Quelques années après la guerre, un homme étrange se fait engager à bord de la péniche La Vierge du Rhin et accompagne la navigation jusqu’à Strasbourg. Très vite ses motivations sont claires, il veut se venger de la propriétaire de la société de transport et de son amant. Pourquoi ? Le film joue de mystères et même si assez rapidement les origines de cette froide vengeance sont assez évidentes, le film sait se redéployer dans sa seconde partie vers le récit policier plus classique. Le fameux Maurice Labbé est retrouvé mort et tous les soupçons se portent bien entendu sur ce Martin Schmidt, alias Jacques Ledru, époux déclaré mort au front. Du drame au whodunnit à l’atmosphère empruntée aux vieux Maigret que l’acteur Albert Dinan s’amuse à reproduire non sans quelques notes d’humour, La Vierge du Rhin est effectivement un film à la structure changeante suivant au fil de l’eau sa trame légère et ses méandres. Ainsi il opte dans les premières séquences pour une voix of aux airs de film noir avant de la laisser s’éteindre pour se recentrer justement sur des codes plus locaux de petit thriller criminel provincial.

Et vogue le navire

Comme toujours au cœur de ce milieu assez terrien où même les bourgeois et chefs de petit entreprise sont besogneux, Jean Gabin est plus qu’à ses aises. Un regard ironique, un phrasé économe mais ferme, des pieds bien plantés dans le décor, il passe de figure relativement inquiétante voir violente, à héros simple et rigoureux, garant moral face à une ancienne épouse avide et vénéneuse incarnée avec prestance par Elina Labourdette (Les Dames du Bois de Boulogne, Lola…). Un peu dommage cependant que le métrage semble toujours surnager un peu ses sujets que ce soit l’univers des mariniers et les riches décors traversés en plaisance où la passionnante question du retour des vétérans oubliés de la Seconde Guerre Mondiale, et les nouveaux rapports avec l’ancien ennemi allemand. Tout cela ne sert ici que de vague décors, de prétexte à un petit drame policier en note mineure. Pas un grand film certes, mais Gilles Grangier soigne ses cadres et ses lumières, les acteurs sont tous impeccables et joliment caractérisés (la secrétaire si sérieuse mais piquante, la jeunette amoureuse mais jamais naïve…), et l’ensemble se suit avec beaucoup de plaisir.

Gabin et Grangier se retrouveront pas moins de 11 fois durant la petite vingtaine d’années qui va suivre avec quelques réussites plus solides comme Gas-Oil, Le Sang à la tête, Le désordre et la nuit ou Maigret voit rouge. Une bonne équipe.