LA ZONE D’INTÉRÊT
The Zone of Interest – Royaume-Uni, Pologne, Etats-Unis – 2023
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Jonathan Glazer
Acteurs : Sandra Hüller, Christian Friedel, Freya Kreutzkam, Ralph Herforth, Max Beck, Ralf Zillmann…
Musique : Mica Levi
Image : 1.78 16/9
Son : DTS HD Master Audio 5.1 et 2.0 allemands et français
Sous-titres : Français
Durée : 105 minutes
Editeur : Blaq Out
Date de sortie : 05 juillet 2024
LE PITCH
Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.
Ordinary People
Prix spécial du jury au dernier Festival de Cannes, La Zone d’intérêt est un film qui divise forcément public et critique. Logique pour une expérience qui vise l’inconfort en donnant une illustration inédite de la monstruosité de la Shoa. Un visage plus ordinaire que jamais.
Voilà 10 ans Jonathan Glazer faisait de son extraterrestre portant le visage angélique de Scarlett Johansson, un monstre apathique qui avançait à travers l’humanité, contaminé peu à peu par son émotion et sa fragilité. Avec La Zone d’intérêt, adaptation à priori très libre du roman de Martin Amis, il ferait presque le chemin inverse en scrutant comment cette même humanité à pu totalement se détacher de sa nature morale et émotive pour accepter l’inacceptable. Ainsi la famille de Rudolf Höss habita réellement à quelques mètres du camp d’Auschwitz, plongeant l’été dans leur petite piscine, allant pécher à la rivière, rigolant dans la pénombre, invitant amis et collègues et présentant leur demeure comme un authentique petit paradis enfin obtenu. C’est charmant, fleuri, et surtout séparé à l’image par un mur aussi réel que cinématographiquement infranchissable. Pour redonner corps à ce quotidien des plus banals, outre une reconstitution historique presque maniaque, le cinéaste a plus ou moins repris le dispositif d’une émission de télé-réalité façon Big Brother disposant partout, et parfois cachées, des caméras derniers cris et laissant les acteurs se déplacer, jouer et vivre leurs personnages dans cet univers clos et protégé.
La chute
Le résultat serait presque badin, limite ennuyeux si l’immontrable ne venait pas régulièrement rejaillir dans le cadre, par quelques pauvres ouvriers juifs traversant l’image le visage creusé et le regard vide, par une fumée de cheminé qui s’échappe sur l’horizon, une nappe de cendre qui stagne à la surface d’un cours d’eau… Et surtout par ces sons, pas si lointain, violents, angoissants, atroces qui laissent imaginer le pire. Et c’est souvent le pire qui advenait.
C’est bien entendu se contraste entre le réel devenu historique, l’horreur absolue qui se déroule hors champs, et l’insupportable normalité de cette famille comme plein d’autres, profitant de la politique hitlérienne, s’inscrivant pleinement dans la machine d’extermination, mais cajolant ses enfants, où seuls les plus jeunes semblent encore capable de gène, caressant amoureusement un cheval comme le Führer cajolait ses chiens, et sans doute persuadée d’être dans son bon droit, voir d’être généreux avec l’engeance juive. La séquence la plus traumatisante restant cette longue description du fonctionnement de nouveaux fours crématoires, plus performants, où jamais les mots ne s’échappent de questions purement pratiques, techniques, et ne touchent la réalité humaine derrière la machine. Les petits nazis ordinaires, factuels, centrée sur leurs petits désarrois (ici préserver la fameuse maison malgré les mutations du maris), aussi désinhibés dans leur monstruosité normalisée que désensibilisés dans leur humanité, et qui renvoient bien souvent, et de façon totalement assumée, non pas à un tableau figé dans le temps, mais bien à un danger permanent pesant au-dessus de notre espèce.
Une installation conceptuelle brillante, puissante, choquante mais qui peut aussi avoir quelques trébuchements, lorsque Glazer retrouve quelques tiques de mise en scène esthétisants (les écrans rouges, l’utilisation trop appuyée de musiques presque industriels) dont s’échappent le temps de quelques séquences vers le geste plus généreux d’une jeune polonaise, filmé en négatif de manière curieusement ostentatoire, mettant une distance dommageable avec l’essentiel. La Zone d’intérêt n’avait pourtant besoin d’aucun effet supplémentaire pour assurer son propos encore et toujours nécessaire.
Image
Tourné via une large disposition de caméra numérique 4K et 6K, La Zone d’intérêt dispose en effet d’un large potentiel pour son transfert HD. Le disque 4K doit être des plus pointu et extrêmement rigoureux, le Bluray s’en sort déjà plus que bien avec une définition extrêmement creusée soulignant le moindre détail dans la profondeur et les reliefs des matières des bâtiments. La colorimétrie est tout aussi pointue jouant à la perfection sur les contrastes entre les défilés grisâtres des bâtiments ou de l’omniprésente palissade, et la puissance des couleurs des fleurs de l’indécent jardin. Tout est à sa place, dans sa terrible évidence.
Son
Un doublage français est proposé mais il est évident qu’un film comme La Zone d’intérêt, par sa quête d’un grand réalisme, doit être abordé en version originale (une production américaine mais tournée en allemand donc). LE DTS HD Master Audio accompagne très efficacement le dispositif restant tout clair, équilibré sur les petites dynamiques misent en place, mais se montre naturellement moins immersif que son homologue 5.1. Ce dernier profite du potentiel d’enveloppement pour mieux insérer le spectateur dans le cadre et donner une force plus insidieuse encore aux échappées sonores venues de l’autre coté du mur.
Interactivité
Aux vues de l’impact du film à sa sortie, on aurait pu s’attendre à des suppléments creusant plus pleinement dans les contours du film et son dispositif. Malheureusement ceux produit par la production restent constamment en surface en particulier la succession de featurettes internet regroupées sous l’appellation « Secrets de tournage » où le réalisateur ne s’exprime que très succinctement sur son travail et ses choix de mises en scène. Il est encore plus distant durant le making of puisque celui est une caméra témoin qui capture des grands moments du tournages (mises en place techniques, déplacement des acteurs…) sans jamais intervenir ou entrecouper le tout d’interviews. Il y avait beaucoup à dire et à discuter ici.
Heureusement l’édition française est complétée par une longue et complète présentation signée par le critique Antoine Desrues qui lui revient sur la difficulté à aborder le thème de la Shoah au cinéma, le style de Jonathan Glazer et les liens avec Under The Skin, les éléments réels du film et les regards portés discrètement sur le monde actuel.
Liste des bonus
Entretien avec Antoine Desrues, critique de cinéma (32’), Making of (30’), Secrets de tournage (7’).