LA TRILOGIE DU VICE
Lo strano vizio delle signora Wardh, Tutti i colori del buio, Il tuo vizio è una stanza chiusa e solo io ne ho la chiave – Italie, Espagne – 1971, 1972
Support : Bluray & DVD
Genre : Giallo, thriller
Réalisateur : Sergio Martino
Acteurs : Edwige Fenech, George Hilton, Ivan Rassimov, Alberto de Mendoza, Susan Scott, Luigi Pistilli, Anita Strindberg…
Musique : Nora Orlandi, Bruno Nicolai
Durée : 99-94-96 minutes
Image : 2.35 et 1.85 16/9
Son : Italien et français PCM 2.0 mono
Sous-titres : Français
Editeur : Artus Films
Date de sortie : 4 juin 2024
LE PITCH
Alors que « L’Étrange vice de Madame Wardh » raconte les déboires d’une jeune femme face à un prédateur sexuel, « Toutes les couleurs du vice » dépeint le portrait d’une autre jeune femme qui va participer à des messes noires pour tenter d’exorciser son traumatisme d’enfance, enfin « Ton vice est une chambre scellée dont moi seul ai la clé » narre la tentative d’un écrivain en manque d’inspiration afin de s’innocenter d’un crime dont il est suspect.
Toutes les couleurs de Martino
Les ours d’Artus Films délivrent un sacré cadeau aux amateurs du Giallo en éditant la Trilogie du vice, trois thrillers de l’un des maîtres du genre, Sergio Martino. Machinations, meurtres à l’arme blanche, psychédélisme et la sublime Edwige Fenech sont au menu : régalez-vous !
Figure incontournable du cinéma d’exploitation italien des années 1970-1980, Sergio Martino a réalisé une quarantaine de films dans tous les genres : western, polar, science-fiction, comédie érotique… Mais c’est bien dans le Giallo qu’il laissa une empreinte indélébile durant les seventies avec le transgenre Mort suspecte d’une mineure, le classique La queue du scorpion ou le proto-slasher Torso. Réalisée entre 1971 et 1972, la Trilogie du vice demeure toutefois son œuvre la plus iconique dans le genre grâce notamment à l’omniprésence indispensable de la française Edwige Fenech (accessoirement fiancée de Luciano Martino, le frère qui produira d’ailleurs la plupart des films de Sergio!) qui deviendra une star incontournable du Bis italien suite aux succès de ces films.
Lorsque le « débutant » Sergio Martino (il avait réalisé quelques Mondo à la fin des années 1960 et son premier long-métrage est le western Arizona se déchaîne, sorti en 1970) débute dans le genre en 1971 avec L’étrange vice de Mme Wardh, le giallo est en pleine mutation suite au triomphe de L’oiseau au plumage de cristal de Dario Argento. Même si le genre avait eu ses périodes de gloire durant les années 1960 avec les films fondateurs de Mario Bava (La Fille qui en savait trop, Six femmes pour l’assassin) ou les machinations d’Umberto Lenzi (Si douces, si perverses, Paranoia…), il devient à partir du film d’Argento un véritable filon dans lequel vont s’engouffrer les vieux routiers du Bis italien ainsi que les jeunes auteurs comme Sergio Martino.
Sous emprise
Dès ce premier essai, le cinéaste marque les esprits, bien aidé par un scénario retors du spécialiste et fidèle collaborateur Ernesto Gastaldi, qui s’était notamment essayé à la réalisation avec le giallo inédit Libido en 1965. Parvenant à faire la jonction entre les giallos des années 1960, teintés de machination et de références hitchcockiennes et ceux des années 1970, plus violents et érotiques, le film demeure un joyau où le talent de Martino éclate notamment lors des sublimes séquences oniriques à la direction artistique irréprochable ou lors des scènes d’angoisse (dont une qui inspirera Argento lui-même pour Quatre mouches de velours gris). Le tout saupoudré d’un érotisme, qui deviendra une caractéristique du cinéma de Martino, parfaitement mis en valeur ici par une BO sensuelle de la trop rare Nora Orlandi (Le Jour de la haine, Doppia faccia, Le Temps des vautours). D’ailleurs l’envoûtant morceau Dies irae sera repris par Quentin Tarantino dans Kill Bill 2.
Manipulations et femme sous emprise sont également au menu de Toutes les couleurs du vice sorti en 1972, thriller psychédélique très inspiré par le Rosemary’s Baby de Roman Polanski. Sans doute l’un des meilleurs films de son auteur qui semble prendre un malin plaisir à égarer sa muse Edwige tout autant que ses spectateurs dans des divagations satanistes et des rêves, encore, traumatiques. Même si l’intrigue semble encore plus « capillotractée » que d’habitude, la maestria de la réalisation rend le film totalement incontournable. La paranoïa de son actrice fétiche est ici exacerbée et Martino multiplie les scènes de tension efficaces grâce à une excellente partition de Bruno Nicolai et à la « tronche » incroyable d’Ivan Rassimov, acteur indispensable du Bis italien et de cette Trilogie du vice où il excelle.
Jamais sorti dans les salles françaises et jusqu’alors inédit en format physique en France, Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé est désormais enfin disponible. Malgré une critique moins unanime, ce troisième volet, certes moins démonstratif et moins rythmé, reprend une partie des thématiques des deux premiers giallos : femme sous emprise (ici Anita Strindberg maltraitée par un excellent Luigi Pistilli), tueur en série, éléments fantastiques. Mais il s’inscrit dans un canevas bien différent et plus classique, plus proche de certaines œuvres gothiques et s’inspirant en partie d’Edgar Allan Poe. Avec les présences d’Anita Strindberg et Edwige Fenech, la sensualité et la tension s’ensuivant demeurent toujours aussi bien maîtrisées et annoncent en quelques sorte le virage encore plus « sexy » de Torso, sorti peu après en 1973.
Edwige sous toutes ses coutures
Si ces trois films différents, et non reliés entre eux, forment une trilogie à part entière, c’est sans doute en raison de la présence solaire de l’incandescente Edwige Fenech ! Souvent réduite à sa plastique irréprochable, qui est ici exploitée dans de magnifiques scènes de nu, et parfois totalement gratuites comme les scènes de douche, la française a également l’occasion de prouver toute l’étendue de de son jeu durant ces trois films fondateurs de sa légende. Ainsi, lors d’une interview que le Maestro avait eu l’obligeance de nous accorder en décembre 2023, il s’exprimait ainsi : « Mais au-delà de sa beauté, c’était une très bonne actrice, elle avait une singularité dans le visage très inspirante. Elle est extraordinaire dans Toutes les couleurs du vice ! Elle pouvait jouer des personnages incroyables et diversifiés, elle est très douée pour la comédie, elle pouvait tout faire même des scènes d’action, elle n’avait pas froid aux yeux. ». A l’image d’autres actrices incontournables du giallo comme Caroll Baker dans les films de Lenzi, Florinda Bolkan dans Le Orme ou Le Venin de la peur ou encore Mimsy Farmer dans Le Parfum de la dame en noir, Edwige Fenech incarne à la perfection l’héroïne tourmentée par ses obsessions et voguant dans une réalité quasiment parallèle.
Particulièrement actifs dans le domaine du Giallo depuis quelques années, les éditions Artus ont donc frappé fort en proposant ce coffret indispensable compilant cette trilogie, véritable œuvre somme du genre. Alors que l’éditeur doit sortir prochainement en Blu Ray un autre film de Martino, La montagne du dieu cannibale, espérons que d’autres titres (comme La queue du scorpion, L’accusé, Rue de la violence, Mannaja…) de l’incroyable filmographie de son auteur verront le jour prochainement parmi les éditions de l’ours !
Image
Alors que Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé n’avait pas encore eu les honneurs d’une sortie en format physique en France, les deux autres volets de la trilogie étaient sortis chez Néo Publishing il y a déjà près de quinze ans… Des éditions qu’on peut désormais définitivement ranger avec l’entrée de ces vicieuses bobines en HD.
Les trois copies proposent des versions hétérogènes même si elles sont de qualité et s’avèrent particulièrement propres. L’étrange vice… malgré un manque de stabilité, est présenté dans un master conservant un bel aspect argentique. Toutes les couleurs… nous propose une image plus lisse mais aux couleurs bien contrastées et à la définition impeccable. Enfin, Ton vice… semble avoir eu droit à une belle restauration et l’image est très précise et détaillée.
Son
Absente de l’édition de 2010, la VF de L’étrange vice… est cette fois-ci présente, tandis que Ton vice…, qui n’a sans doute jamais été doublé, ne propose que la version italienne.
Les Masters Audio sont satisfaisants, clairs et propres bien que le son soit un peu étouffé par moment. Le seul hic demeure sur le son de Toutes les couleurs…, surtout la VF, avec un souffle en arrière-plan, des voix et une musique voilées.
Interactivité
A l’image du coffret consacré à Damiano Damiani en 2023, Artus a de nouveau mis la main à la patte pour nous offrir une superbe édition Digibook avec affiches multiples, un très beau livret et près de quatre heures de bonus vidéo : vive le support physique !
Emmanuel Le Gagne, critique chez Culturopoing et intervenant régulier des éditions Artus, avec Sébastien Gayraud, spécialiste du cinéma fantastique, et le réalisateur David Perrault, nous ont concocté un superbe livret avec de nombreuses photographies et illustrations. On y retrouve une évocation de la carrière de Martino ainsi qu’une analyse et remise en contexte de la Trilogie.
On retrouve Emmanuel le Gagne et Sébastien Gayraud pour les présentations des films. Analyses de séquences, présentations historiques et thématiques des films ou encore anecdotes, comme sur le fait que sans la présence d’Edwige Fenech, on aurait pu parler de tétralogie du vice avec La Queue du scorpion, sortie entre le premier et le deuxième volet.
Deux entretiens de Sergio Martino sont également disponibles. Bon client, toujours enclin à distiller des anecdotes, il rappelle l’inspiration évidente des Diaboliques de Clouzot ou de Blow-Up, rend hommage à ses collaborateurs Ernesto Gastaldi, le directeur de la photographie Giancarlo Ferrando ou Bruno Nicolai. Il rappelle également ses doutes, vites gommés, sur la capacité d’Edwige Fenech de tenir ce genre de rôles.
Habitué des interviews et toujours aussi rayonnant, le scénariste Ernesto Gastaldi revient sur les trois films. Assez dur avec Ton vice qu’il juge comme « le pire film qu’ait fait Martino », il rend toutefois grâce au talent et à l’inventivité du cinéaste qui selon lui était trop dépendant des projets de son frère producteur et aurait pu aspirer à une autre carrière.
C’est également un immense plaisir de retrouver des anciennes interviews du regretté George Hilton qui évoque son parcours, ses camarades acteurs et les divines Conchita Airoldi et Edwige Fenech.
Enfin, les interventions des historiens du cinéma Antonio Tentori et Antonio Bruschini s’avèrent très intéressantes convoquant les films de Jacques Tourneur ou Alfred Hitchcock, replaçant les films dans leurs contextes et leur réception en Italie.
Liste des bonus
Un livret de 96 pages « Les vices cachés de Sergio Martino », sous la direction d’Emmanuel Le Gagne, avec Sébastien Gayraud et David Perrault.
L’étrange vice de Mme Wardh : Présentation du film par Emmanuel Le Gagne (21’), Entretien avec le réalisateur Sergio Martino (43’), Entretien avec le scénariste Ernesto Gastaldi (2020, 22’), Entretien avec l’acteur George Hilton et le critique A. Bruschini (2020, 19’), Diaporama d’affiches et photos (2’), Bande-annonce (3’).
Toutes les couleurs du vice : Présentation du film par Emmanuel Le Gagne et Sébastien Gayraud (25’), Entretien avec Sergio Martino (40’), Entretien avec Ernesto Gastaldi (18’), Entretien avec George Hilton et Antonio Tentori (31’), Diaporama d’affiches et photos (3’), Bande-annonce (3’).
Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé : Présentation du film par Sébastien Gayraud (13’), Entretien avec Ernesto Gastaldi (22’), Diaporama d’affiches et photos (1’), Bande-annonce (1’).