LE GÉANT DE LA STEPPE
Илья Муромец – Russie – 1956
Support : Bluray & DVD
Genre : Fantastique
Réalisateur : Aleksandr Ptushko
Acteurs : Boris Andreyev, Shukur Burkhanov, Andrei Abrikosov, Natalya Medvedeva
Musique : Igor Morozov
Durée : 91 minutes
Image : 2.35 16/9
Son : Russe et français 2.0 mono
Sous-titres : Français
Éditeur : Artus Films
Date de sortie : 01 mars 2022
LE PITCH
Avant de s’endormir pour toujours, le géant Svyatogor remet son épée à des pèlerins, leur ordonnant de la donner au preux qui sera digne de défendre sa terre. Alors que les Tougars pillent la région, les pèlerins remettent l’épée à Ilya, un paysan vivant à Mourom qui a les jambes paralysées. Grâce à une potion magique, Ilya retrouve ses forces et s’en va se battre contre l’envahisseur qui a enlevé son épouse Vassilissa. Il devra affronter mille dangers pour devenir le preux qui mérite gloire et immortalité.
Les héros de Kiev
Maître du cinéma populaire russe et véritable enchanteur du grand écran, Aleksandr Ptushko signe avec Le Géant de la steppe un poème épique célébrant comme il se doit la beauté et la force de la culture soviétique. Mais décrivant le siège de la belle Kiev par une horde de barbares, il se teinte ces jours-ci d’une étrange et triste ironie.
Maniant aussi bien la stop-motion, tous les trucages classiques du cinéma, qu’un véritable sens de la mise en scène spectaculaire, Aleksandr Ptushko plaisait, malgré quelques écarts, à Joseph Staline. Un statut privilégié qui lui permit avec Le géant de la Steppe de jouer une nouvelle fois les précurseurs en profitant d’un budget colossal, de milliers de figurants (décuplés par le montage et les effets optiques) et des dernières trouvailles techniques piquées aux vilains américains : un son stéréophonique sur quatre pistes, le Sovcolor et le Sovscope en guide de Cinémascope. Des outils qu’il manie à la perfection, offrant un sens du cadre incomparable, jouant sur des tableaux lumineux, vifs et colorés, retrouvant volontairement la plastique évocatrice des toiles de Victor Vasnetsov. Les décors, à la fois réels, physiques, et superposant peintures de fond et maquettes géantes, viennent eux aussi mélanger allégrement un réalisme historique légèrement naïf avec un sens du merveilleux, du conte, qui rappelle les mystères qui entourent la légende de Ilya Mouromets. Un héros profondément ancré dans la culture soviétique et en particulier en Ukraine puisqu’il fut le grand défenseur de la ville de Kiev devant les hordes d’invasion tartares de Kaline Tsar.
Seul face au vent
Des origines historiques probables, de nombreux aménagements avec la réalité, c’est ce symbole de courage, de droiture, de fraternité et d’assurance de l’âme slave, qu’Aleksandr Ptushko choisit d’inscrire immédiatement dans un contexte fantastique en ouvrant son film par la vision titanesque, digne du Seigneur des anneaux, du géant Svyatogor se laissant happer par la terre après avoir confié son épée à quelques pèlerins qui devront trouver le preux chevalier qui en sera digne. Un monde de fable, de légendes épiques, qui touche autant au merveilleux de Walt Disney avec une séquence chantée en hommage à son Blanche Neige et les 7 nains, qu’à la puissance picturale ensorcelée du Fritz Lang des Nibelungen, entre scène de bacchanale crépusculaire, démon souffleur et affrontement contre un dragon géant à trois tête (taille réelle SVP !). On excuse alors une structure scénaristique épisodique qui reprend celle des textes anciens, et on se laisse emporter par les aventures de l’imposant chevalier auquel le cinéaste prête des valeurs moins patriotiques qu’humanistes, moquant les nobles et les bourgeois de la cours de Kiev et faisant de l’appât du gain de Kaline la cause de sa perte. Comme dans tous ses films Ptushko célèbre ainsi, avec le coffre chaleureux de l’acteur Boris Andreïev (Une Grande Famille, Les Cosaques…), la beauté de la terre natale et le courage des peuples agricoles et ouvriers, ciment du monde slave.
Toujours célébrés aujourd’hui à Kiev, on ne peut qu’espérer que son esprit vienne en aide aux résistants ukrainiens, devant non plus faire face aux invasions tartares, mais à aux hordes de Vladimir Poutine. Chaque époque ses barbares…
Image
Encore une superbe copie pour un film de Ptushko chez Artus Films. La restauration opérée à la source est évidente et frappante délivrant des cadres impeccablement propres, particulièrement stables, ce qui permet aux couleurs de retrouver toute leur fraicheur et leur vivacité. La palette Sovcolor (copie communiste du Technicolor) est richement reproduite, tandis qu’un piqué pointu porte généreusement un Sovscope impressionnant. Même les séquences comportant quelques trucages visuels ne flanchent pas, sans apparition de grain neigeux et autres faiblesses du même acabit.
Son
Sans fioriture l’éditeur français glisse ici les pistes monos d’origine. Celles-ci ont profité d’un petit rafraichissement bienvenu. Dans les deux cas, c’est propre, direct et efficace. A noter sur le doublage français des chansons en russe sous-titrées et un échange de quelques secondes non traduit.
Interactivité
Comme pour Le Conte du Tsar Saltan et Vij, Artus Films propose un superbe Mediabook avec son livret de 60 pages piqué en son centre. Un ouvrage toujours confié à Nicolas Bonnal (Le Paganisme au cinéma, Les Mystères de Stanley Kubrick…) dans lequel on explore bien entendu les coulisses du film, avec entre autres une courte interview inédite de la fille de Ptushko, mais aussi et surtout le mythe Ilja Muromets. De ses origines historiques et orales jusqu’à son incarnation à l’écran, sans oublier ses symboliques profondes, l’article est passionnant avec en conclusion une reproduction des contes originaux.
Sur les disques Bluray et DVD, on peut visionner deux nouvelles interventions de Christian Lucas et Stéphane Derderian, évoquant essentiellement pour le premier les particularités du film, les techniques de Ptushko et la distribution pas toujours des plus honnêtes hors frontières soviétiques (titres, remontages…), et le fantastique merveilleux pour le second.
Liste des bonus
Le livret « Ilya Murometz : une épopée symbolique » rédigé par Nicolas Bonnal (64 pages), Présentation du film par Christian Lucas (27’), « Ptouchko l’enchanteur » par Stéphane Derderian (15’), Diaporama d’affiches et photos (4’), Bande-annonce originale.