LA VENGEANCE DE LA SIRÈNE
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人魚伝説 – Japon – 1984
Support : Bluray
Genre : Thriller
Réalisateur : Toshiharu Ikeda
Acteurs : Mari Shirato, Kentarô Shimizu, Seiji Miyaguchi, Junko Miyashita, Yoshirô Aoki…
Musique : Toshiyuki Honda
Image : 1.37 16/9
Son : Japonais DTS HD Master Audio 1.0
Sous-titres : Français
Durée : 109 minutes
Editeur : Carlotta Films
Date de sortie : 4 février 2025
LE PITCH
La douce et mystique Migiwa Saeki et son grand buveur de mari, Keisuke, travaillent en couple comme pêcheurs dans un petit village de bord de mer. S’opposant avec virulence à un projet immobilier des plus inquiétants et nuisibles, le bouillonnant Keisuke se fera bientôt assassiner pour son insoumission. Laissée pour morte par les tueurs, Migiwa trouve alors refuge parmi les prostituées de l’île de Wakatano, avant d’entamer une terrible vengeance…
La mariée était en bleu
Longtemps cité et vanté comme l’un des incontournables des rape & revenge à la japonaise, plébiscité (comme beaucoup) par le Quentin Tarantino de Kill Bill, La Vengeance de la sirène de Toshiharu Ikeda (Evil Dead Trap) est enfin distribué en France grâce à Carlotta Films. Une perle qui s’extirpe des profondeurs.
Forcément pour les adeptes du cinéma trash, le nom de Toshiharu Ikeda reste définitivement accolé au délire gore, entre slasher et giallo, Evil Dead Trap. Mais le réalisateur s’est montré bien plus productif et éclectique que cela. Cependant un penchant pour le cinéma érotique prévaut, ouvert (si l’on peut dire) par les deux romans-porno limites mais éblouissants Angel Guts : Red Porno et Sex Hunter, et d’une certaine façon achevée par le torride Kagi en 1997. Au milieu, il y a cette Vengeance de la sirène, curieuse exploration encore très marquée par les impératifs commerciaux de la Nikkatsu avec en son centre une importante scène de sexe, animale et passionnée, inévitablement marquée par le petit cache fluctuant de la censure nippone de l’époque. La femme s’y donne à celui qu’elle croit être son sauveur, se perd brièvement dans le plaisir, avant de rapidement redécouvrir la douleur. Une belle séquence, loin d’être gratuite qui éclaire toute l’ambiguïté du chemin parcouru et à parcourir pour Saeki, épouse accusée du meurtre de son époux et qui ne sait pas encore que le chemin brutal de la vengeance s’ouvre à elle. Si le film maintient des liens encore très vifs avec la grande vague des films des années 70, comme la saga de la Femme Scorpion ou les Lady Snowblood, il s’écarte cependant totalement de leurs accents pops et ultra-stylisés, préférant se construire sur une toile beaucoup plus naturaliste.
L’Appel des abysses
Le film prend ainsi le temps de caractériser les personnages, d’installer le contexte du drame, suivant ce charmant couple de jeunes mariés, travaillant main dans la main dans la pèche aux coquillages, reliés autant par une corde que par leur inlassables chamailleries. Un petit monde déjà marqué par l’inquiétude face à une modernisation envahissante, et qui va définitivement se briser lorsque Seisuke est assassiné, emporté par le fond, pour avoir assister à quelques manigances entre un industriel et des yakuzas. Ces derniers visent à effacer le village de pécheurs traditionnels au profit d’une centrale nucléaire dernier cri. Elle, victime abasourdie, instrumentalisée par un ami d’enfance qui se révèle aussi lâche et vénal que son paternel, exilée sur une ile où elle va manquer de devenir prostituée, va finir par reprendre le dessus sur sa sidération et devenir un nouvel ange de la vengeance. Mais même celle-ci, aussi sanglante soit-elle, ne peut s’exécuter que dans la douleur, la pénibilité, l’éreintante confrontation. Comme ce premier meurtre, interminable, transformant par de multiples geyser orgasmiques la chambre d’un bordel en antichambre de l’enfer, en théâtre Grand Guignol tragique. La Vengeance de la sirène refuse le simple plaisir jouissif au spectateur, l’entrainant surtout dans la destinée mortifère d’une femme poussée à bout, rejaillissant constamment des eaux, s’enfonçant dans une folie terminale qui culmine par un carnage absolu lors de la soirée d’inauguration du chantier. Là, coupables, innocents, hommes et femmes, passent au fil de son trident aiguisé, poursuivie par un cinéaste multipliant les plans séquences fiévreux et caméra épaule, poussant sa sublime actrice, Mari Shintaro, aux limites de sa résistance.
Fascinant, suffoquant et bouleversant, La Vengeance de la sirène n’oubliera pas non plus de faire de son héroïne, le symbole d’une résistance face à une masculinité omniprésente tout autant qu’une invocation mystique d’une nature bataillant contre l’industrialisation aveugle du pays, s’emportant aux lisières d’un fantastique shinto et animiste. Les dernières séquences, rêvées, célébrant le retour aux fond marin et marquant l’ultime retour du saxo obsédant de Toshiyuki Honda (Tokyo Babylon, Metropolis de Rin Taro, Épouses et concubines…) laissent une impression d’apaisement d’autant plus amère aujourd’hui, dans un monde post-Fukushima. Une œuvre puissante.
Image
Longtemps resté inédit en France, La Vengeance de la sirène débarque directement en Bluray grâce à Carlotta Films. Dans une toute nouvelle restauration 2K qui plus est, conçue à partir de scans des négatifs, pour un résultat le plus souvent assez impressionnant. Les cadres sont effectivement d’une grande propreté et extrêmement stables, assurant dans un format 1.37 d’origine une définition solide et creusée. Le piqué souligne avec ferveur les textures et les matières et maintient un léger grain, naturel et organique. Si la photo cultive plutôt les teintes crue et relativement réalistes, elle est auréolée de contrastes bien dessinés et de teintes qui peuvent très vite s’affirmer vives et chaudes. Seules petites ombres au tableau : un ou deux plans de transition semblent plus doux, tout comme les quelques images de nudité, censurées à même la pellicule par un petit brouillard localisé.
Son
La piste mono japonaise est reproduite ici avec un DTS HD Master Audio aussi simple et direct que clair et équilibré. Les dialogues sont bien posés, sans défauts ou perditions notables, et les musiques résonnent avec force.
Interactivité
Carlotta Films reprend ici des suppléments produits en Angleterre par Third Window avec en premier lieu une assez longue rencontre avec le scénariste Takyua Nishioka. Il y décrit ses débuts dans le milieu du cinéma, l’effervescence de l’époque (aux cotés de Sogo Ishii, Kiyoshi Kurosawa et plein d’autres) et sa collaboration pas toujours aisée avec le réalisateur Toshiharu Ikeda qu’il décrit comme un metteur en scène passionné et moteur. Un bref retour sur le manga d’origine, quelques anecdotes et autres considérations sur le cinéma de genre indépendant emballent le tout.
Second segment proposé, l’intervention du journaliste britannique James Balmont, permet de partir à la découverte de l’œuvre de Toshiyuki Honda. Un portrait des plus complets, résumant habilement sa carrière de musicien, de jazzman et de compositeur de musique de film accompagné d’un QR code afin d’avoir accès à une playlist Spotify dédiée. Très bonne idée.
Liste des bonus
Entretien avec Takuya Nishioka (30’), Introduction à la musique de Toshiyuki Honda » par James Balmont, spécialiste de cinéma et de pop culture asiatique (20’), Bande-annonce originale (2’).