LA FEMME SUR LA LUNE
Frau im Mond – Allemagne – 1929
Support : Bluray & DVD
Genre : Science-fiction
Réalisateur : Fritz Lang
Acteurs : Willy Fritsch, Gerda Maurus, Klaus Pohl, Fritz Rasp
Musique : Willy Schmidt-Gentner
Image : 1.33 4/3
Son : Musique DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titre : Français
Durée : 160 minutes
Éditeur : Potemkine Films
Date de sortie : 7 février 2023
LE PITCH
Selon une obscure théorie scientifique, il y aurait de l’or sur la lune. Wolf Helius décide de mettre sur pieds une expédition pour en avoir le cœur net. Il embarque dans cette aventure spatiale un ingénieur et sa femme Frieda, dont il est secrètement amoureux, mais aussi un vieux scientifique, un jeune garçon et un affairiste louche. Ce qu’ils finissent par découvrir exacerbera amour, jalousie, cupidité ou bien encore lâcheté.
Le voyage vers demain
Dernier film muet de Fritz Lang, La Femme sur la lune est un grand feuilleton bourré de péripéties et d’aventures, parfois assez extravagantes, mais c’est aussi le premier film de science-fiction affichant de véritables aspirations scientifiques. Et certains concepts n’ont de manière assez incroyable pas pris une ride.
Toujours hanté par l’image inoubliable du Voyage dans la lune de Méliès, la grande conquête de l’espace n’est encore en cette fin des années 20 qu’un doux rêve bien lointain imagé avec fantaisie et beaucoup de liberté poétique. Profitant une nouvelle fois des moyens colossaux de la UFA (même si les tensions seront plus présentes que jamais), Fritz Lang impose cependant avec La Femme sur la lune une ambition que n’avait jamais connu le genre jusque-là. Tout d’abord dans la longueur même du métrage, qui rejoint ainsi les mastodontes Les Nibelungen et Metropolis avec une durée de près de trois heures, et un aspect feuilletonnant dont il a le secret. Comme le souligne les saines lectures d’un gamin présent en second rôle, le film ne boude absolument pas l’idée d’un grand spectacle populaire à la manière d’un serial ou surtout d’une BD américaine, distillant quelques notes d’humour, quelques grands sentiments (le triangle amoureux, pas forcément la plus grande réussite du film) et un mélange des genres là aussi assez original. Ainsi La Femme sur la lune débute comme un nouveau récit d’espionnages, façon Dr. Mabuse ou le précédents Les Espions, en suivant la difficile opération visant à monter cette expédition hors normes. Vols de plans, complots, hommes mal intentionnés adeptes des déguisements, viennent installer un suspens qui permet d’embarquer immédiatement le spectateur mais aussi de l’installer dans un décorum déjà connu.
En orbite
Cependant en milieu de film, l’équipage où amis et ennemis font bon gré mauvaise fortune, s’embarquent enfin à bord de la futuriste fusée. Conseillé par de nombreux spécialistes de l’époque, nourris par d’authentiques lectures scientifiques et introduits par quelques graphiques elliptiques, Fritz Lang impose une certaine majesté à sa séquence centrale. Mélange de scènes de foules et de plans de maquettes extrêmement détaillés, de lignes épurées et stylisées mais toujours avec une pointe de véracité, le décollage tant attendu préfigure même les conquêtes spatiales à venir avec sa fusée à étage, son décompte à rebours ou la figuration de l’énorme pression qui écrase les aventuriers. Plus loin encore le spectateur d’aujourd’hui est médusé de voir illustré avec beaucoup de justesse les effets de l’apesanteur sur les liquides (bulles effectuées en animation), un sublime levé de soleil sur la terre ou un alunissage catastrophe observé par le hublot. Visionnaire et brillant, mais jamais à même d’écraser la fantaisie du film sous poids, ce dernier embrayant, une fois posé sur le satellite, par des randonnées sans casques ni filins et des anneaux lunaires qui se transforment en geyser boueux. Ce croisement entre des aspirations futuristes éprouvées et un fantastique beaucoup plus pulp donne une aura vraiment particulière à La Femme sur la lune et marqua durablement les esprits venant titiller les souvenirs d’un certains Stanley Kubrick et de manière plus visible encore le belge Hergé lorsqu’il signera son diptyque Objectif Lune / On a marché sur la lune qui en reprend directement de nombreuses idées et images.
Grand spectacle romanesque et foisonnant où le cinéaste se détache de plus en plus de ses effets expressionnistes d’autrefois pour se tourner vers une précision plus épurée mais toujours aussi brillante, La Femme sur la lune décrit aussi, non sans naïveté, le combat récurent d’un monde économique et industriel (ici appâté par les tonnes d’or qui auraient été décelés sur le sol lunaire) contre l’âme des grands rêveurs et des sentimentaux qui s’imaginaient eux trouver une nouvelle terre originelle tout la haut. Avec ses airs de madone solaire cette femme qui posa son pied la première sur la lune a définitivement des airs de la Maria de Metropolis.
Image
Encore une restauration effectuée par la Fondation Friedrich Wilhelm Murnau et qui assure toujours dans les cas de ces grands classiques du muet un travail exemplaire. La présence d’un nouveau scan 2K à la source est bien visible avec une définition bien marquée, un grain de pellicule retrouvé et un superbe noir et blanc tirant vers l’argenté, mais aussi une re-stabilisation des cadres et une homogénéisation de l’image. Le film n’avait pas été aussi beau depuis bien longtemps même si quelques taches, points blancs et pas mal de griffures restent toujours très présents dans le cadre, rappelant l’âge vénérable de l’objet.
Son
Pas de gros suspens ici puisque seul l’accompagnement musical, essentiellement au piano, est disposé en DTS HD Master Audio 2.0. Une restitution nette et claire.
Interactivité
L’édition de La Femme sur la lune offre deux propositions pour aborder le film. Une première, « En apesanteur », uniquement en voix off sur certains extraits du film, prend la forme d’une exploration analytique du film, rappelant bien entendu ses aspirations scientifiques, mais creusant plus avant dans les motifs du cinéma de Fritz Lang et dans les symboliques qui le travaille. Plus classique, la rencontre avec Bernard Eisenschitz repart des prémisses du film, des capacités de la UFA, de la collaboration avec Thea von Harbou, d’une approche inédite de la SF, des acteurs et des effets spéciaux jusqu’au remontage du film pour l’international et sa sortie tardive aux USA. Une présentation très complète, quasi exhaustive.
Liste des bonus
Entretien avec Bernard Eisenschitz, historien et spécialiste de Fritz Lang (39′), « En apesanteur » : analyse par Julien Wautier et Céline Staskiewicz (10′), Un texte d’Olivier Père, directeur général d’ARTE France Cinéma.