LA BELLE HISTOIRE
France – 1992
Support : Bluray
Genre : Comédie dramatique
Réalisateur : Claude Lelouch
Acteurs : Béatrice Dalle, Gérard Lanvin, Vincent Lindon, Marie-Sophie L., Patrick Chesnais, Jacques Gamblin
Musique : Francis Lai, Philippe Servain
Image : 2.35 16/9
Son : Français Dolby Stéréo ; Audiodescription
Sous-titres : Anglais ; Sourds et malentendants
Durée : 210 minutes
Distributeur : Metropolitan Vidéo
Date de sortie : 03 janvier 2023
LE PITCH
Un gitan sorti de prison prénommé Jésus, une institutrice aux méthodes peu orthodoxes, un commissaire-priseur en guerre contre un trafiquant d’art, une chapardeuse en cavale amoureuse du christ et le policier qui, sous son charme, tente par tous les moyens de lui éviter la prison… Qu’en est-il de leurs différentes vies à travers les époques ? Apprendront-ils à s’aimer dans celle-ci, ou bien finiront-ils par s’y aimer vraiment…?
La Plus belle histoire jamais contée
On peut ranger la plupart des films de Claude Lelouch dans deux catégories distinctes, bien que son style et ses obsessions traversent chacun d’eux de la même façon. D’un côté les drames intimistes, resserrés, sur le mode de l’étude de caractère : c’est Un Homme et une Femme, Robert et Robert, Smic, Smac, Smoc ou Mariage… Et puis de l’autre, les fresques chorales qui déplient l’espace et le temps pour embrasser la grande Histoire humaine : c’est Toute une vie, Édith et Marcel, Les Uns et les Autres, Les Misérables… Dans cette seconde catégorie (eu égard à l’avortement de sa trilogie dite du « Genre Humain » qui s’est finalement réduite à deux films de moindre envergure), l’œuvre la plus ambitieuse de toutes est peut-être bien La Belle Histoire, dont les tranches de vie entrecroisées sont sous-tendues par le retour régulier à une scène fondatrice, originelle, celle du christ faisant corps avec les abeilles d’Israël au milieu des lépreux sous l’œil de l’oppresseur romain.
Cette scène, plus fantasmée que substantifiquement réelle, n’est pas vraiment traitée avec naturalisme, dans une perspective d’immersion… Elle est de nature à souligner, bien au contraire, le cinéma en tant que fabrique de contes et de paraboles – moyennant l’assentiment des spectateurs qui accepteront tous les artifices déployés. On pense au Dead Again de Kenneth Branagh sorti l’année précédente, dans lequel les mêmes comédiens interprétaient des personnages du temps présent ainsi que leurs alter egos passés, avec la convention du noir et blanc pour figurer le changement de temporalité. Branagh, venu de la scène, recourt fréquemment aux artifices qui se donnent comme tels. Dans le film de Claude Lelouch, les guenilles et les maquillages des comédiens tiennent plus du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine que de la reconstitution façon Cecil B. DeMille : La Belle Histoire est une fable, une parabole, plus qu’une performance…
C’est surtout l’occasion pour le cinéaste de prendre, plus frontalement que d’habitude, le parti de la croyance et de proposer au public une vision poétique du monde qui ne repose sur rien, sinon son intime conviction – l’expression revient plusieurs fois en plusieurs occasions dans la bouche de plusieurs personnages-clés, prenons-la donc en considération. Et puisque dans l’humain rien n’est très simple, cette intime conviction est à géométrie variable et les deux principaux protagonistes dont La Belle Histoire, in fine, célèbre la rencontre (ou les retrouvailles…), incarnent d’abord deux façons différentes d’envisager le rapport aux événements. L’un croit au hasard, l’autre à la destinée, et le dosage est tel qu’on sent très bien le regard amusé de l’auteur se promener de l’un à l’autre sans réelle certitude, sans volonté de trancher. Lelouch semble être les deux à la fois – autant qu’il est l’observateur relégué au second plan, ce policier plus qu’atypique malicieusement nommé Simon CHOULEL, campé par un Vincent Lindon déjà au top de sa nervosité touchante et de la bienveillance naturelle qu’il a toujours su dégager.
Différentes saisons
Deux ans plus tôt triomphait à l’écran Il y a des jours… et des lunes. Lelouch, ambitieux sur le papier, y contenait toutefois ses ardeurs par le truchement d’un récit court, sans allers-retours dans les couloirs du Temps. En conclusion de ce précédent film, il annonçait, peut-être, une « belle histoire » à venir. Il n’avait pourtant pas prévenu d’à quel point, cette fois-ci, il s’y déchaînerait ! Trois heures et demie de métrage, scindées en deux parties par un entracte comme à la belle époque des films bibliques hollywoodiens, et un souffle lyrique confirmant que le bonhomme n’avait pas tout donné, loin de là, avec son monumental Les Uns et les Autres quelques années auparavant – et que d’aucuns qualifieront de grandiloquence. La musique elle-même, signée Francis Lai et Philippe Servain (ce dernier, déjà responsable du Ch’te Play Plus de Philippe Léotard entendu dans le film précédent, apparaissant même dans le film), fait dialoguer textures synthétiques et flamenco gipsy, talk over susurré et vocalises endiablées entre une chanson de Jacques Brel et une autre de Charles Trenet, effectuant pour l’oreille ce brassage émotionnel et culturel qui forme l’identité particulière du Jésus joué par Gérard Lanvin. Tout cela dans un ballet où le motif du cercle (celui de la vie qui continue, de la roue qui tourne, de l’éternel retour…), obsessionnel chez le réalisateur, n’a peut-être jamais été aussi présent.
La Belle Histoire partage un certain nombre de points communs en filigrane avec son prédécesseur direct, sans jamais être présenté comme une suite. À quelques visages près, le casting est le même (on retrouve Lanvin, Marie-Sophie, Chesnais, Lindon, Préboist, Darmon, Gamblin, le fidèle Charles Gérard et pas mal de seconds rôles comme Amidou ; Huster, Girardot et Caroline Micla, quant à eux, cèdent la place à Béatrice Dalle, Isabelle Nanty, Anémone…) et il n’est pas interdit de comprendre les personnages de ce film-ci comme des variations sur les thèmes développés dans ce film-là. Des avatars, des « nouvelles vies »… À l’instar de Gérard Darmon et de son acolyte motard que l’on retrouve, eux, presque à l’identique comme s’ils n’avaient tellement rien compris au bout du chemin qu’ils étaient condamnés à revivre indéfiniment le même cycle sans gloire. Ou comme s’ils nous assuraient que tous ces récits se passent bien dans le même petit cosmos – qui est forcément le nôtre puisqu’on y croise Patrice Laffont présentant « Des chiffres et des lettres » et recevant Anémone et Vincent Lindon comme candidats (petit « truc » récurrent du cinéma de Lelouch qui date immédiatement ses films et leur donne un supplément de « vrai »).
La permanence de la vision est assurée par Paul Préboist qui, dans ce film comme dans le précédent, nous livre clé en main des grilles de lecture essentielles au gré de ses monologues illuminés. Pour le premier film, la fin d’une histoire est forcément la mort ; pour le second, la mort est forcément le début d’une autre histoire. Et la « connexion » s’effectue au début de La Belle Histoire lorsqu’au passage de la pleine lune se substitue la course du soleil vers son coucher tandis que la voix de Hubert Reeves disserte sur l’optimisme, le devenir humain, son imprévisibilité, notre place sur la Terre entre l’astre et l’atome.
Image
La photographie très lumineuse du film (« les » photographies, devrions-nous dire, tant il y a parfois d’écart dans le traitement des divers segments) trouve un très bel écrin dans le transfert proposé ici. Netteté du grain, respect des contrastes, rutilance des couleurs à l’intérieur de ce qui reste l’œuvre la plus visuellement chatoyante de Claude Lelouch : un régal pour les yeux !
Son
L’ambiance sonore passant souvent au second plan derrière les couches musicales qui imbibent l’image tout du long, l’ensemble sonne très clair, très propre, et la dynamique est puissante. Un sans-faute, donc.
Interactivité
Trois bonus accompagnent le film : d’abord un court-métrage tourné dans le même élan que La Belle Histoire et mettant en scène Patrick Edlinger en pleine ascension d’une pente à pic. Si l’alpinisme n’est pas à proprement parler le sujet de son film long-métrage, Lelouch y filme tout de même une escalade risquée dont on se doute que de nombreux rushes furent écartés dans le montage définitif – mais il y aura consacré ce petit film qui lui ressemble tant, où la caméra filme dans la continuité, et au grand angle, le vide qui s’étend de plus en plus entre le grimpeur et le sol. Pour le cinéaste adepte de l’exploit sportif et du vertige, on ne comprend que trop bien l’impulsion de ce projet ! Le menu propose son visionnage en avant-programme du film.
Ensuite un making of qui s’apparente surtout à un long clip uniquement porté par la musique, introduit par la voix de Claude Lelouch qui en explique l’idée, nous fait passer du tournage d’une scène à une autre dans un même flux vital. Sa principale vertu est de rendre compte de l’atmosphère créée sur le plateau par la fameuse « méthode Lelouch ».
Enfin la bande-annonce, qui dans le cas d’un tel cinéaste mérite toujours d’être visionnée, puisqu’elle représente bien souvent (c’est le cas ici) un court-métrage en soi et même, dans une certaine mesure, une petite explication de texte.
Liste des bonus
Court-métrage « Plan-séquence » (6′) ; making of (12′) ; bande-annonce