LA RÈGLE DU JEU

France – 1939
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Comédie dramatique
Réalisateur : Jean Renoir
Acteurs : Roland Toutain, Nora Gregor, Marcel Dalio, Jean Renoir, Paulette Dubost, Mila Parély…
Musique : Joseph Kosma
Durée : 110 minutes
Image : 1.37 16/9
Son : Français DTS-HD Master Audio 2.0 Mono
Sous-titres : Français
Editeur : Rimini Editions
Date de sortie : 4 juin 2025
LE PITCH
Lors d’un week-end de chasse en Sologne, les couples se font et se défont dans la demeure du marquis de la Chesnay, aristocrate volage marié à Christine, belle autrichienne dont s’est épris l’aviateur André Jurieu…
Effets secondaires
Peut-on seulement s’attaquer à un film dont le statut de grand classique inscrit au patrimoine national semble l’immuniser contre la moindre critique ? La tâche, on ne vous le cache pas, est risquée. Face à l’œuvre de l’immense Jean Renoir, la nuance est de mise.
Sorti sur les écrans deux mois avant le début de la Seconde Guerre Mondiale, La règle du jeu vient de facto conclure la première partie de la carrière de Jean Renoir, qui s’exile à Hollywood en 1941, fuyant l’occupation nazie. En dépit de l’aura qui entoure déjà des films comme La grande illusion, La bête humaine ou Partie de campagne (pour ne citer que des monuments), il n’est sans doute pas inutile de rappeler que l’accueil réservé par le public et une partie de la critique à La règle du jeu est on ne peut plus houleux. Visant la (fausse) légèreté du marivaudage, Renoir tend un piège dont il est finalement le premier à être la victime.
« Une fantaisie dramatique. » C’est ainsi que La règle du jeu se présente dès son générique d’ouverture, pas loin d’être en contradiction avec la très joyeuse citation de Beaumarchais (pour Le mariage de Figaro) qui suit. Riez maintenant, vous pleurerez tout à l’heure. Jean Renoir tente un mélange des genres empoisonné. La première scène en est la preuve flagrante avec cette foule en liesse venue accueillir l’exploit d’un jeune aviateur … qui tire la tronche et balance son désarroi amoureux sans filtre au micro d’une journaliste forcée de s’excuser dans la foulée. Le ton est donné et les indices sont là pour une fin tragique et cruelle. Nettement plus théâtrales, les scènes suivantes virent doucement au vaudeville. Avant que l’aviateur ne tente de se balancer dans un fossé au volant de son bolide et en compagnie de son meilleur ami. Tout le film repose sur ce va et vient entre naturalisme à la serpe et théâtralité surannée. Malgré la maîtrise écrasante de Renoir en termes de narration et la virtuosité avec laquelle il passe d’un personnage et d’un enjeu à l’autre, la sauce ne prend pas vraiment. Bien sûr, la sensibilité personnelle du spectateur entre en ligne de compte mais on ne peut pas non plus omettre l’antipathie générée par la quasi-totalité de cette galerie de bourgeois aux préoccupations superficielles et un style trop austère pour générer l’émotion nécessaire.
D’un autre temps
Certains films ne semblent pas vouloir vieillir quand d’autres, bien que très réussis, restent figés dans le temps. C’est indéniablement le cas de La règle du jeu, témoignage à la naphtaline d’une époque et de mœurs (quasiment) révolus. Soignée, la direction d’acteurs renforce cette impression, exception faîte de Julien Carette, fabuleux en braconnier séducteur et gouailleur, et de Jean Renoir en personne, qui fait merveille en confident fidèle mais aussi insatisfait. En fait, il semble presque impossible de se défaire de l’impression d’observer une pièce de musée et non une fiction vivante et vibrante. Même un morceau de bravoure reconnu comme la scène de la chasse n’échappe pas à ce sentiment, son montage très brutal cassant la moindre envolée. Comme le coup de fusil d’un chasseur. Un effet voulu mais qui empêche en réalité de s’impliquer. Alors oui, inévitablement, entre deux dialogues qui semblent déclamés avec application plutôt qu’interprétés, entre deux portes qui claquent pour des amourettes inconséquentes et entre deux considérations un peu faciles sur la lutte des classes (les pauvres rêvent d’être riches, les riches sont malheureux en amour – bâillement poli), l’ennui s’installe. Et pas qu’un peu. Sacrilège ? On vous laissera juger sur pièce.
Ennui ou pas, La règle du jeu ne se découvre pas pour autant en vain. Nous le faisions remarquer plus haut mais la maîtrise technique et narrative de Jean Renoir (avec un jeu parfois ahurissant sur la profondeur de champ et le réajustement du cadre) continue de faire école. Et la façon dont le film aborde le thème de la guerre par la bande, alors qu’au dehors gronde la tempête d’un conflit mondial, (r)éveille l’intérêt. Le marivaudage fait écho au jeu des alliances entre pays, la partie de chasse au massacre des innocents et la hiérarchie établie entre le marquis et son personnel aux différences de traitement accordés par l’armée française aux différentes couches sociales.
Un classique peut être surestimé mais il n’arrive jamais aussi haut sur le podium de l’Histoire sans quelques qualités à se mettre sous la dent. La nuance, encore et toujours.
Image
L’Histoire est désormais assez connue : les négatifs originaux de La Règle du jeu, comme quelques autres, furent entièrement détruit lors d’un bombardement. Ne restaient alors plus que des tirages plus ou moins de bonnes qualités et surtout des montages plus ou moins censurés et tronqués. Ce fut en 1959 que des passionnés se lancèrent dans la quête de reconstituer la version la plus complète du film. Renoir le dit lui-même, le montage initial est définitivement perdu et il manquerait encore et toujours quelques plans et une scène particulière, mais pas indispensable. Le souci c’est que cette copie, composée de source disparates et de tirages pas toujours très soignées a longtemps cantonné le film à une image très fluctuante, aux contrastes faibles, marquée régulièrement par d’importantes zones de flou (en particulier sur la droite de l’image) et jalonné de divers taches, points et griffures.
Après de longues années de vaches maigres et diverses tentatives pour exploiter le tout en VHS, DVD puis Bluray, quitte à lisser l’ensemble, voici pour cette édition une toute nouvelle remasterisation 4K effectuée en 2021 à partir de la meilleure source existante. Pas de miracle, on observe toujours quelques variations (voir légers tremblements) de la luminosité, des zones et des photogrammes plus doux, mais l’ensemble est nettement plus homogène qu’autrefois, accompagné par un retour remarqué du grain de pellicule, délicat et organique, et des contrastes noirs et blanc ravivés et élégants. Le piqué général n’est pas en reste avec l’appui d’une très belle profondeur et d’un effort considérable porté sur la netteté des images. Cela faisait 90 ans que le film n’avait pas affiché une telle forme.
Son
Restauré à partir de la source nitrate, la piste sonore mono du film s’offre elle aussi un sacré rafraichissement. Si forcément au vu de l’âge du film et de sa trajectoire de conservation difficile, on n’échappe pas à quelques grésillements parfois et à un mixage marqué par quelques déséquilibres dans la présence de certaine voix, la comparaison avec les propositions des années précédentes est frappante. Le DTS HD Master Audio 2.0 redonne beaucoup de clarté à l’ensemble, égalise les volume tout en préservant leurs textures si particulières.
Interactivité
Rimini Edition signe à nouveau une très grande édition cinéphilique. L’éditeur reprend d’ailleurs ici directement l’habillage collector de sa mémorable édition de L’Homme tranquille de John Ford avec un large digipack contenu par un coffret cartonné solide avec en suppléments physique quatre reproductions d’affiches au format carte postale et un livret touffu, documenté et analytique rédigé par Charlotte Garson des Cahiers du cinéma.
La suite se compose en trois disques avec l’UHD 4K du film et son homologue Bluray comprenant comme bonus le passionnant commentaire audio critique enregistré par Olivier Curchod pour une ancienne édition DVD de Montparnasse. D’ailleurs sur le second disque Bluray, entièrement réservé aux suppléments, on retrouve aussi l’intervention filmée supplémentaire du même journaliste, auteur au passage de cinq ouvrages sur Renoir, qui cette fois-ci verse moins dans l’analyse que dans la présentation plus classique de la naissance du projet, son tournage, sa sortie peu enthousiaste et sa pérennité. Toujours en prévenance de cette édition de 2005, il y a aussi le segment « Ma règle du jeu « qui donne la parole à Claude Chabrol, Guy-Claude François (chef décorateur), Noémi Lvovsky et Eduardo Serra (directeur de la photographie) où chacun explore par son regard personnel, artistique et professionnel son lien avec le film.
Rimini ajoute aussi une nouvelle présentation du film, par Philippe Roger (maître de conférences en études cinématographiques) qui va surtout l’aborder par le biais du traitement du son. Des souvenirs du Renoir de l’époque du muet à sa prise en main de la problématique du son à son utilisation très particulière de la musique et du montage sonore, le film se révèle par un angle inédit et effectivement très intéressant. On découvre aussi une longue discussion entre Jean Douchet et Arnaud Desplechin enregistrée lors d’une présentation du film à la Cinémathèque française, où le propos revient naturellement sur de nombreuses informations déjà entendues, mais développe aussi des réflexions plus étendues sur le cinéma de Renoir, les attributs de la comédie et du drame ou les enjeux politiques de l’époque.
Rimini est aussi aller piocher dans les larges archives de l’INA pour dégoter quelques documents déjà connu par les amateurs comme cette introduction signée Jean Renoir en personne mettant en avant justement la petite revanche de la sortie du film dans un montage reconstitué ou le documentaire « Jean Renoir le patron » issus de la collection Cinéastes de notre temps, constitué d’une longue interview du réalisateur par Jaques Rivettes et André S. Labarthe (excusez du peu) suivi d’une visite pleine d’émotion du château où eu lieu le tournage avec la participation supplémentaire de l’acteur Marcel Dalio. Plus rare, on peut aussi revoir une rencontre avec les deux acharnés qui se sont lancés dans la reconstruction de l’oeuvre en 1959 et qui évoque autant la petite histoire technique du film que les difficultés rencontrées dans leur aventure cinéphile, ainsi qu’une émission présentée par François Truffaut (excusez du peu) revenant là aussi, en compagnie de collègues critiques, sur l’importance de l’objet, ses inventions de mise en scène, son utilisation du décor et sa direction d’acteurs moderne.
Tout cela tisse un réseau historique, critique et analytique d’une rare profondeur. Naturellement certaines informations, incontournables, et thématiques reviennent d’un segment à l’autre, mais peuvent aussi régulièrement se répondre et se compléter. Les nombreux amateurs du cinéma de Renoir et les passionnés de La Règle du jeu ont de quoi s’occuper.
Liste des bonus
Le livre « La Règle du jeu – Le Dessous des cartes » rédigé par Charlotte Garson des Cahiers du Cinéma (64 pages), 4 reproductions d’affiches format cartes postales, Commentaire audio de Olivier Curchod (Éditions Montparnasse), Jean Renoir présente La Règle du Jeu (Archive INA, 6’), « Jean Renoir, le patron », extrait de « Cinéastes de notre temps », réalisation Jacques Rivette (Archive INA, 56’), « Reconstituer La Règle du jeu » (Archive INA, 10’), Olivier Curchod présente La Règle du Jeu (Éditions Montparnasse, 27’), « La Règle du jeu » par François Truffaut (Archive INA, 23’), Dialogue entre Jean Douchet et Arnaud Desplechin (Novembre 2014, Cinémathèque française, 49’), « ‘Ma’ Règle du Jeu » par N.T. Binh (Éditions Montparnasse, 15’), « La Règle du jeu musical », filmanalyse de Philippe Roger, maître de conférences en études cinématographiques (38’), Extrait de l’opéra-comique « Le Déserteur » (Collection Philippe Morin, 4’).