LA TÊTE CONTRE LES MURS
France – 1959
Support : Blu-ray
Genre : Drame
Réalisateur : Georges Franju
Acteurs : Jean-Pierre Mocky, Pierre Brasseur, Paul Meurisse, Anouk Aimée, Charles Aznavour, Jean Galland, …
Musique : Maurice Jarre
Durée : 96 minutes
Image : 1.37 16/9
Son : Français DTS-HD Master Audio 2.0 Mono
Sous-titres : Français
Editeur : ESC Distributions
Date de sortie : 19 juillet 2023
LE PITCH
François, jeune rebelle instable issu de la bourgeoisie, défie son père une fois de trop. Celui-ci le renie et le fait interner dans un asile psychiatrique …
Vol au dessus d’un nid de coucou
Sur le fond, La tête contre les murs appartient totalement à Jean-Pierre Mocky qui en est la tête d’affiche et qui en signe le scénario, adaptation d’un roman d’Hervé Bazin. Sur la forme, le film porte néanmoins la signature inimitable du réalisateur Georges Franju. À l’arrivée, il s’agit là d’une œuvre exceptionnelle, à la cohérence miraculeuse, métaphore poétique et cruelle de la lutte entre les générations et de la mise au rebut par la société de tous ceux qu’elle désespère de faire rentrer dans le rang.
Personnellement touché par la lecture de « La tête contre les murs », Jean-Pierre Mocky sait qu’il tient là le sujet de ce qui sera son premier long-métrage de réalisateur. Les éléments autobiographiques dont Hervé Bazin fait usage pour raconter l’histoire du jeune Arthur (rebaptisé François pour le grand écran) Gérane résonnent tout particulièrement chez l’acteur et aspirant cinéaste. D’origine polonaise, Mocky a en effet été témoin durant son adolescence de l’internement de force en institut psychiatrique de quelques uns de ses cousins rescapés des camps de concentration. Des souvenirs comme une plaie à vif qui nourrissent l’écriture du scénario dont il s’acquitte seul. À 28 ans et fort d’une belle carrière de jeune premier en France et en Italie, Mocky présente le manuscrit au producteur Jérôme Goulven qui accepte de financer La Tête contre les murs. Mais les partenaires de Goulven à la Société des films Sirius voient la chose d’un autre œil et refusent de confier la mise en scène au jeune homme dont ils mettent l’âge et le manque d’expérience en avant. C’est finalement Georges Franju dont le documentaire Le Sang des bêtes est encore dans toutes les mémoires qui, à 46 ans, hérite du poste du réalisateur. Bien qu’il s’agisse là (ironiquement) de son premier long-métrage de fiction, Franju fait l’unanimité. Se consolant avec le rôle principal, Jean-Pierre Mocky s’assure de conserver le contrôle sur de nombreux aspects de la production, du choix du casting à la nomination de membres clés de l’équipe technique. Opportuniste, Mocky profite sans hésiter de la santé fragile de Franju pour le remplacer à la moindre occasion avec l’aide de l’assistant réalisateur Jacques Rouffio. Sur le tournage, la tension est permanente entre Franju et Mocky. Mais à la sortie du film au printemps 1959, la critique ne cache pas son enthousiasme. Le public, lui, n’est pas tout à fait au rendez-vous, mais qu’importe. Avec une grande partie de l’équipe de La Tête contre les murs, Mocky s’en va réaliser Les Dragueurs qui signe l’acte de naissance officiel de sa longue carrière de cinéaste. Franju, pour sa part, fait fructifier sa rencontre avec Pierre Brasseur et Edith Scob et enchaîne sans attendre avec Les Yeux sans visage, chef d’œuvre du cinéma d’horreur made in France.
Un fauteuil pour deux
Loin de s’opposer et de se déchirer pour l’âme du film, les personnalités de Jean-Pierre Mocky (le rebelle) et de Georges Franju (le poète) se complètent admirablement pour faire de La Tête contre les murs une œuvre bicéphale tout à fait fascinante. Deux mondes s’opposent en permanence dans cette plongée révoltée et désespérée dans le quotidien glaçant des asiles psychiatriques. Les jeunes et les vieux, l’intérieur et l’extérieur, la campagne et la ville, les progressistes et les conservateurs, les fous et les malades, tous pris au piège dans une spirale infernale qui se traduit à l’écran par une ouverture où le héros trompe son ennui en tournant en rond sur sa moto dans un terrain vague, par le score entêtant de Maurice Jarre qui multiplie les ritournelles et les envolées frénétiques en free-jazz et par ce mur qui fait le tour de l’asile psychiatrique et bloque perpétuellement l’horizon.
C’est par l’image que Franju s’exprime avant tout. S’il décrit avec minutie et réalisme le quotidien de l’hôpital psychiatrique (et sur le sujet, le film fait aujourd’hui encore autorité), observant ses rites et ses procédures avec le regard d’un entomologiste appliqué, le cinéaste travaille ses axes pour souligner subtilement l’étrangeté des lieux et multiplie les envolées poétiques et horrifiques (la volière et ses colombes, la bagarre entre deux malades qui se conclue par un coup de scie en pleine figure, le petit train qui fait le tour des lieux, le chant d’Edith Scob, le champ en flammes) et les rimes visuelles. La caméra de Franju, appuyée par le superbe noir et blanc d’Eugen Schüfftan, se fait à la fois scalpel et pinceau. Et c’est cette puissance formelle qui sert de tremplin au propos de Mocky, lequel rentre dans le lard d’une bourgeoisie repliée sur elle-même et en rupture avec une nouvelle génération qui ne sait pas où elle va mais qui réclame son droit de vivre sans entraves. Une jeunesse sulfureuse et passionnée (voir la scène du night-club sur une péniche) qui ne sait plus où donner de la tête tant les murs à abattre sont nombreux.
L’odyssée de François Gérane et de son compagnon d’infortune Heurtevent (un Charles Aznavour émouvant) annonce déjà le cinéma libertaire et nihiliste de Jean-Pierre Mocky et sa position d’électron libre, insaisissable et pourtant toujours rattrapé par ces foutus cases dans lesquels on ne cessera jamais d’essayer de l’enfermer.
Image
Issu d’une restauration chirurgicale effectuée en 4K, le master présenté ici est d’une propreté tout bonnement renversante. Les contrastes, très travaillés et précis, laissent tout de même ce qu’il faut de respiration au grain, notamment lors des scènes nocturnes. La définition est de premier ordre.
Son
Un souffle lointain et des craquements qui le sont encore davantage pour ce mixage en mono d’une grande clarté et à la dynamique musicale qui ne démérite pas.
Interactivité
Enregistrée pour le cinquantième anniversaire du film et reprise du DVD de 2009, la présentation par Jean-Pierre Mocky lui-même est un modèle de concision. Origine du projet, pré-production, note d’intention, anecdotes de tournages, héritage de l’œuvre : tout y est en seulement dix minutes. Charge à Eric Le Roy (critique, historien du cinéma et chef de service au CNC) de développer et d’apporter le recul nécessaire aux propos du cinéaste avec un entretien d’une de près d’une demi-heure assez intéressant mais aussi très laborieux, le monsieur n’étant pas très à son aise face à une caméra. Plus réussi est le portrait de Georges Franju par Bernard Payen même si il reste très scolaire. Nettement plus originale et inattendue est la section consacrée à l’affiche originale du film signée Bernard Villemot, l’occasion d’un hommage à l’art disparu des affichistes de cinéma.
Liste des bonus
Entretiens autour du film avec Eric Le Roy (25 minutes) / Interview de Jean-Pierre Mocky (9 minutes) / Georges Franju par Bernard Payen, responsable de la programmation de la Cinémathèque Française (26 minutes) / Le film par l’affiche : entretien avec Jacques Ayroles autour des affiches d’époque (20 minutes) / Bande-annonce (2 minutes).