LA TRILOGIE DE DAMIANO DAMIANI
L’istruttoria é chiusa : dimentichi – Perché sé uccide un magistrato – Goodbye and Amen – Italie – 1971, 1974, 1977
Support : Blu-Ray & DVD
Genre : Policier, Thriller, Drame
Réalisateur : Damiano Damiani
Acteurs : Franco Nero, Riccardo Cucciola, John Steiner, Françoise Fabian, Tony Musante, Claudia Cardinale, John Forsythe, Luciano Catennacci…
Musique : Ennio Morricone, Riz Ortolani, Guido et Maurizio de Angelis
Durée : 106, 110 et 110 minutes
Image : 1,85, 1,77, 1,66 16/9
Son : Italien PCM stéréo
Sous-titres : Français
Éditeur : Artus Films
Date de sortie : 2 mai 2023
LE PITCH
Alors que Nous sommes tous en liberté provisoire raconte la plongée d’un jeune architecte dans l’univers carcéral, Commet tuer un juge dépeint l’enquête d’un cinéaste pour déjouer un complot fomenté contre un juge, enfin Goodbye and Amen narre la tentative d’un agent de la CIA à renverser un gouvernement africain alors qu’un tueur tient deux otages dans un hôtel de luxe.
Au nom du peuple italien
Longtemps restés sous les radars des éditeurs français, Damiano Damiani et sa filmographie aussi imposante que fascinante ont enfin droit à une reconnaissance, totalement méritée. L’édition de trois films inédits, dont l’excellent Nous sommes tous en liberté provisoire, nous permet, s’il en était encore besoin, de constater la qualité de son Œuvre.
A mi-chemin entre le cinéma de genre et le cinéma politique (et longtemps incomprise pour cela), l’œuvre de Damiano Damiani, décédé en 2013, s’extirpe peu à peu des frontières italiennes, et ce pour notre plus grand plaisir. Après une rétrospective à la Cinémathèque Française l’an passé, Artus dégaine ici un superbe coffret réunissant trois films d’un réalisateur aussi engagé que désabusé sur la situation de son pays.
Surtout célébrée pour ses westerns (El Chuncho et Un génie, deux associés, une cloche) ou ses polars (Confessions d’un commissaire…, La Mafia fait la loi…), la filmographie de Damiani contient pourtant de nombreux autres petits joyaux à découvrir (28 longs-métrages, 3 courts, la série La Piovra…), comme nous l’avait déjà démontrée la ressortie en salles (par Les Acacias Distribution) de Les Femmes des autres (1963) en 2022, délicieuse « comédie » néoréaliste.
Ici Artus Films nous permet de (re)découvrir en premier lieu l’un de ses opus les plus célèbres en Italie, le glaçant thriller carcéral Nous sommes tous en liberté provisoire (1971). Tourné dans la foulée de Confessions…, le film met encore et toujours en lumière les défaillances de l’Italie d’alors. Après s’être attaqué à la Mafia, à la corruption de la justice ou à l’impérialisme américain, le cinéaste dresse ici un réquisitoire contre une administration pénitentiaire italienne particulièrement critiquée à l’époque (voir le livre très instructif de Pierre Clémenti, Quelques messages personnels) notamment pour ses conditions de détentions. Le constat dressé par Damiani dans son film est des plus déprimants : la loi du plus fort, et plus particulièrement ici du plus riche, règne. Ainsi le personnage principal, un architecte « innocent », pourra « s’acheter » une détention plus paisible…tandis que d’autres « emploient » les matons pour leurs basses besognes… Tel un tic comique, on entendra régulièrement un détenu crier « Au nom du peuple italien » (devise de la justice italienne) comme pour mieux signifier à quel point elle est ici bafoué.
La vérité n’est pas révolutionnaire…
Le film est à nouveau porté par l’interprétation du grand Franco Nero, l’un des acteurs favoris de Damiani, qui lui aussi d’ailleurs sut habilement développer sa carrière en mélangeant les genres. Il incarne avec beaucoup de force et d’émotion cet homme en plein cauchemar, perdu dans le tourbillon pénitentiaire et obligé de s’y intégrer. Son regard dévasté, lors d’une dernière séquence révoltante, nous restera longtemps en mémoire…
A côté de ce petit Chef d’œuvre, les deux autres titres proposés auraient pu faire office de films mineurs dans la riche filmographie de son auteur. Que nenni ! Comment tuer un juge (1974) résume en effet très bien le style et le message porté par Damiani, qui joue d’ailleurs dans le film (comme dans Nous sommes tous en liberté provisoire), preuve de son implication. Le film se déroule en Sicile, région particulièrement prisée par le cinéaste originaire du Nord-Frioul pourtant, et renvoie à bien des égards au fameux La Mafia fait la loi et ses villages (et mafieux) typiques. Alors en pleine période italienne, tout comme son mari Marcel Bozzufi, Françoise Fabian et sa beauté irradient la pellicule, et son personnage de veuve prise dans l’étau de l’Omerta nous fera songer à celui tenu par Claudia Cardinale six ans plus tôt face à Franco Nero.
Préférant la violence des paroles à une démonstration graphique, le long-métrage pose de nombreuses questions notamment sur le rapport à la fiction. Ainsi le cinéaste joué par Franco Nero (le double du réalisateur !?) verra, à son grand malheur, son film anticiper la réalité, voire la provoquer avec le meurtre d’un juge corrompu, curieusement appelé Traini comme le procureur incorruptible de Confessions… Damiani s’en prend aussi à une presse sensationnaliste prête à faire feu de tout bois pour avancer ses théories. Le final nous fera ainsi songer au Cadavres exquis de Francesco Rosi et à la dernière phrase du film : « La vérité n’est pas toujours révolutionnaire ». Déconfit, Nero (ici dans sa dernière collaboration avec Damiani) se rendra ainsi compte qu’en résolvant l’affaire, il ne fait qu’asseoir la mainmise de ses ennemis, la Mafia et les politiciens corrompus…
En cours de réhabilitation !?
Enfin, plus de dix ans après El Chuncho, le cinéaste s’attaque à nouveau à l’impérialisme américain et plus particulièrement aux agissements de la CIA avec Goodbye and Amen (1977). D’une facture plus classique, le film parvient pourtant à surprendre avec un « twist » dès le premier tiers du film. Alors qu’on se dirigeait vers une histoire de coup d’État en Afrique piloté par les américains, Damiani nous plonge au contraire dans un règlement de compte entre représentants de l’Oncle Sam sous le regard, et avec l’aval, d’une police italienne aussi inefficace qu’aveugle. Porté par un casting impressionnant, avec entre autres Claudia Cardinale en femme volage, John Steiner en tueur « fou » ou encore un Tony Musante parfaitement crédible en agent trouble, le film est également bien assisté par la BO des frères De Angelis qui signent une composition hybride qui reste longtemps en tête.
Les amoureux du cinéma italien ne peuvent donc passer à côté de ce véritable cadeau concocté par Artus Films qui remet enfin à l’honneur un cinéaste dont finalement peu de films ont été édités dans nos contrées. Même si les trois films sont légèrement inégaux, on retrouve avec plaisir la « patte » Damiani, son aversion des Happy-end, son ironie désabusée, ses superbes castings (avec les « tronches » des fidèles seconds couteaux Tano Cimarosa, Luciano Catenacci, Renzo Palmer…) …. En somme, nous n’avons plus qu’à espérer que la réhabilitation de ce grand cinéaste continue et que d’autres titres suivent… et d’ores et déjà Seule contre la Mafia (1970), avec Ornella Muti dans son premier rôle au cinéma, est censé ressortir en salles en juillet grâce à Carlotta Films ! Le premier d’une longue série ?!
Image
Les différents Master HD proposés sont de toute beauté. Peu ou pas de défauts à déplorer, des cadres stabilisés, une définition correcte mettent en lumière le travail des différents directeurs de la photographie (Mario Vulpani, Claudio Ragona et le fidèle Luigi Kuveiler). Les tonalités et contrastes, notamment dans les scènes de nuit, sont bien rendus tout en conservant la patine argentique.
Son
Malgré un ton parfois feutré (post-synchronisation oblige), le mixage sonore est des plus agréables mettant en lumière les batailles verbales chères à Damiani. On retiendra aussi une belle retranscription des différentes BO de Morricone, du compagnon de route Ortolani et des frères de Angelis. Malgré l’existence de versions françaises, l’éditeur ne propose que les versions originales… difficile de leur en vouloir tant la langue de Dante y est ici savoureuse et rend le tout plus naturel. A noter, la participation de Gilles Ermia (célèbre sur la Toile pour son site IndianaGilles, caverne d’Ali Baba pour les amoureux du Bis italien) pour l’adaptation et le sous-titrage des films.
Interactivité
Un joli coffret parsemé des affiches d’époque et bourré de bonus ! On envie Emmanuel Le Gagne, qui pour l’occasion a dévoré la quasi-intégralité des films du Maître italien ! Le livret, classe et plein de photos, analyse les différents films et permet d’apprécier une carrière hétéroclite. Le tout nous donne envie de découvrir le reste de la filmographie de Damiani.
Près de deux heures de bonus vidéo sont également présents avec les présentations attendues et comme toujours plaisantes de Curd Ridel. L’illustrateur BD nous apprend ainsi que Damiani était un de ses collègues, ayant lui-même œuvré dans le neuvième art dans les années 1940-1950. Il revient sur les différents acteurs et délivre de nombreuses informations sur les trop méconnus John Steiner, Renzo Palmer ou encore les excellents compositeurs de Angelis, surtout célèbres en Italie pour leurs collaborations avec le duo Terrence Hill / Bud Spencer.
Enfin, les différents entretiens avec le monteur Antonio Siciliano sont passionnants, sa carrière ayant démarré par un film de Damiani, Seule contre la mafia. Il y évoque son immense respect pour un cinéaste sûr de son art et confiant dans le travail de ses collaborateurs.
On appréciera aussi les interventions de l’acteur Corado Solari (vu aussi chez Elio Petri) et de l’assistant Enrique Bergier. Ils évoquent entre autres le casting de Nous sommes tous en liberté provisoire et délivrent nombre d’anecdotes enthousiasmantes.
En somme, le contenu éditorial achève de rendre indispensable cette excellente édition.
Liste des bonus
Un livre de 96 pages « Damiano Damiani, un cinéaste se rebelle » écrit par Emmanuel Le Gagne ; Présentations des films par Curd Ridel (23’, 13’ et 19’), Entretiens avec Enrique Bergier, Corrado Solari et Antonio Siciliano (27’), Entretiens avec Antonio Siciliano (25’ et 24’), Diaporamas, Bande-annonce.