LA SOIF DU MAL
Touch of Evil – Etats-Unis – 1958
Genre : Policier, Thriller
Réalisateur : Orson Welles
Acteurs : Charlton Heston, Janet Leigh, Orson Welles, Dennis Weaver, Marlene Dietrich, Zsa Zsa Gabor…
Musique : Henry Mancini
Durée : 95 min
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais et français DTS HD Master Audio mono
Sous-titres : Français
Éditeur : BQHL
Date de sortie : 21 novembre 2023
LE PITCH
A Los Robles, ville-frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, un notable meurt dans un attentat. L’enquête qui s’ensuit oppose deux policiers : Vargas, haut fonctionnaire de la police mexicaine, en voyage de noces avec sa jeune épouse américaine, Susan, et Hank Quinlan, peu amène vis-à-vis de ce fringant étranger. Dès lors, le couple est séparé : Vargas part avec les policiers pour les besoins de l’enquête et Susan est entraînée chez Grandi, un caïd local qui la menace. Les pressions exercées sur eux ne cessent d’augmenter.
Borderline
En dehors de Citizen Kane, l’immense Orson Welles n’aura connu dans sa carrière de réalisateur que des déconvenues, des confrontations brutales avec un Hollywood grabataire totalement insensible à sa modernité. Pourtant, même remontées, découpées, ses œuvres restent des merveilles. Film maudit par excellence, La Soif du mal accumule les montages, les révisions et les ressorties, mais ne fait à chaque fois qu’affirmer son éblouissante noirceur.
L’histoire est particulièrement célèbre. Admiratif du travail d’Orson Welles (qui devait simplement faire l’acteur), Charlton Heston réussit à l’imposer à Universal pour adapter le roman noir de Whit Masterson. Ce dernier, peu adepte des commandes, excelle pourtant à se réapproprier totalement le projet, développant certains thématiques (le racisme en faisant du héros un Mexicain occidentalisé) mais surtout en expérimentant avec fièvre de nouvelles techniques de mises en scène et de découpages narratifs. Un angle qui laisse froid les spectateurs des projections test et surtout les producteurs n’hésitant pas à profiter du départ du réalisateur pour la pré-production de son Don Quichotte (qu’il n’achèvera jamais) pour remonter le film et tourner de nouvelles séquences dans son dos. Le résultat est, celons les acteurs et le cinéaste, calamiteux, les modifications alourdissant le rythme, complexifiant les enjeux et se montrant même ridiculement voyeuriste lors de la séquence la plus violente du métrage. Un carnage que Welles tentera de combattre en pondant une note d’une cinquantaine de pages pour améliorer ce nouveau montage, lui redonner une véritable unité tout en gardant en tête les volontés commerciales de la Universal. Rien n’y fera, la société sortira le film en l’état, œuvre malade parsemée de fulgurances magistrales (l’ouverture générique cultissime et réinterprété 1000 fois par la suite), d’une violence palpable et d’une ambiance crépusculaire à défaut d’offrir un scénario compréhensible.
Le diable par la queue
La vidéo permettra quelques années plus tard de découvrir une version longue, censée calmer les ardeurs des cinéphiles, mais ne proposant en définitives que quelques séquences plus étendues, sans forcément sauver l’entreprise. Ce n’est finalement qu’en 1998 que quelques passionnés vont réussir à convaincre le studio d’accepter un remontage intégral du film en se calquant sur les notes d’intentions de Welles. Un travail de titan, et surtout de compromis (certaines bobines sont perdues à jamais) mais qui permet définitivement au métrage de retrouver toute sa superbes, son incroyables nervosités et surtout une modernité incroyable.
A l’image de la séquence emblématique, évoqués tant de fois dans le cinéma de Brian DePalma (en particulier dans Phantom of Paradise), qui s’étoffe dans ce nouveau montage d’une dimension jusqu’au-boutiste. L’ouverture donc, est resté dans toutes les mémoires comme l’un des plans séquences les plus faramineux du cinéma : trois minutes pendant lesquels une voiture que l’on sait contenir une bombe dans le coffre va et vient devant l’objectif pendant que le couple star déambule joyeusement dans les rues d’une ville frontière, tandis qu’une samba enjouée de Henry Mancini et les lettrages génériques ne cessent de faire oublier la menace constante et la terrible fatalité qui va s’abattre. Superbe et excitant, la même séquence est désormais proposée sans carton-titres ni musique originale, la bande son jouant justement sur la multitude de sources sonores (dialogues, émission radios, musique provenant d’un bar, bruit de klaxonne) avec une efficacité d’autant démultipliée que le dispositif contamine par la suite, enfin, tout le métrage.
Something about them
Car si La Soif du mal est un superbe film noir crépusculaire sur la fin d’une époque (toujours cette étrange notion de western lointain) et d’un mythe (le Capitaine Hank Quinlan passant de héros inaccessible à pourris lessivé), c’est surtout une réflexion esthétique sur le chaos et la perte de repères où les enchainements d’un montage alternatif, la cohabitation de plusieurs trames et trajectoires, s’amusent finalement à faire perdre les repères au spectateurs et aux deux hommes de lois qui s’affrontent : Mike « Charlton Heston » Vargas et Hank « Orson Welles » Quinlan. Deux acteurs somptueux, incroyables de présence qui ne sont plus que leurs propres victimes dans un étrange combat de plongés et contre-plongées, de fuites morales filmées caméra à l’épaule (une première dans l’histoire) dont le face-à-face viril va entrainer la chute atroce de la femme de Vargas. Une scène effroyable de viol collectif suggérée avec un sadisme certains qui laisse à penser que Janet Leigh n’a vraiment pas de chance avec les motels… Au final, dans La Soif du mal, c’est comme si le monde ne cessait de s’écrouler au fur et à mesure que Welles le capturait. Le noir et blanc est sublime, le montage hautement innovant, la musique de Mancini aussi endiablée que désespérée, la réalisation forcément jubilatoire, mais c’est comme si malgré tout ce dispositif savamment calculé, l’auteur de Citizen Kane et La Splendeur des Amberson était incapable d’en empêcher le délitement. Pas de sauvetage moral, pas de découverte tardive d’un élan salvateur, le métrage s’achève sur un nihilisme prévisible. Méconnaissable en veille gitane ou prostituée diseuse de bonne aventure, Marlene Dietrich lâche en oraison funèbre « Qu’est-ce que ça peut faire, ce qu’on dit sur les gens ? ». Les monstres du cinéma de Welles sont ce qu’ils sont. Il ne peut que les mettre à nus, pas les sauver.
Image
Comme pour l’édition limitée d’Universal distribuée il y’a une dizaine d’années, les trois montages du film sont proposés ici au format Bluray. Chacun a bénéficier d’un travail de restauration et de réétalonnage exceptionnellement pointu. On pourra déceler quelques petites variations venant souvent des sources d’origines (certains plans ou séquences n’étaient pas dans les mêmes conditions), mais en général les trois sont excessivement proches. Surtout, ils sont techniquement à des années lumières de ce qui avait pu être proposé jusque-là avec des noirs extraordinairement marqués, des argentiques vibrant et un grain de pellicule des plus élégants. Les textures reprennent ici toute leur ampleur (voir les séquences dans le motel) et surtout la précision du piqué et de la compression permet de jouer à nouveau sur les effets de profondeur si cher à Orson Welles. Une révision extrêmement poussée, qui a permis de nettoyer à l’extrême (plus qu’une rayure de photogramme et quelques très rares artefacts blanc) un film qui n’avait pas été choyé par les années, et dont on ne voit encore quelques faiblesses que sur de brèves images trop adoucies par les outils numériques.
Cependant, si Kino Lorber a fait le choix aux USA de proposer ces trois cuts en 4K, BQHL opte plutôt pour un combo avec uniquement le montage cinéma, le plus homogène techniquement, en 4K. Le nouveau format, avec traitement Dolby Vision et HDR, assure effectivement une expérience plus éclatante encore, avec des contours plus sculptés, des argentiques généreusement organiques et des noirs à la fois plus profonds et plus subtiles. Sublime, mais au choix on aurait préféré cette prouesse sur le « director’s cut » …
Son
Pas de surprise pour un film de cet âge, tous les versions (anglaises et françaises) sont uniquement disponibles dans un très jolis mono d’origine, restauré et profitant d’un éclatant mixage DTS HD Master Audio. L’ensemble est très convaincant, jouant à merveille des nombreuses sonorités qui habitent l’image (voir l’ouverture) tout en déjouant les pièges de la trop grande mise en avant des dialogues. Superbe en version originale, idem en français sur la version cinéma… Mais les petits ajouts effectués par quelques nouveaux doubleurs pour les nouveaux plans du montage « définitif » peinent à convaincre. Forcément ce défaut est totalement absent de la version cinéma qui laisse entendre les solides acteurs de doublage de l’époque. La version « longue », elle, n’est disponible qu’en vo.
Interactivité
C’est désormais BQHL qui édite donc ce chef d’œuvre d’Orson Welles en France. L’amateur y gagne déjà largement coté packaging avec un design très efficace et très « film noir » nettement supérieur au vieux montage Photoshop du mediabook d’Universal. A l’intérieur, un mini livre revenant sur la genèse, les coulisses et le long chemin de croix du film et quatre disques. Un UHD pour le montage cinéma, un bluray réunissant ce dernier avec la version « longue », un second consacré au montage de 98 et enfin un troisième entièrement consacré aux (très nombreux) bonus. A noter que déjà, chacun des montages sont accompagnés de commentaires audios permettant à quelques spécialistes de souligner la modernité de la mise en scène de Welles, de révéler quelques anecdotes techniques ou secret de tournage… Mais encore une foisc’est le petit jeu des différences entre les montages qui les excite le plus.
On retrouve ainsi le passionnant documentaire de Laurent Bouzereau produit pour la chaine TCM dans les années 2000 sous la forme de deux documentaires. « Bringing Evil to life » et « Evil Lost & Found » s’intéressent respectivement au tournage et aux montage du film, mais sont du même tonneaux avec une alternance entre les interviews des acteurs (Charlton Heston, Janet Leigh et Dennis Weaver) et quelques spécialistes et/ou fans (dont Peter Bogdanovich et George Lucas) permettant de jouer autant la carte de l’émotion, de la nostalgie, qu’une analyse constante de l’œuvre, du caractère du cinéaste et de ses rapports avec les acteurs ou les producteurs. Parfaitement monté le programme est irréprochable et tout à fait passionnant.
A cela s’ajoute désormais le film Dans les yeux d’Orson Welles signé Mark Cousins, autrefois disponible en DVD single chez le même éditeur, qui à l’aide de la troisième fille du réalisateur, Béatrice, tente de s’approcher au plus près de ses motivations, de sa vision du monde et de l’art cinématographique. On y découvre des croquis, griffonnages, des carnets inédits, et de nombreux témoignages étrangement accolés parfois à des questions politiques beaucoup plus actuelles. Un angle intéressant.
Liste des bonus
Montage restauré de 1998 (110’), Montage pré-cinéma (106’), Le livre « Au nom de la loi : le fabuleux destin d’un chef d’œuvre maudit » (160 pages), 4 Commentaires audios, « Dans les yeux d’Orson Welles » : le réalisateur vu par sa fille Béatrice (2018, 114’), Ramener le Mal à la vie » : production et réalisation du film (21’), « Le Mal réincarné » : montage, sortie et restauration du film (17’).