LA VIE CRIMINELLE D’ARCHIBALD DE LA CRUZ
Ensayo de un crimen – Mexique – 1955
Support : Bluray & DVD
Genre : Comédie dramatique
Réalisateur : Luis Buñuel
Acteurs : Ernesto Alonzo, Miroslava Stern, Rita Macedo, Ariadna Welter, Rodolfo Landa, Andrea Palma, …
Musique : Jorge Pérez
Durée : 91 minutes
Image : 1.37:1, 16/9ème
Son : Espagnol DTS-HD Master Audio Mono
Sous-titres : Français
Éditeur : Tamasa Diffusion
Date de sortie : 22 novembre 2022
LE PITCH
Confronté à un juge suite au suicide apparent d’une nonne, Archibald de la Cruz prétend être l’assassin de la jeune religieuse. Il raconte alors son histoire et ses fantasmes meurtriers …
Mexican Psycho
Conte surréaliste et délicieuse comédie noire, La vie criminelle d’Archibald de la Cruz est l’un des joyaux de la période mexicaine de Luis Buñuel. Entre les mains de l’éditeur indépendant Tamasa Distribution, le métrage s’offre une seconde jeunesse en haute-définition et dévoile à nouveau ses charmes vénéneux.
Établi au Mexique au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, fuyant le régime de Franco de son Espagne natale et les controverses sans fin provoquées par L’Âge d’Or (Salvador Dali avait d’ailleurs remis une pièce dans la machine dès 1942 à l’occasion de la parution d’une autobiographie partielle), Luis Buñuel se remet finalement au travail grâce au parrainage du producteur russo-allemand en exil Oscar Dancigers. Après une poignée de long-métrages inégaux, l’association entre les deux hommes donne naissance en 1950 à un premier chef d’œuvre : Los Olvidados. Célébré à Cannes et donc réhabilité sur la scène internationale, Buñuel peut enfin reprendre le cours de sa carrière avec une sérénité retrouvée. Autre réussite significative, Tourments (alias Él, son titre original) sort en 1953 et propose une plongée étouffante mais aussi profondément ironique sur la jalousie maladive d’un homme. Produit par le duo Roberto Figueroa / Alfonso Patiño Gomez, La vie criminelle d’Archibald de la Cruz marque une étape supplémentaire dans la (re)montée en puissance du cinéma de Buñuel. La bourgeoisie, la religion, la frustration, les liens étroits entre Eros et Thanatos : toutes les thématiques et les cibles favorites du bonhomme s’entremêlent de nouveau dans un film à la précision scientifique. Entre amusement et fascination, le futur réalisateur de Belle de Jour et du Charme discret de la bourgeoisie explore le parcours contrarié d’un artiste qui se rêve meurtrier depuis sa plus tendre enfance. De sa scène d’ouverture où Archibald enfant assiste avec un intérêt non dénué de perversité à la mort de sa jeune nurse tuée par une balle perdue jusqu’à un épilogue à l’ambiguïté vertigineuse où le même, cette fois adulte, et probablement loin d’être guéri de ses pulsions repart bras dessus bras dessous avec celle qui failli être sa victime.
Et il n’est d’ailleurs pas interdit, au passage, de trouver quelques ressemblances entre ce bijou férocement buñuelien et le célèbre roman de Bret Easton Ellis, « American Psycho », variation toute personnelle sur un thème très similaire. Une coïncidence, à coup sûr, mais qui ne manque pas de piquant.
Tu ne tueras point
Superbement mis en image par Agustin Jiménez, stakhanoviste du cinéma mexicain et complice régulier de Luis Buñuel (L’Enjôleuse, Les Hauts de Hurlevent), La vie criminelle d’Archibald de la Cruz trouve sans nul doute ses limites dans un casting pas toujours à la hauteur, la tête d’affiche Ernesto Alonso se faisant régulièrement bouffer tout cru par ses partenaires, Miroslava Stern en tête. Pas bien grave en fin de compte, tant le génie et l’humour acide de Buñuel envahissent la moindre scène, le moindre plan.
On se souviendra encore longtemps de l’ouverture du film, entre le conte cruel, la satire anarchiste et l’érotisme morbide, la psyché d’un enfant turbulent se retrouvant ici pris au piège d’une boîte à musique aux pouvoirs imaginaires et des jambes séduisantes d’une jeune femme gisant morte dans une mare de sang. Le mariage d’Archibald virant au crime passionnel et à la mise au piquet des valeurs défendues par l’église et la société est là un autre grand moment de cinéma méritant plusieurs visionnages pour en extraire toutes les subtilités. Et que dire de la rencontre magique entre Archibald et la belle et libre Lavinia, explosion de romantisme païen et de luxure suggérée.
Il est toutefois une scène qui, à elle seule, justifie l’existence du métrage. Ayant donné rendez-vous à Lavinia dans son atelier où il espère pouvoir l’assassiner, Archibald agrémente cette rencontre d’une présence inhabituelle : un mannequin à l’effigie de Lavinia. Jouant de ce double inanimé, Buñuel va saupoudrer ce « ménage à trois » de fausses pistes, filmant son actrice lorsqu’il s’agit du mannequin et inversement, créant une confusion progressive. Il va également confronter la sexualité affirmée de son personnage féminin à l’impuissance chronique d’Archibald, vieux garçon qui mélange meurtre et sexualité. Privé de son méfait lorsque Lavinia s’éclipse et laisse Archibald entre les griffes d’un groupe de touristes américains volontiers caricaturaux, le meurtrier contrarié laisse finalement exploser son sadisme en maltraitant le mannequin (qui prend une fois de plus et brièvement le visage de l’actrice de chair et de sang) et le brûlant dans un four, comme un époux frustré s’en retourne vers une poupée gonflable ! Surréaliste, hilarante, excitante, provocante, cette scène d’une dizaine de minutes résume avec brio le Buñuel des débuts et annonce déjà le Buñuel de la période française et sa collaboration avec le scénariste Jean-Claude Carrière. Une œuvre charnière ? C’est bien possible.
Image
Tamasa profite ici de la restauration minutieuse engagée par la Cineteca Nacional mexicaine à partir du négatif original en 35mm. Le résultat est un noir et blanc cristallin au grain discret, à la définition pointue et aux contrastes marqués. Une poignée de sautes d’images quasi-subliminales nous rappellent l’ampleur du travail opéré par ces magiciens de l’image.
Son
Pas de version française mais une simple version originale dans un mono propre mais un peu éteint. La bande originale a souffert mais l’essentiel, à savoir les dialogues et une partie des effets, a été préservé.
Interactivité
Critique et historien du cinéma, directeur de collection mais aussi réalisateur de clips et de courts-métrages à ses heures perdues, Marcos Uzal propose une analyse riche et exhaustive du film de Luis Buñuel, extraits à l’appui, insistant sur la richesse et la fausse simplicité de l’œuvre. Un supplément sans doute un peu scolaire mais qui n’en est pas moins passionnant. Une bande-annonce complète l’interactivité ainsi qu’un livret de 16 pages contenant un essai de la chercheuse et juriste franco-argentine Marcella Iacub.
Liste des bonus
« Étrange Archibald », analyse du film par Marcos Uzal (43 minutes), Bande-annonce.