LE DÉPUTÉ & NAVAJEROS
El Diputado, Navajeros – Espagne – 1978, 1980
Support : Bluray & DVD
Genre : Drame
Réalisateur : Eloy de la Iglesia
Acteurs : José Sacristan, Maria Luisa San José, José Luis Alonso, Enrique Vivo, José Luis Manzano, Isela Vega, Veronica Castro, Jaime Garza…
Musique : Burning
Durée : 110 et 95 minutes
Image : 1.66 16/9
Son : Espagnol PCM 2.0
Sous-titres : Français
Editeur : Artus Films
Date de sortie : 7 mai 2024
LE PITCH
Membre d’un parti de gauche, Roberto Orbea est élu député. Marié à Carmen, il tente de camoufler son homosexualité. Mais ses adversaires politiques découvrent sa double vie et engagent un jeune prostitué, Juan, pour faire éclater un scandale / Âgé d’à peine 15 ans, El Jaro tente de survivre dans son pays dont le taux de chômage n’a jamais été aussi haut. Avec sa bande, il commet de menus larcins et croise la violence chaque nuit, …
La nouvelle chair
Après de fort belles éditions consacrées à La semaine d’un assassin (aka Cannibal Man) et à un trio de films « quinqui » (sous-genre consacrée à la violence juvénile), Artus Films poursuit son exploration du cinéma subversif d’Eloy de la Iglesia avec un joli doublé qui rend compte de l’état de la société espagnole après la chute du franquisme. Mélangeant politique, sexualité, violence et fatalisme, Le député et Navajeros s’affichent comme de purs produits de leur époque et poussent à la réflexion, chacun à sa façon.
Issu de la bourgeoise basque, homosexuel et communiste revendiqué, Eloy de la Iglesia estimait que la liberté sexuelle et la démocratie était indissociables dans la marche vers le progrès. Cette idée est au centre d’El Diputado, étonnant hybride de thriller politique et de mélodrame queer, lointain cousin de La Victime de Basil Dearden. En parallèle du portrait factuel et complexe d’un activiste de gauche (José Sacristan, émouvant) en pleine ascension au sein de son parti et du gouvernement, de la Iglesia, co-scénariste du film, développe ainsi une romance gay qui est autant une tentative d’émancipation que la pièce maîtresse d’un complot ourdie par un groupuscule fasciste.
El Diputado témoigne du chaos social de l’après-Franco avec une démocratie naissante, fragilisée par ses propres contradictions et une certaine hypocrisie ainsi que par une nostalgie de la dictature, fermement enracinée dans une part de la population et des élites déchues. Condamnée d’avance, la relation entre le quadra à l’homosexualité trop longtemps refoulée et un gigolo (mineur, de surcroît) sans éducation mais au physique angélique, est abordée sous tous les angles. Eloy de la Iglesia met en lumière l’immoralité mais aussi la beauté de cette histoire d’amour, poussant dans le rouge (c’est le cas de le dire) les curseurs de l’ambiguïté et de l’inconfort du spectateur. Certaines idées font mouche, comme le fait que l’épouse du personnage principal accepte contre toute attente l’homosexualité de son mari, se joignant à leurs ébats pour une scène muy caliente, sensible et provocatrice, ou encore la différence de goûts musicaux entre la bourgeoise et une jeunesse populaire, témoignage d’une révolution culturelle qui file à toute allure. Le surlignage en gras du discours politique et les pirouettes narratives pour « excuser » les écarts d’un homme qui joue aux mentors avec son jeune amant sont un peu plus discutables et plombe parfois le film. L’énergie et la franchise d’une mise en scène coup de poing emportent toutefois largement le morceau tandis que l’incertitude de l’épilogue est à glacer le sang.
Orange mécanique
Et si El Diputado abordait déjà de façon par la bande la détresse de la jeunesse espagnole, prise en étau entre une pauvreté écrasante et la libéralisation de la société, Navajeros s’y attaque quant à lui sans détour. On aurait certes pu se passer de l’artificialité d’une sous-intrigue greffée au chausse-pied où José Sacristan (encore lui!) joue les journalistes de gauche, insistant lourdement sur les enjeux en voix-off et à grands coups de statistiques. Mais cette fiction, librement inspirée du parcours de « El Jaro », véritable bandit adolescent mort à Madrid à l’âge de 16 ans, est un sacré putain d’uppercut sur pellicule, ayant tout à fait sa place entre Orange mécanique de Stanley Kubrick et Spetters de Paul Verhoeven (d’ailleurs sorti la même année que Navajeros et comportant lui aussi une scène traumatisante de viol en réunion). C’est dire l’impact – largement sous-estimé- du seizième long-métrage d’Eloy de la Iglesia, alors au sommet de sa force créatrice.
Entièrement au service du charisme du surprenant et juvénile José Luis Manzano, la réalisation d’Eloy de la Iglesia est frontale, puissante et enivrante. Enchaînant les scènes de braquages, de bagarres, d’errances nocturnes et d’amour (la romance innocente et sincère entre le jeune « héros » et une prostituée de vingt ans son aînée est le véritable cœur de l’histoire) au rythme d’une bande-son réussie qui alterne musique classique et pop rock latine, Navajeros fascine, interpelle et choque à chaque instant jusqu’à un final tragique et inévitable d’une violence inouïe où le cinéaste ose un raccord sanguinolent entre l’orifice d’une blessure par balle et la naissance d’un enfant plein cadre et sans effets spéciaux. La vie et la mort dans un même ballet sanglant et arbitraire qui mutile les chairs, métaphore d’une nation qui engendre ses propres démons mais qui ne cesse pourtant d’avancer et de croire en son avenir, quel qu’il soit. Autant dire que la (re)découverte s’impose d’elle-même !