LA TÊTE DE NORMANDE ST-ONGE
Canada – 1975
Support : Bluray
Genre : Comédie dramatique
Réalisateur : Gilles Carle
Acteurs : Carole Laure, Raymond Cloutier, Reynald Bouchard, Carmen Giroux, Renée Girard, J.Léo Gagnon, Denys Arcand…
Musique : Lewis Furey
Durée : 116 minutes
Image : 2.35
Son : Québécois DTS-HD Master Audio 2.0
S-T : Français
Editeur/distrib. : Le Chat qui fume
Date de sortie : 31 décembre 2022
LE PITCH
Dans les faubourgs de Montréal, années 1970. Employée dans une pharmacie, Normande St-Onge vit dans une grande maison de famille, qu’elle partage avec des marginaux. La jeune femme est préoccupée par le sort de sa mère, enfermée dans un hôpital psychiatrique. Normande cherche à la faire sortir par tous les moyens, mais se heurte au refus des médecins et de son oncle avocat. Alors vient à Normande l’idée folle de la soustraire de l’asile et de la ramener à la maison…
L’artiste et sa muse
Près de cinquante ans après sa sortie, La tête de Normande Ste-Onge demeure un film radical et déconcertant où la magie du cinéma de Gilles Carle semble au firmament. Totalement dédié à sa muse, le film nous révèle sans doute l’une des meilleures interprétations d’une Carole Laure bouleversante, totalement habitée par son rôle.
Sorti en 1975, La tête de Normande Ste-Onge marque la troisième collaboration entre le réalisateur Gilles Carle et Carole Laure, après La Mort d’un bûcheron et Les Corps célestes en 1973. Formant l’un des duos artistiques les plus célèbres du Québec, l’artiste et sa muse tourneront au total sept films ensemble (avec L’Ange et la femme, Fantastica et Maria Chapdelaine), Carle offrant à chaque fois à l’actrice des rôles importants et complexes qui feront de Carole Laure une véritable star et « sex-symbol », lui ouvrant ainsi les portes du cinéma français notamment.
Présenté au Festival de Cannes de 1976, La Tête de Normande Ste-Onge nous plonge dans une véritable immersion dans la psyché de son héroïne, une femme indépendante, toujours prête à rendre service, prête à tout pour une mère qui ne lui rendra guère son amour, au même titre qu’une société ne cessant de profiter d’elle et de la faire sombrer. Au même titre que les contemporains Le Parfum de la dame en noir ou Le orme, avec respectivement Mimsy Framer et Florinda Bolkan, Carole Laure incarne à merveille le portrait d’une femme brisée et fragile aux portes de la folie.
Mise à nu, aussi bien psychologiquement que physiquement, la québecoise livre une performance de haut vol attirant sans cesse la caméra aux aguets de Carle. Véritable clou du spectacle, les séquences oniriques, où l’actrice apparaît le corps totalement peint (on songe aux « performances » du mannequin allemand Veruschka), figurant une guerrière ou une sacrifiée baignant dans son sang (clin d’œil au bain de chocolat du controversé Sweet movie de 1974 ?) sont des moments magiques soulignés par la direction artistique du fidèle Jocelyn Joly et la musique de Lewis Furey, futur mari de l’actrice principale. Scandé de moments mémorables et cultes, telle cette scène de music-hall improvisée, le long-métrage renferme aussi l’une des plus belles scènes d’amour jamais filmées, crue et réaliste, osée et toujours aussi provocante.
L’antre de la folie
Toujours enclin à poser son regard sur la misère humaine, le cinéaste reconstitue dans l’immeuble de Normande un microcosme rempli de marginaux. Hormis le sage sculpteur (joué par l’excellent J.Léo Gagnon) désirant reproduire la tête de Normande (et qui renvoie directement à la relation artiste-muse entre Carle et Laure), les voisins s’avèrent tous plus ou moins fous. Avec cette madame Vieilleux élevant des rats pour « se défendre des rats » qui viendront à la prochaine apocalypse, son petit-fils batteur adolescent, le « copain » de Normande, Bouliane, totalement inactif et assisté, un « magicien » homosexuel se définissant lui-même comme « un problème », Carle dessine une série de portraits à la fois croquignolesques et désespérants.
La famille et la société québécoise, notamment l’église, ne sortent également pas indemnes de l’œuvre fantasmatique de son auteur. Désignée comme folle par sa famille bourgeoise (avec l’excellent Denys Arcand en acteur) pour protéger sa réputation, la mère de Normande (interprétée par Renée Girard), ex strip-teaseuse (voire pire), n’a évidemment rien à faire à l’asile, mais représente un personnage vampirisant et méprisant. Au même titre que la sœur, droguée et voleuse, n’agissant que par intérêt. Même si Carle charge la politique des asiles d’alors, présentés comme des hôpitaux militaires, et si c’est bien la société qui en ramenant de force la mère à l’asile et en délogeant Normande de son appartement déclenche sa folie, il n’oublie pas de bien montrer l’absence d’empathie et l’égoïsme des autres personnages.
Véritable chef d’œuvre beau et pessimiste, nous ne pouvions que « tomber en amour » de ce film singulier, lorgnant autant vers la Nouvelle Vague que le cinéma de Fellini, et évidemment de l’indéfinissable Carole Laure, renversante et bouleversante, dans peut-être son plus beau rôle. Magnifique.
Image
La copie HD restaurée par Eléphant-Québecor nous dévoile une belle image retranscrivant parfaitement le grain et les tonalités de l’époque. Les séquences oniriques en particulier bénéficient de couleurs profondes et harmonieuses.
Son
Parfaitement claire, le Master DTS-HD remplit admirablement sa fonction en assurant un excellent confort d’écoute. La musique intrigante et inspirée de Lewis Furey est très bien rendue.
Interactivité
Comme sur les autres films québécois édités par Le chat qui fume, c’est Simon Laperrière qui propose son éclairage dans les bonus. Il y évoque « le triomphe » du film à sa sortie. Selon lui « Normande incarne le désir de liberté de la société québecoise d’alors », avec entre autres la scène où Normande se venge des bonnes sœurs au pensionnat. Revenant sur « la scène de sexe, très crue », il considère que Carle ne cherche pas à provoquer mais bien à « mettre en image le côté révolutionnaire » de l’époque.
Liste des bonus
Le film par Simon Laperrière (12’), accents québécois (1’), Film-annonce (2’).