LE FESTIN NU
Naked Lunch – Canada, Royaume-Uni, Japon – 1991
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Fantastique
Réalisateur : David Cronenberg
Acteurs : Peter Weller, Judy Davis, Ian Holm, Julian Sands, Roy Scheider, Monique Mercure…
Musique : Howard Shore
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais DTS HD Master Audio 5.1 & 2.0, Français DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 115 minutes
Editeur : Metropolitan Films
Date de sortie : 03 mai 2024
LE PITCH
1953, à New York. Un ancien drogué, Bill Lee, devenu exterminateur de cafards, est mis sous les verrous par deux agents de la brigade des stupéfiants. Dans le commissariat, un insecte géant le charge d’une étrange commission à transmettre dans le cadre d’une incompréhensible mission d’espionnage. Tout à sa tâche, Bill Lee découvre que sa femme se drogue avec de la poudre insecticide. Le docteur Benway lui prescrit un puissant narcoleptique mais, à son retour, Bill Lee constate que sa femme le trompe avec deux amis à la fois. Il cause accidentellement sa mort et s’enfuit dans le secteur international de Tanger, Interzone, où un extraterrestre, un Mugwump, le rejoint…
Rien n’est vrai tout est permis
Après Videodrome, La Mouche ou Faux Semblants, David Cronenberg n’a plus rien à prouver et surtout semble ne plus rien se refuser… Même pas de s’attaquer au sacro-saint Le Festin nu, ouvrage culte de l’underground et exutoire expérimental et révolutionnaire d’un romancier assouvissant sa toxicomanie. A l’arrivée une œuvre délicieusement hybride, profondément mutante et transgressive.
Début des années 90, David Cronenberg encore trop souvent considéré comme un réalisateur de film d’horreur, est à l’apogée d’un cycle. Celui peuplé par son exploration de la nouvelle chair, d’une transhumanité personnelle, d’une évolution jalonnée de monstres accompagnés d’effets spéciaux démonstratifs qui font que beaucoup, bêtement, le rapproche du cinéma d’exploitation et de l’horreur. En apparence, et en apparence seulement, Le Festin Nu pourrait leur donner raison avec ses machines à écrire cafard qui taillent le bout de gras en parlant par leur anus, ses créatures aliens traient avidement pour nourrir la population de junky ou ces chairs qui ne cessent de se déchirer pour révéler un médecin-gourou dissimuler sous l’apparence d’une femme de chambre à la rigueur militaire, ou pour illustrer un coït terminal. Un sacré tour de force technique et un bestiaire délirant rendu à merveille par des animatronics pointus mais qui sont en l’occurrence intégralement au service de la fusion entre le cinéma de David Cronenberg et la littérature de William S. Burrough. Le chef de file de la fameuse Beat Generation et qui rédigea de 1954 à 1957, de Tanger au quartiers St Michel de Paris, un manifeste involontaire, délire totalement déstructuré par la technique du cut-up (l’auteur s’était amusé à mélanger les chapitres), avec son Festin Nu que tout le monde s’accordait à qualifier d’inadaptable.
« Je suppose que c’est le moment de notre routine Guillaume Tell.»
Cronenberg mettra d’ailleurs quelques années avant d’aboutir à un script convaincant, mais certainement pas en optant pour la méthode facile. Il s’agit moins d’un travail d’adaptation que de totale réinterprétation, le cinéaste réorganisant les épisodes du roman à sa manière, préservant certaines images, dégageant d’autres, creusant la figure féminine et un fantastique plus visuel (c’est bel et bien du cinéma), et surtout inclut dans son tableau des emprunts à d’autres ouvrages de l’auteur et des détails biographiques connus. En prenant de la distance avec le roman, Le Festin Nu réussit mieux que personne à capturer l’esprit de l’auteur et la réalité trouble et insaisissable de sa création. Le Festin nu n’est alors certainement pas aussi fragmenté que son modèle, mais cultive à sa manière une absence de frontière entre le réel présumé, le réel filmique et celui qui s’échappe de l’imaginaire paranoïaque de son protagoniste Bill Lee (quand le Peter Weller de Robocop se confond avec Burrough). Le maelström obtenu ne pouvant dès lors se refuser aucune limite. Ce n’est pas véritablement un simple trip, mais bien une immersion beaucoup plus profonde avec la pensée délirante d’un auteur embrassant les effets des stupéfiants (de l’insecticide pour cafard aux excrétions des mugwumps), s’échappant dans une ville d’orient fantasmée nommée l’Interzone, se construisant un rôle d’agent double (ou triple) dans un obscure monde d’agents secrets décadents, afin d’échapper aux affres de la création littéraire, à ses pulsions homosexuelles, à la mort accidentelle de son épouse (femme double et qu’on devine infinie) et plus généralement à sa peur évidente de la mort et la décrépitude.
Un pont entre deux esprits (Burrough et Cronenberg), entre deux arts (la littérature et le cinéma), deux sexualités (l’homosexuel et l’hétérosexuel), deux époques (les 50’s et les 90’s), deux rapports à la drogue (réel pour l’un, volontairement absurde pour l’autre), qui forcément ne peut se déflorer pleinement en un seul visionnage. Comme en atteste l’obsédante et sublime bande originale d’Howard Shore, accompagné du saxophoniste Ornette Coleman, Le Festin nu est presque un film de free jazz, multipliant les sonorités, les influences, les interprétations, les solos renversants et les orchestrations déroutantes. Un film sans pareil et un authentique chef d’œuvre.
Image
La superbe restauration 4K du Festin nu arrive en France après une apparition remarquée l’année dernière chez Arrow. Un tout nouveau master effectué à partir d’un scan 4K du négatif 35 mm qui a été naturellement nettoyé, stabilisé et rééquilibré dans la foulée, avec traitement HDR10 et Dolby Vision particulièrement généreux. Le rendu est estomaquant après de longues années de transferts très moyen (au mieux) en France, le film retrouvant une photographie particulièrement riche et chaude (en particulier du coté des jaunes, des bleus et des verts). Le tout aboutit à des tableaux assez somptueux à la profondeur remarquable, aux piqués pointus, au grain organique révélant une masse de détails et de textures qu’on ne pouvait jusque-là que deviner.
Son
Si l’édition propose une version originale DTS HD Master Audio 5.1, celle-ci date d’un travail plus ancien et dénote par quelques bidouillages et déséquilibres pas toujours très convaincants.
Restauré en même temps que l’image à partir de sa piste magnétique, la stéréo d’origine est bien plus agréable, plus homogène, plus fluide et assure un confort certain avec des dialogues bien clairs et dynamiques et une belle présence offerte au travail d’Howard Shore.
Interactivité
Bien belle édition que propose là l’éditeur Metropolitan (même si le visuel est très loin des illustrations inédites d’Arrow) réunissant dans un coffret en carton dur et solide un digipack élégant et un livret plutôt conséquent. Ce dernier ne se contente pas de recycler quelques images du film ou de la production mais propose trois textes on ne peut plus intéressants. Une introduction joliment écrite par Nicola Rioult, une note d’intention de David Cronenberg et le long entretien effectué par Serge Grünberg pour Les Cahiers du cinéma pendant la production du film. Une rencontre passionnante qui revient sur le travail d’adaptation, le rapport à l’œuvre de Burrough, sa représentation à l’écran, le rapport au réel et à la fiction et un propos qui s’étend vers d’autres film du cinéaste (La Mouche, Videodrome…).
On en retrouve d’une certaine façon le pendant en image sur les deux disques avec l’excellent documentaire Naked Making Lunch. Un making of foisonnant de près d’une heure, restauré à partir de la source 16mm, mélange d’image de tournage, d’interviews et d’une conférence de presse avec Cronenberg et Burrough, où l’on revient constamment sur cette rencontre artistique totale entre l’approche filmique, forcément traitresse, et la source initiale, forcément inadaptable. Tout y est, des questions techniques (décors, effets spéciaux…) aux explorations de thématiques profondes.
Le reste du programme provient plus largement des archives d’anciennes éditions françaises avec un commentaire audio pas inintéressant mais toujours laconique par David Cronenberg, une autre rencontre avec le producteur Jeremy Thomas (qui répète ce qu’il dit déjà dans le doc), une présentation / analyse du film par le critique Serge Grünberg et la restitution d’une « Masterclass » du réalisateur et d’Howard Shore à la FNAC en 2002 qui du coup aborde plus largement la longue et fructueuse collaboration entre les deux artistes.
Liste des bonus
Un livret (64 pages), Commentaire audio de David Cronenberg (VOST), Entretien avec Jeremy Thomas (19’), « Naked Making Lunch » : making of de Chris Rodley (1992, 52’), Masterclass de David Croneberg et Howard Shore (2002) (20’), Analyse de Serge Grünberg (11’), Bande-annonce.