LE DÉMON DE LA CHAIR

The Strange Woman – Etats-Unis – 1946
Support : DVD
Genre : Film noir, Thriller
Réalisateur : Edgar G. Ulmer
Acteurs : Hedy Lamarr, George Sanders, Louis Hayward, Gene Lockhart
Musique : Carmen Dragon
Durée : 100 minutes
Image : 1.37 16/9
Son : Anglais Mono
Sous-titres : Français
Editeur : Artus Films
Date de sortie : 01 décembre 2020
LE PITCH
Enfant, Jenny essaie de tuer son compagnon de jeu Ephraïm sans y parvenir. Devenue adulte, elle épouse le père d’Ephraïm, un homme aussi âgé que fortuné. Amoureux d’elle, Ephraïm est repoussé par l’aventurière qui promet de ne se donner à lui qu’à la condition qu’il assassine son vieil époux.
La veuve noire
Tombé dans le domaine public maintenant, Le Démon de la chair ressort dans une édition peu engageante sur le plan technique. Pourtant ce film noir à la croisée de nombreux genres mérite d’être (re)découvert.
Adapté d’un roman de Ben Aimes Williams sortie en 1946, soit l’année précédant la sortie du film, Le Démon de la chair est réalisé par Edgar G Ulmer, un metteur en scène spécialisé dans les séries B mais qui possédait une forte identité graphique hérité de son passé où il était assistant de Murnau sur L’aurore et de son travail avec Billy Wilder, Richard Siodmark et Fred Zinnerman sur Les Hommes le dimanche, sa première (co)réalisation (excusez du peu).
C’est la star, et productrice, du film Hedy Lamarr qui le choisit pour réaliser The Strange Woman (titre anglais du film), histoire racontant comment une jeune femme d’un milieu très pauvre va user de ses charmes et des faiblesses des hommes qui l’entourent pour gravir les échelons dans un petit village du Maine. Une femme fatale, manipulatrice (jusqu’au meurtre), typique du film noir des années 40 mais ici, point de détective désabusé en imper, le récit se déroule au 19e siècle et cet environnement va permettre de dévoiler une autre facette de cette figure archétypale.
La nuit de la chasseuse
Si la scène d’introduction (réalisé par Douglas Sirk, non crédité) nous montre des personnages très manichéens avec d’un côté les gens honnêtes et de l’autre, Tim Hager, le père de Jenny (le personnage d’Hedy Lamarr) alcoolique, violent et sa fille (encore enfant) manipulatrice, méchante et ambitieuse, mais le reste du film, au travers d’une très belle transition vers l’âge adulte, fissure très vite cette image. Le « gentil » commerçant qui refusait de faire boire un Tim Hager déjà alcoolisé est maintenant un homme d’âge très mur qui a des vues sur Jenny et qui a éloigné son fils de la ville pour écarter toute concurrence. Ainsi quand elle se réfugiera chez lui pour fuir son père violent, c’est dans le dos de Jenny que son destin sera décidé, par trois hommes qui choisissent pour elle quel mari serait le plus convenable à son bras. Sans se douter à leur tour que cette décision, déjà anticipée par Jenny, n’est que le premier pas de la jeune femme dans sa montée vers le pouvoir.
Le film nous dépeint donc le parcours d’une femme amorale dans une société immorale. Jenny n’est pas une personne superficielle qui cherche juste la fortune, elle cherche avant tout à avoir du pouvoir et elle a très bien compris comment en gagner de plus en plus dans ce monde où ceux qui le possède ne voit en elle qu’un physique à posséder à leur tour. Ephraïm, le fils du commerçant, qui a été victime de Jenny quand ils étaient enfants, se laissera très vite convaincre, par celle-là même adulte, que les souvenirs qu’il a d’elle sont faux et acceptera ceux, inventés, de Jenny qui font d’eux des amoureux de longues dates. Le fantasme plus fort que le réel.
Le film se place ainsi comme un vrai film noir par la figure de la femme fatale mais aussi dans le déroulement de son histoire, qui peut être vu comme un récit classique du « rise and fall » du film de gangster. Deux situations en miroir occupent le film, la première où Jenny se place en tête d’un triangle amoureux pour arriver à ses fins et dans la deuxième moitié où un autre triangle amoureux se forme mais cette fois plus destructeur pour elle.
L’autre influence forte du film et qui cette fois à créditer à Ulmer, c’est l’ambiance gothique qui imprègne tout le film. Magnifiquement photographié par le chef opérateur (français) Lucien Andriot, le film baigne dans des clairs-obscurs de toute beautés où les éclairages et les cadrages en disent plus sur les personnages que les dialogues. Des scènes comme celles où les trois hommes venant de choisir le futur époux de Jenny se tiennent autour de son lit pour lui annoncer la nouvelle ou la splendide séquence de la cabane sous un orage déchainé, qui mêle amour et mort, se placent presque à la lisière du fantastique et il n’est pas impossible de penser que Charles Laughton s’en inspirera quand il réalisera son conte macabre, La Nuit du Chasseur en 1955.
Hedy Lamarr ne s’est pas trompée en confiant le film à Ulmer, preuve de son intérêt pour l’histoire et son implication se sent entièrement à l’écran tant sa présence et son jeu en font un personnage passionnant à suivre. Garçe et machiavélique la grande majorité du temps, elle laisse parfois tomber son masque et fait deviner une humanité peut être trop enfouie, pour pouvoir faire sa place dans ce monde. Le titre anglais, The Strange Woman, faisant alors plus sens que le titre français plus sulfureux. La ressortie du film en DVD est donc une bonne occasion de découvrir ce récit bien plus profond que le pitch laisse paraitre, en espérant voir un jour une édition HD qui rendra vraiment justice à son magnifique visuel.
Image
L’image souffre de nombreuses griffures et de tremblements d’images qui gênent parfois la vision du film. Par contre la très belle photographie est bien servie par un joli travail sur les contrastes avec des noirs profonds et des blancs lumineux. On espère quand même voir arriver un jour un beau transfert en haute définition qui corrigera les défauts.
Son
Le DVD ne contient que la piste anglaise en mono mais le rendu est très correct. Les voix et les effets sonores sont claires et seul un léger souffle se fait entendre parfois mais sans que ce soit gênant pour la vision du film.
Liste des bonus
Bandes-annonces.