LE MESSAGER
The Go-Between – Royaume-Uni – 1971
Support : Bluray & DVD
Genre : Drame
Réalisateur : Joseph Losey
Acteurs : Julie Christie, Alan Bates, Margaret Leighton, Michael Redgrave, Dominic Guard, Michael Gough
Musique : Michel Legrand
Durée : 116 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais & Français DTS-HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français
Éditeur : ESC Editions
Date de sortie : 3 novembre 2021
LE PITCH
L’été 1900 dans la campagne anglaise du Norfolk. Invité par un camarade d’école à passer les vacances dans le manoir familial, le jeune Leo Colston tombe en admiration pour la belle Marian. Pour lui faire plaisir, il va accepter de passer ses messages à un fermier à la réputation de séducteur, …
La belle époque
Palme d’or du Festival de Cannes en 1971 et sommet romanesque de la filmographie de Joseph Losey, Le messager fait une entrée discrète dans le petit monde de la haute-définition, quelques mois seulement après les éditions luxueuses consacrées à Mr Klein et The Servant. Une sobriété qui ne sied finalement pas si mal à cette peinture bouleversante et nostalgique d’un amour interdit et de ses conséquences sur la vie d’un jeune garçon.
Troisième collaboration entre le réalisateur Joseph Losey et le dramaturge Harold Pinter, Le messager est aussi malheureusement la dernière, les deux amis n’ayant plus jamais eu l’opportunité de s’engager dans un projet commun. Adaptation d’un roman de Leslie Poles Hartley, le film ne dévoile sa nature d’un long flashback que par touches fugaces et subtiles. L’histoire est celle d’un vieil homme (Michael Redgrave) qui, en chemin pour retrouver une lointaine connaissance, se remémore l’été tragique où il perdit son innocence pour toujours.
« Le passé est un pays étranger. Ils font les choses autrement, là-bas. » Ces premières paroles en voix-off font déjà peser un profond sentiment d’amertume sur les premières images d’une campagne anglaise solaire et majestueuse, telle que la découvre pour la toute première fois le jeune Leo Colston, à peine âgé de douze ans. Interprété par le jeune et prometteur Dominic Guard (que l’on retrouvera quelques années plus tard dans l’énigmatique Pique-Nique à Hanging Rock de Peter Weir), Leo est une pièce rapportée, presque un intrus et très certainement une curiosité pour la très respectable famille Maudsley. Orphelin de père, garçon des villes, il est le symbole du fossé qui sépare les classes modestes et ouvrières d’une aristocratie dont la domination s’opère sans la moindre forme de contestation. Dans une lettre, la mère de Leo lui reproche de vouloir rentrer à Londres, insistant sur la générosité dont les Maudsley font preuve à son égard. Une générosité purement illusoire puisque le garçon n’échappera jamais à sa condition « d’outil », même lorsque, 50 ans plus tard, Marian (Julie Christie, magnifique) le fait venir pour réclamer un dernier service auquel elle n’a pourtant pas droit.
L’amour est dans le pré
Ses amitiés et ses convictions à gauche lui ayant valu un exil forcé d’Hollywood en plein Maccarthysme, Joseph Losey ne peut nier la dimension fortement politique de son Messager. Loin de ressembler (fort heureusement) à un tract, le film ne manque pourtant pas de mettre en lumière la toxicité et la cruauté des liens entre classes sociales, prenant ici pour exemple l’Angleterre du début du siècle dernier. Losey y parvient au travers de son personnage principal qu’il ne quitte jamais. Leo est à la fois un intermédiaire, un trait d’union entre l’aristocratie et la ruralité, un témoin innocent et une victime collatérale. S’interdisant de verser dans le mélodrame ou la romance champêtre et pittoresque, le réalisateur et son scénariste conservent une saine distance vis à vis de la liaison entre Marian et Ted Burgess (Alan Bates, qui retrouve sa partenaire de Far From The Madding Crowd, version John Schlesinger de 1967), ne réunissant les amants que pour deux courts moments. Le premier au cours d’une fête de village, lors d’une chanson en duo où la tension est palpable, et le second à la toute fin, lorsque la mère de Marian surprend sa fille en pleine étreinte avec Ted et sous le regard d’un Leo désormais traumatisé à vie. Fiancée à un vicomte, Marian n’a bien évidemment pas le « droit » de coucher avec Ted Burgess, le fermier, l’ennemi qu’il faut éliminer (lors d’un match de cricket où il faut réaffirmer sa supériorité) et envoyer au front. Et Losey de jeter le doute sur les motivations de la jeune femme. Ne se sert-elle pas de Burgess, l’homme viril et bestial, le bourreau des cœurs, pour assouvir ses besoins sexuels comme elle se sert de Leo pour transmettre ses messages ? Le suicide du fermier témoigne de l’honneteté de son amour mais on ne peut pas en dire autant de Marian, sa part d’ombre ayant été révélée plus tôt lors d’un échange tendu avec Leo. Face au garçon refusant d’accomplir sa mission, la demoiselle n’hésite pas à recourir au chantage et à l’humiliation, rappelant les cadeaux et sa « gentillesse ». Après la séduction, la manipulation. L’expérience malheureuse de Leo est en réalité celle des classes dites « moyennes » dont les puissants se servent pour diviser les pauvres, leur donner des illusions d’égalité et asseoir encore davantage leur position tout en haut de l’échelle sociale.
Baignant dans une superbe lumière estivale magnifiée par la photographie impressionniste de Gerry Fisher et rythmé par les accords entêtants du score de Michel Legrand (lequel verra son thème réutilisé dans … Faîtes entrer l’accusé sur France 2 !), Le messager est une œuvre semblable à la Belladone, plante dont elle use comme motif récurrent à divers points du récit : magique et ensorcelante mais empoisonnée.
Image
Un master dans l’ensemble propre et lumineux et aux couleurs séduisantes mais dont la compression perfectible et le fourmillement bien visible laissent la définition en retrait. C’est tout à fait honorable mais il manque le velouté de l’édition anglaise de Studiocanal.
Son
Une fois encore, la version française (d’époque) peine à se mesurer à sa rivale originale, dont le léger souffle n’entame en rien une belle ouverture à l’avant et un rendu dynamique et clair de la bande son et des dialogues. Dans les deux cas, les ambiances manquent de présence.
Interactivité
Spécialiste de Joseph Losey (au sujet duquel il a publié un ouvrage chez Acte Sud) et d’Harold Pinter, Michel Ciment propose une analyse exhaustive, passionnante et pertinente du film, de son écriture à son sacre cannois, au nez et à la barbe d’un Luchino Visconti furieux de concéder la récompense suprême qui lui était promise pour Mort à Venise.
Liste des bonus
Entretien avec Michel Ciment (25 minutes).