la nécessité d’une nouvelle restauration en 4K de l’image et du son du diptyque original s’est imposée à la Paramount et à Francis Ford Coppola. En dépit du gain de qualité observé lors du passage de la trilogie au format haute-définition, le constat restait mitigé, la faute à des défauts de pellicule persistants et un léger voile numérique laissant bon nombre de détails sur le carreau. Les tout nouveaux transferts qui débarquent ces jours-ci dans nos salons et salles dédiées remettent heureusement les pendules à zéro. Outre un nettoyage presque irréprochable (un plan un peu flou du premier film a échappé à la vigilance des sorciers de l’image), les trois films retrouvent tout l’éclat de leur première jeunesse avec une colorimétrie qui gagne en naturel, des noirs profonds, un grain argentique délicat et un travail tout bonnement hallucinant sur les textures des nombreux costumes et de la vieille pierre des villages centenaires de la campagne sicilienne. Risquons la citation et la paraphrase : cette nouvelle édition s’apparente bel et bien à une offre qu’il vous sera impossible de refuser.
Son
L’exhaustivité est de mise puisque les mixages de dernière génération en Dolby True HD sont accompagnés des pistes mono d’époque qui auront sûrement les faveurs des fans les plus nostalgiques. Parfaitement dosé, le 5.1 joue la carte de la clarté plutôt que de l’ouverture acoustique tous azimuts, avec des ambiances discrètement perceptibles et une mise en valeur du célèbre thème musical de Nino Rota. Quelque peu atone, le doublage français propose une expérience amplement satisfaisante mais votre serviteur avouera une franche sympathie pour les versions italiennes. Faîtes vos jeux !
Interactivité
Forcément limitée, le packaging collector incluant de superbes illustrations dans un coffret à la sobriété et à l’élégance remarquable s’adresse aux plus fortunés mais il faut bien avouer qu’il sera difficile d’y résister. En termes de contenu, on y retrouve la presque totalité des bonus existants, à l’exception notable du montage télé du second volet. Le Parrain, troisième partie est heureusement disponible dans ses deux versions alors que l’on pouvait craindre que Coppola n’en profite pour jeter aux oubliettes le cut ciné de 1990 dont il n’est pas entièrement satisfait (alors que nous, si!). Les commentaires audio du cinéaste, riches en analyse et anecdotes passionnantes, sont accompagnés de making-of et de featurettes en tous genres, toutes plus généreuses les unes que les autres. De nouveaux suppléments font également leur apparition, avec des modules sur la restauration, de nouvelles présentations pour le premier et le troisième film, un entretien avec le photographe de plateau Steve Schapiro, lequel raconte son métier avec passion, et quelques autres mignardises. Toutefois, le segment le plus intéressant demeure un documentaire de près d’une demi-heure sur le contexte de la mise en chantier du Parrain en 1972, de l’état du système hollywoodien avec les fins de l’âge d’or des moguls aux hésitations du cinéaste et de sa compagnie Zoetrope avec des interventions ciselées de Coppola, de Bob Evans, de Walter Murch et de George Lucas mais aussi des propos de William Friedkin, John Turturro ou Guillermo Del Toro, tous fans de la saga. Tout y est, n’en jetez plus !
Liste des bonus
Commentaire audio de Francis Ford Coppola (VOST) / Introduction au Parrain par Francis Ford Coppola / « Tour complet : préserver Le Parrain » / « Les Corleone à travers l’objectif du photographe Steve Schapiro » / « Le Parrain : films maisons » : images backstage de 1971 / Comparaisons de restauration : avant/après / Le chef d’œuvre qui a failli ne pas être (HD, 29’46”) / L’univers du parrain (HD, 11’19”) / Restauration – Révéler le parrain (HD, 19’05”) / À la fin du tournage (HD, 14’18”) / Le parrain sur le tapis rouge (HD, 4’03”) / Quatre courts métrages sur le Parrain : Le Parrain contre le Parrain 2 (2’16”), Des dialogues cultes (1’39”), Cannoli (1’39”), Clemenza (1’45”) / Arbre généalogique sur la famille Corleone / Organisation du crime / L’album photo de mariage de Connie et Carlo / Archives DVD 2001 : Galeries, Dans les coulisses : Vu de l’intérieur (72’22”), Lieux de tournage (6’56”), Le carnet de Françis Ford Coppola (10’13”), La musique du Parrain : Nino Rota (5’30”), Carmine Copolla (3’17”), Francis Ford Coppola et Mario Puzo à l’écriture (8’07”), Gordon Willis à l’image (3’45”), Storyboard – Le Parrain II, Storyboard – Le Parrain III, Le Parrain – Les coullises du tournage de 1971 (8’56”) / Biographie de l’équipe technique / Scènes supplémentaires / Générique 2008.