L’ARMÉE DES 12 SINGES
Twelve Monkeys – Etats-Unis – 1995
Support : UHD 4K & Blu-ray
Genre : Science-Fiction
Réalisateur : Terry Gilliam
Acteurs : Bruce Willis, Madeleine Stowe, Brad Pitt, David Morse, Christopher Plummer, Frank Gorshin, …
Musique : Paul Buckmaster
Durée : 129 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Français & Anglais DTS-HD Master Audio 5.1
Sous-titres : Français
Éditeur : L’Atelier d’Images
Date de sortie : 5 décembre 2023
LE PITCH
Dans un futur où l’immense majorité de la population a été décimée par un virus mortel, un prisonnier de droit commun, James Cole, est choisi pour être envoyé dans le passé afin de découvrir les causes de l’épidémie. Mais ce voyage à travers le temps met sa santé mentale à rude épreuve …
Le visiteur du futur
Inspiré par La Jetée de Chris Marker dont il est peu ou prou le remake, L’Armée des 12 Singes est sans nul doute le film le plus abouti à ce jour de l’iconoclaste Terry Gilliam. Entièrement au service du brillant scénario de David et Janet Peoples et d’un casting en béton armé, le réalisateur de Brazil livre un chef d’œuvre fragile et désespéré, d’une noirceur bouleversante, et sans jamais sacrifier à ses obsessions. Un miracle sur pellicule enfin disponible dans une édition blu-ray et 4K à la hauteur de nos attentes. Il était temps !
D’une durée de 27 minutes, réalisé en 1962, constitué de photographies en noir et blanc et narré par une voix-off à la neutralité inquiétante, La Jetée est assurément l’œuvre la plus célèbre du français Chris Marker. Il y raconte les voyages dans le temps d’un homme qui, pour sauver son époque ravagée par une guerre nucléaire, a pour mission de créer des ponts entre le passé, le présent et le futur. Visionnaire, poétique, nostalgique et romantique, le court-métrage s’achève sur un twist dévastateur et mémorable (et que nous tairons ici).
Environ trente ans plus tard, le couple de scénaristes David et Janet Peoples (Blade Runner, Impitoyable) livrent au producteur Charles Roven (Johnny Belle-Gueule, de Walter Hill) leur version de La Jetée, rebaptisée L’Armée des 12 Singes. Tout en collant au plus près de leur source d’inspiration, le duo développe et complexifie la relation entre leur visiteur du futur et le personnage féminin principal et redéfinit les enjeux de cette enquête à travers le temps où il est désormais question d’un virus mortel qui aurait été employé par des activistes/terroristes (la fameuse « Armée des 12 Singes ») pour se débarrasser de l’espèce humaine. En outre, les époux Peoples renoncent aux escapades bien trop ésotériques dans un futur encore plus lointain et soulignent davantage les effets dévastateurs du voyage dans le temps sur l’esprit humain, souffrant de plus en plus du décalage entre les époques.
S’il n’est pas le premier sur la liste de cinéastes à qui Charles Roven présente le projet, Terry Gilliam est en revanche le seul à manifester son intérêt. Par pragmatisme, bien sûr, puisqu’il n’a rien tourné depuis plus de trois ans, sa réputation de cinéaste « difficile » faisant fuir les studios. Mais aussi par affinité avec un script qui le fascine de bout en bout, par sa construction labyrinthique et son approche de la folie et de la perception de la réalité d’abord, mais aussi par le puissant sentiment de mélancolie qui s’en dégage.
Monnaie de singe
La promesse de ne pas s’éloigner d’un scénario dont il n’est pas l’auteur, un budget (29 millions de dollars) pas tout à fait à la hauteur de ses ambitions mais qu’il ne peut dépasser sous aucun prétexte, un climat qui fait des siennes, un producteur rigoureux qui ne passe aucun caprice au cinéaste et qui le pousse à se dépasser et des phases dépressives soudaines marquées par un manque terrible de confiance en soi : à défaut d’être apocalyptique ou tout à fait invivable, la production de L’Armée des 12 Singes met néanmoins Terry Gilliam sous pression. Frondeur, libertaire, volontiers baroque et grandiloquent dans sa mise en scène, le cinéaste parvient toutefois à trouver un équilibre entre la rigueur et la sensibilité qu’imposent le mélange délicat entre science-fiction et tragédie et les effets de style (grand angle, ruptures de ton, compositions surréalistes et grotesques) et les thématiques qui sont indissociable de son cinéma. La désorientation du héros, son internement dans un asile d’aliénés où il croise le chemin d’un Brad Pitt sérieusement détraqué et une galerie de personnages secondaires décalés et inquiétants (les « scientifiques » du futur, comme échappés d’une planche d’Enki Bilal, un clochard édenté, un prêcheur de l’apocalypse ou un maquereau patibulaire et susceptible) constituent autant de soupapes pour un Terry Gilliam libre d’insuffler au métrage son grain de folie et son humour cauchemardesque – sa « marque de fabrique », pour ainsi dire – à des points stratégiques de l’histoire.
Reposant sur une intrigue redoutable qui multiplie les fausses pistes et les allers et retours dans le temps tout en se laissant se dessiner une histoire d’amour entre deux âmes solitaires et brisées, L’Armée des 12 Singes est aussi et avant tout une réflexion puissante sur la nature du temps et sur la nature humaine et son penchant pour l’autodestruction. Loin d’être linéaire ou malléable, le temps apparaît ici comme une boucle qui nous emprisonne dans une souffrance sans fin. Quant à l’Apocalypse qui nous menace à chaque coin de rue, elle se profile comme la conséquence d’un aveuglement collectif et de pulsions suicidaires puériles.
Et si Terry Gilliam nous autorise brièvement à croire dans les dernières minutes à la romance entre Bruce Willis et Madeleine Stowe (tous deux magnifiques), ce n’est que pour mieux écraser tous nos espoirs lors d’un dénouement sans pitié. Les larmes aux yeux et le cœur en charpie, le cinéaste nous laisse digérer le générique de fin au son du « What a wonderful world » de Louis Armstrong. Snif.
Image
Épuisé depuis belle lurette, le bluray de 2009, simple conversion d’un master DVD à la qualité déjà discutable (colorimétrie qui tire vers le jaune, définition à la ramasse et compression visible) peut enfin reposer en paix. Heureusement, le master employé par L’Atelier d’Images est bel et bien issu de la restauration en 4K qui a déjà servi aux éditions anglaises et américaines déployées par Arrow Video. Soit une image fidèle au grain très apparent de la photographie crépusculaire et hivernale de Roger Pratt. Les textures et les visages y gagnent en naturel mais les plans à effets spéciaux dénotent par leur aspect parfois bruité.
Son
Match nul entre la version française et la version originale, riches en ambiance et très convaincantes dans le déploiement des effets en multicanal. La stéréo sans relief des éditions précédentes est bien loin et la musique et les dialogues y ont gagné en précision et en ampleur.
Interactivité
Le commentaire audio qui confronte Terry Gilliam à son producteur Charles Roven propose une formidable discussion à bâton rompu qui n’est malheureusement pas sous-titrée. C’est le seul reproche que l’on peut formuler à l’encontre d’une interactivité très complète. On y retrouve dans une très belle copie le court-métrage La Jetée (ça tombait sous le sens mais L’Atelier d’Images sont les premiers à le proposer conjointement au film de Terry Gilliam), l’indispensable making-of de Keith Fulton et Louis Pepe « The Hamster Factor & Other Tales of the Twelve Monkeys », une masterclass réalisée en 1996 au festival du film à Londres où le réalisateur réagit notamment à ce fameux documentaire et s’amuse de sa réputation et une interview rétrospective exclusive à cette édition où le même se souvient avec précision du tournage et de l’impact de L’Armée des 12 Singes sur sa carrière. N’en jetez plus !
Liste des bonus
Commentaire audio de Terry Gilliam et Charles Roven (VO), « The Hamster Factor et autres histoires de Terry Gilliam et L’Armée des 12 singes » (97′), Bande-annonce d’époque remasterisée, Bande-annonce 2023, Court métrage : « La Jetée » de Chris Marker, ayant inspiré le film (HD, 28 minutes), Master class de Terry Gilliam au London Film Festival (24′) / Entretien avec Terry Gilliam par Caroline Vié au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (28′).