LA PEAU DOUCE
France – 1964
Support : Bluray & DVD
Genre : Drame
Réalisateur : François Truffaut
Acteurs : Jean Desailly, Françoise Dorléac, Nelly Benedetti, Daniel Ceccaldi, Laurence Badie, Philippe Dumas…
Musique : Georges Delerue
Durée : 118 minutes
Image : 1.66 16/9
Son : Français DTS-HD Master Audio 1.0
Sous-titres : Aucun
Editeur : Carlotta Films
Date de sortie : 2 juin 2021
LE PITCH
La relation cachée, puis découverte, entre un homme marié, conférencier de renom et directeur d’une revue littéraire, et une belle et jeune hôtesse de l’air, femme moderne et libérée…
Le mal aimé
Fort mal reçu par la presse au Festival de Cannes et par le public à sa sortie en salles en 1964, La peau douce occupa pendant longtemps la case du vilain petit canard dans la filmographie de François Truffaut. Réhabilité depuis, ce magnifique drame de l’adultère, marqué par ses influences hitchcockiennes et l’interprétation de Françoise Dorléac, reprend son envol chez Carlotta dans un coffret collector pas loin d’être indispensable.
La peau douce naît dans l’attente interminable du démarrage de Farenheit 451, l’adaptation du roman de Ray Bradbury accumulant les retards, entre négociation du budget et obtention des droits. Parce qu’il faut bien faire vivre la société des Films du Carrosse – sa compagnie de production – François Truffaut exhume de ses cartons un vague projet inspiré par un souvenir qu’il avoue partiellement fantasmé : la vision d’un couple s’embrassant dans une voiture et le bruit de leurs dents qui s’entrechoquent lors dudit baiser. Truffaut imagine un couple illégitime, un amant retrouvant sa maîtresse, entre excitation et angoisse d’être découverts. L’affaire Nicole Gérard, toute récente puisqu’elle date de juin 1963, lui donne la résolution de son intrigue. (Attention ! Spoilers !) La peau douce se clôturera donc sur un fait divers, tragique. L’épouse bafouée abattant le mari infidèle au fusil de chasse dans un restaurant bondé (fin du spoiler). En compagnie de son ami et collaborateur Jean-Louis Richard, le scénariste et réalisateur de Jules et Jim finalise un scénario qu’il peut tourner très vite, imprimant à son quatrième long-métrage un authentique sentiment d’urgence et de fuite en avant. Dans le contexte d’une société française réfractaire à la révolution des mœurs qui se dessine, François Truffaut aborde l’adultère de front, invitant le public à s’identifier à un personnage principal loin d’être sympathique. Jean Dessailly prête ses traits à un homme lâche, brillant sur le plan intellectuel mais maladroit, menteur et peu charismatique. Un petit fonctionnaire qui ne doit son statut social qu’à son talent à exploiter les mots des autres, ceux de Balzac et de Gide. Un homme « normal » pour reprend le modèle popularisé par un certain François Hollande. Truffaut ne le juge pas, il l’expose et épouse son point de vue, défini par la peur, l’hypocrisie et les illusions.
L’amour aux trousses
S’il fallait s’arrêter à ce triste sire de Pierre Lachenay (nom emprunté au vieil ami, Robert Lachenay), La peau douce serait certes un film courageux mais presque impossible à aimer. Mais François Truffaut a d’autres cordes à son arc. D’une apparente simplicité, sa mise en scène déploie pourtant des trésors d’ingéniosité et enfile les (discrets) morceaux de bravoure comme des perles. Sortant tout juste de ses célèbres entretiens avec Alfred Hitchcock, Truffaut nourrit son découpage et ses angles de prises de vue d’hommages incessants au cinéma du maître du suspense. Appliquant à des scènes intimistes (là, une rencontre dans un ascenseur, là, un rendez-vous gâché) les vieilles recettes du réalisateur de La Mort aux Trousses et de Sueurs Froides, jouant de la dilatation du temps, du silence, des regards et des gros plans, François Truffaut parvient, sans effets ostentatoires, à nous faire ressentir la nervosité constante de son anti-héros. Malgré les contraintes de temps et sa mise en chantier éclair, La peau douce est un film sophistiqué, travaillé jusque dans le moindre détail et la preuve, si besoin était, que la Nouvelle Vague n’est pas synonyme d’une enfilade de champs contre champs paresseux cadrés sans une once de bon goût.
S’opposant à l’image très « vieille France » collant à la peau de Jean Desailly, Françoise Dorléac est le contrepoint idéal. La beauté et le naturel de la sœur aînée de Catherine Deneuve séduisent et fascinent. Elle est le seul point d’empathie du public pour le personnage de Lachenay. Un sourire, et c’est le grand amour. Un regard triste, une moue de reproche, et le doute et le désespoir s’emparent du spectateur. L’insistance avec laquelle la caméra s’attarde longuement sur le visage de l’actrice lors de son monologue menant à la rupture est à marquer d’une pierre blanche. Juste un visage et le flot des émotions au gré des mots, la très belle musique de Georges Delerue, d’une tristesse à vous fendre l’âme, en conclusion.
Oui, La peau douce est un chef d’œuvre, à la fois une gifle et une caresse, et sans doute le meilleur film de François Truffaut, au coude à coude avec Les deux anglaises et le continent. Si, d’aventure, les têtes pensantes de Carlotta souhaitaient se frotter une nouvelle fois au cinéma de ce cher François, nous aurions bien un titre à lui suggérer.
Image
Le velouté d’un noir et blanc ressuscité, la précision et la clarté d’un master restauré avec un soin maniaque. Le grain se fait discret au profit d’une définition redoutable et d’une profondeur de champ vertigineuse. Superbe.
Son
Le mono DTS frôle la saturation à deux ou trois reprises, lors des envolées lyriques de la musique de Delerue. Mais le mixage, propre et mesuré, tient bon, rythmé par des silences à la présence inédite pour un film de cet âge.
Interactivité
Fastidieux et parfois difficilement audible, le commentaire audio où le critique Serge Toubiana relance constamment un Jean-Louis Richard pas forcément bavard, est une vraie déception. On y apprend bien peu de choses et l’ennui règne en maître absolu. Sans surprise, Toubiana soigne davantage sa présentation du film, concise et riche d’informations essentielles à la compréhension du film et de son auteur. Les deux minutes d’archives télévisées s’attardant sur Nelly Benedetti et Françoise Dorléac à Cannes sont dénuées de la moindre espèce d’intérêt. Deux entretiens d’époque laissant la parole à François Truffaut, volubile et se prêtant volontiers à l’analyse, remontent le niveau et s’additionnent à la perfection avec le module animé par Nicolas Saada, le journaliste proposant une lecture très pertinente et forcément subjective de La peau douce. Nichés dans un coffret élégant, les goodies complètent l’expérience, entre pur fétichisme (photos et affiche) et lecture précieuse, passant du fac-similé du dossier de presse à une première version du scénario.
Liste des bonus
Commentaire audio de Serge Toubiana et Jean-Louis Richard, Présentation du film par Serge Toubiana, Bande-annonce originale, Émissions TV : Actualités télévisées : Françoise Dorléac et Nelly Benedetti au Festival de Cannes à propos du film « La Peau douce » (INA, 1964, 2’), « Première-Magazine » : François Truffaut et Françoise Dorléac interviewés par la télévision flamande (1964, 4’), « Cinéastes, de notre temps : François Truffaut ou l’esprit critique » (INA, 1965, HD, 10’), « L’Ancien et le moderne » : analyse du film par Nicolas Saada (10’).