LE MALIN & AU-DESSUS DU VOLCAN
Wise Blood & Under the Volcano – Etats-Unis, Allemagne, Mexique – 1979 / 1984
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : John Huston
Acteurs : Brad Dourif, Harry Dean Stanton, Dan Shor, Amy Wright, Albert Finney, Jacqueline Bisset, Anthony Andrews, Ignacio Lòpez Tarso…
Musique : Alex North
Durée : 106 et112 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Français & Anglais DTS-HD Master Audio 1.0
Sous-titres : Français
Éditeur : Carlotta Films
Date de sortie : 7 avril 2021
LE PITCH
Vétéran de l’armée, Hazel Motes retrouve le domicile familial abandonné et délabré. Il décide alors de partir pour la ville, prêchant en pleine rue ses convictions anti-religieuses, …
1938, au Mexique. Ex-consul britannique, Geoffrey Firmin est sous l’emprise de l’alcool et traverse le Jour des morts entre ivresse et sobriété, accompagné de sa femme et de son demi-frère…
Les damnés de la terre
John Huston, pile et face. Réalisés, respectivement, en 1979 et en 1984, Le Malin et Au-dessous du volcan proposent un condensé précieux et intemporel des obsessions de cet immense artiste dont l’œuvre court sur plus de quatre décennies. Du sud profond des États-Unis au Mexique d’avant la Seconde Guerre Mondiale, le réalisateur du Faucon Maltais et du Trésor de la Sierra Madre colle aux basques d’anti-héros luttant contre leurs démons intérieurs et la Terre toute entière.
Au son d’une mélodie redneck aux accents contradictoires composée par Alex North (entre espièglerie et mélancolie), le générique d’ouverture du Malin fait se succéder des clichés en noir et blanc des routes du Sud profond, un décor envahi de panneaux où messages religieux et slogans publicitaires finissent par se confondre. C’est dans cet asile à ciel ouvert, moite et en décrépitude, que le jeune Hazel Motes va tenter de tracer son chemin, quittant la campagne pour la ville, dans l’idée de fonder SON église, l’église de la Vérité sans Jésus Christ. Une quête jusqu’au-boutiste, brutale et absurde. Autour d’Hazel, incarné avec ferveur par un Brad Dourif exceptionnel, gravite une galaxie de personnages étranges et misérables, drôles et pathétiques. Un faux prêcheur qui fait semblant d’être aveugle, sa fille prénommée Sabbath, un simple d’esprit fasciné par les singes et une momie pygmée, une vieille logeuse en mal d’amour, un bonimenteur de foire qui se voudrait impresario. Même la voiture défoncée d’Hazel, que ce dernier négocie pour une somme dérisoire, finit par acquérir une personnalité. Hazel se bat jusqu’à meurtrir sa chair pour définir une ligne claire dans une prison labyrinthique. Kafka n’est pas loin.
Alex North est toujours à la manœuvre sur le générique d’ouverture d’Au-dessous du volcan, cordes pincées et moqueuses rythmant la danse de squelettes grossiers, imagerie classique du Dia de Muertos mexicain. Et la caméra de suivre sans jamais vaciller les déambulations éthyliques du Consul (ou plutôt, ex-consul) Geoffrey Firmin, accompagné de sa femme Yvonne, de retour après une année d’absence et un divorce prononcé à distance, et son demi-frère Hugh, beau-gosse et aventurier engagé politiquement. Un zigzag permanent mené par un homme dont l’alcoolisme maladif lui offre – paradoxalement – une vision claire du monde violent qui l’entoure. Dans l’un de ses plus grands rôles, Albert Finney conjugue dignité blessée, discours virulents et démarche titubante sans jamais verser dans le ridicule. Tel un Don Quichotte noyé dans la téquila, il ne dévie jamais et persiste à contre-courant de tous ceux qui l’entoure et qui, malgré sa déchéance, l’aiment encore.
De la page à l’écran
Dashiell Hammett, Tennessee Williams, Herman Melville, B. Traven, W.R. Burnett, Rudyard Kipling, … John Huston, lui-même scénariste, aimait les écrivains, obscurs ou célèbres. En les adaptant, le cinéaste ne cherchait jamais la facilité mais plutôt la fidélité, l’hommage à un texte l’ayant touché au cœur. Premier roman de Flannery O’Connor, écrivaine et fervente catholique de Géorgie, « La sagesse dans le sang » (titre autrement plus juste que Le Malin) est publié en 1952. Huston ne dévie guère de l’intrigue et des personnages imaginés par O’Connor. À l’exception d’une poignée de flashbacks oniriques où Huston incarne lui-même le terrifiant grand-père d’Hazel Motes, prêcheur itinérant promettant les flammes de l’enfer à sa congrégation, Le Malin recourt à une narration fermement linéaire. John Huston souligne ainsi le caractère inéluctable du triste destin qui attend Hazel Motes. Et Huston de pousser le respect de l’œuvre originale en tournant en Géorgie, à Macon, histoire d’ancrer son métrage dans l’authenticité la plus stricte. Des changements, le cinéaste en apporte toutefois quelques-uns. Si le roman fait de Motes un vétéran de la Seconde Guerre Mondiale, le film préfère rester dans le vague et éviter les références au Vietnam qui, fin des années 70 oblige, lui pendaient au nez. Quant au dernier plan, il se veut nettement plus ambiguë que la conclusion imaginée par Flannery O’Connor. Par petites touches, Huston imprime son propre fatalisme.
Au-dessous du volcan est une toute autre affaire. Réputé inadaptable, le roman de Malcolm Lowry est pris d’assaut par le gratin du 7ème Art dès sa publication en 1947. Lowry lui-même est le premier à tenter de transformer son magnum opus en scénario. Sans succès. L’acteur Zachary Scott (La femme aux maléfices de Nicholas Ray) est le second à s’y casser les dents. Alan Bridges, Jules Dassin, Joseph Losey, Ken Russell, Luis Buñuel et même le romancier Gabriel Garcia Marquez suivront. Le fait est qu’entre monologues internes, divagations d’alcooliques et structures narratives symboliques, il est plus que compliqué d’extraire une intrigue cinématographique d’Au-dessous du volcan. Aidé du scénariste Guy Gallo, John Huston reprend le flambeau avec pragmatisme, jouant de l’unité de temps (le récit se déroule sur 24 heures), supprimant des personnages et dégageant l’essence du roman avec une apparente et arrogante simplicité. La linéarité, encore et toujours. Le cinéaste fait en outre un usage judicieux de sa connaissance intime du Mexique (où il réside) pour retranscrire l’ambiance unique d’une contrée déchirée entre violence, religion, luxure et célébrations sans fin. Occupant tout le cadre en clôture et en ouverture, le volcan Popocatepetl renvoie à la boucle narrative imaginée par Lowry, très inspiré par l’Enfer de Dante. La preuve qu’une seule image peut se substituer à mille mots.
Image
Carlotta offre une seconde jeunesse à des masters déjà exploités en 2008 sur support DVD. On y gagne bien évidemment en termes de définition, avec des arrières-plans plus contrastés et détaillés, et sur le plan de la colorimétrie, plus naturelle et moins uniforme. Sur Le Malin, il est enfin permis de redécouvrir les nuances de bleu, de vert et de brun de la photographie de Gerry Fisher. Entre la poussière, l’humidité de la végétation et un ciel de plomb, les touches de rouge habilement disséminées par Gabriel Figueroa dans les compositions picturales d’Au-dessous du volcan sont également à la fête. Un grain fugace mais parfois excessif, un peu de bruit vidéo et quelques tremblements d’image sont les seuls reproches qu’il est permis d’adresser à un travail globalement exemplaire.
Son
Sans démériter sur la qualité du doublage, les versions françaises souffrent de petites bizarreries et de soucis techniques. Sur Le malin, d’aucuns auront cru judicieux de traduire les nombreuses pancartes du générique de début, empiétant sur la superbe musique rustique d’Alex North. Dans le cas d’Au-dessous du volcan, les voix peuvent manquer de clarté ou se retrouver parasitées par un mixage caverneux. Étrange et regrettable, la dynamique et la propreté n’ayant rien à envier à celles des versions originales, légitimement et indiscutablement supérieures.
Interactivité
Rescapés de la précédente édition (enfin, presque tous), les suppléments trouvent tout naturellement leur place dans les blu-rays qui nous parviennent aujourd’hui. Les deux films sont précédés d’une intervention précise et cinéphile de l’inimitable Patrick Brion, entre anecdotes passionnantes et impressions subtiles. Très pointue mais parfaitement condensée, l’analyse de Christian Viviani (de la revue Positif) sur Le Malin donne une lecture claire d’un film parfois déconcertant et invite à de nouveaux visionnages. Dommage que l’entretien d’une dizaine de minutes entre John Huston et Michel Ciment soit la seule perte à déplorer d’un format à l’autre. Un reproche qui ne s’applique heureusement pas à l’interactivité d’Au-dessous du volcan. Le timbre de voix unique de John Huston répond avec entrain et concision aux questions du sieur Ciment dans un document audio de première bourre. On retrouve avec plaisir le formidable making-of réalisé par Gary Conklin d’une durée de près d’une heure, « Notes sur Au-dessous du volcan », riche en image de tournage et dévoilant la simplicité désarmante de la « méthode » Huston. À se réserver en toute fin de programme, l’analyse de Serge Chauvin met l’accent sur le travail d’adaptation du roman de Malcolm Lowry, louant le pragmatisme et l’engagement de John Huston et de son co-scénariste Guy Gallo.
Liste des bonus
Préfaces de Patrick Brion, « Hazel, le révolté », entretien avec Christian Viviani (19’), « Conversation avec John Huston » (18’), « Au-dessous du volcan : L’ivresse lucide », analyse de Serge Chauvin (22’), « Notes sur Au-dessous du volcan », documentaire de Gary Conklin (59’), Bandes-annonces originales.