LA MAISON PRÈS DU CIMETIÈRE
Quella villa accanto al cimitero – Italie – 1981
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Horreur
Réalisateur : Lucio Fulci
Acteurs : Catriona MacColl, Paolo Malco, Ania Pieroni, Giovanni Frezza, Silvia Collatina, Dagmar Lassander, …
Musique : Walter Rizzati
Durée : 86 minutes
Image : 2.35:1, 16/9ème
Son : Français, Italien & Anglais DTS-HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français (uniquement synchronisés avec la version anglaise)
Éditeur : ESC Editions
Date de sortie : 2 novembre 2022
LE PITCH
Les époux Boyle emménagent dans une vieille bâtisse de la Nouvelle-Angleterre et deviennent les témoins d’évènements de plus en plus étranges. Leur jeune fils, Bob, prétend voir et entendre une petite fille qui les supplie de quitter les lieux au plus vite, …
La Maison du diable
Dernier volet d’une trilogie informelle consacrée aux « portes de l’Enfer », La Maison près du cimetière met un point final à la brève mais fructueuse collaboration entre le cinéaste Lucio Fulci et sa muse, la britannique Catriona MacColl. Les excès gore attendus se mêlent cette fois-ci à une touche de psychanalyse, de drame familial et de mélancolie pour un résultat toujours aussi obsédant.
Le succès de L’Enfer des Zombies (alias Zombi 2 en Italie et un peu partout ailleurs dans le monde) à l’été 1979 ouvre de nouvelles portes à Lucio Fulci. Déjà coutumier de l’horreur pour en avoir usé (mais sans en abuser) lors de ses incursions dans le thriller, le drame historique ou le western spaghetti, le cinéaste de 52 ans, alors en perte de vitesse, peut désormais y sauter à pieds joints, sans le moindre complexe, et tordre les codes du genre à son bon vouloir. Autant L’Enfer des Zombies donnait dans le bis, l’action et le gore avec une énergie de jeune homme, livrant au passage un prologue tout à fait valable et distrayant (mais totalement officieux et « pirate ») au classique de George A. Romero, autant Frayeurs, qui sort l’année suivante, est un tout autre animal. Très inspiré par Lovecraft auquel le film est un hommage puissant, Fulci impose son style, fait de poésie morbide, de gore vomitif, de nihilisme et de pessimisme, et une jeune actrice anglaise de 26 ans, Catriona MacColl, muse spectrale en équilibre entre le monde des vivants et l’au-delà qu’il met en scène avec un certain sadisme. L’Au-Delà, justement, est le titre du film suivant et qui sort sur les écrans en avril 1981. Fulci retrouve Catriona MacColl, son directeur de la photographie Sergio Salvati, le compositeur Fabio Frizzi et le superviseur des effets spéciaux Giannetto De Rossi. Une dream team qui se surpasse pour livrer ce qui restera sans doute le summum de l’horreur à l’italienne, chef d’oeuvre apocalyptique à l’atmosphère putride et cruelle. Comment faire mieux ? Fulci refuse tout d’abord la surenchère et fait un pas de côté en adaptant Le Chat Noir d’Edgar Allan Poe. De l’horreur, toujours, mais avec une touche de classicisme pour un résultat à ce jour sous-estimé. La Maison près du Cimetière suit de très près et vient donc mettre un terme au cycle entamé avec Frayeurs. Mais Fulci y semble moins enclin à gratter les portes suintantes de l’enfer et préfère observer, presque résigné, l’implosion d’une famille maudite avant de nous inviter à laisser reposer en paix les morts.
Le Comte de la crypte
Sur un plan littéraire, La Maison près du Cimetière semble poursuivre dans la veine Lovecraftienne, notamment en situant son histoire dans les décors lugubres et chargés d’histoire de la Nouvelle-Angleterre, mais le spectre d’Henry James et du « Tour d’écrou » (qui sera adapté au cinéma sous le titre Les Innocents par Jack Clayton en 1961) plane également sur le scénario, écrit à plusieurs mains et intégralement remanié par Fulci lui-même. Succès du moment au box-office, Amityville et Shining viennent également nourrir l’histoire de la famille Boyle qui emménage dans la demeure de l’énigmatique Dr Freudstein (Freud + Frankenstein : le message est clair!), elle-même plantée au milieu d’un cimetière datant du siècle précédent. Soignée jusqu’au moindre détail, l’atmosphère est lourde de sens et de menace et Lucio Fulci délaisse la dynamique du couple ou du duo pour celle d’une famille de toute évidence dysfonctionnelle. La mère (Catriona MacColl) est sous cachets et oscille entre apathie et hystérie et le jeune fils, au physique de poupée de porcelaine (l’étonnant Giovanni Frezza) n’a qu’une seule amie, une petite fille dont on ignore si c’est un fantôme ou le fruit de son imagination. Quant au père, mollement incarné par l’horripilant Paolo Malco, véritable talon d’Achille du métrage, il n’est pas fiable du tout et son obsession pour ses « recherches » cache un secret que le cinéaste suggère habilement. Le monstre caché dans la cave ne serait-il pas l’expression de son subconscient ? Son alter-ego meurtrier ?
L’hypothèse est valable mais Fulci sait aussi tenir son récit pour le faire fonctionner au premier degré et soigne les scènes de meurtre et les effets chocs. La pierre tombale fêlée en plein milieu du salon est d’ailleurs une image mémorable et sa présence funeste contamine un film incroyablement triste et mélancolique. Le gore n’est ici qu’une partie du contrat et le propos de Fulci est ailleurs. La répétition du tragique et la mort de l’innocence hante chaque photogramme de La Maison près du Cimetière, « conclusion » pleine d’amertume au point que le cinéaste refuse de filmer le visage de Catriona MacColl lors de son trépas, volontiers décevant. La fin abrupte et le dernier plan, métaphore champêtre et automnale d’un glissement irrémédiable vers l’au-delà témoignent d’un Lucio Fulci enfermé dans son spleen. Si la suite de sa carrière ne manque pourtant pas d’intérêt (vite, un blu-ray de Murder Rock!), le réalisateur de Beatrice Cenci et du Venin de la Peur signe avec La Maison près du Cimetière ce qu’il est permis de considérer comme étant son dernier grand film.
Image
Après plus d’un an de reports successifs de la part d’ESC pour diverses raisons (COVID, qualité du master, matières premières pour la confection du packaging et on en passe), l’éditeur n’avait pas le droit de décevoir. Bonne nouvelle, le master proposé ici est incontestablement le plus beau consacré à un film de Lucio Fulci sur le marché français. Les couleurs, la définition et le grain le placent même un léger cran au-dessus du superbe blu-ray d’Ecstasy of Films consacré à L’Éventreur de New-York, une référence en la matière, et fait encore mieux que les restaurations luxueuses du Chat Qui Fume. Un constat encore renforcé par un UHD qui tutoie les sommets d’une projection en 35mm. Un émerveillement de tous les instants. Il reste bien un ou deux accidents de pellicule ici et là, mais la résurrection des contrastes et des détails et le traitement très organique des nombreux gros plans forcent le respect.
Son
Belle idée que de laisser le choix entre la version française, la version anglaise internationale et la version italienne et sans avoir recours à un gonflement artificiel et périlleux en 5.1 ou 7.1 mais toutes les pistes ne sont pas traitées avec le même soin. Un peu caverneux par instants, le doublage hexagonal demeure très agréable. Le doublage anglo-saxon offre le meilleur rendu et la dynamique la plus convaincante (surtout sur la musique et les effets sonores) mais une pointe de souffle est quand même audible. La version italienne est la plus faible avec des dialogues étouffés et même inaudibles et seul le traitement de la bande originale de Walter Rizzati est à la hauteur des attentes. Bilan mitigé donc, mais loin d’être rédhibitoire.
Interactivité
Reprenant l’affiche originale de 1981 en la plongeant dans des teintes rouge sang, le packaging, très élégant, renferme les deux disques et un livret d’une trentaine de pages du stakhanoviste de la plume Marc Toullec. Les bonus vidéo ne sont pas aussi nombreux que ceux de (au hasard) l’édition collector US de Blue Underground et ils ne reprennent malheureusement pas le contenu du collector DVD de Neo Publishing mais la qualité est tout de même au rendez-vous. Complice de Luc Lagier sur « Blow Up », cultissime programme court de la chaîne Arte, Thierry Jousse croque un portrait tout à fait indispensable de Lucio Fulci en compilant extraits de sa filmographie et anecdotes et signe là l’un des meilleurs suppléments jamais consacré au pape du gore transalpin qui tâche. Spécialiste du cinéaste et responsable des excellents livrets qui accompagnent les éditions d’Artus Films, Lionel Grenier passe devant la caméra pour un court entretien, laborieux sur la forme, passionnant sur le fond, consacré à La Maison près du Cimetière avant d’offrir trois analyses de séquences très pertinentes. Une petite bande-annonce bien vintage n’aurait pas été de refus mais on ne va pas faire les fines bouches devant un programme somme toute très complet.
Liste des bonus
L’Enfer de Fulci par Alexandre Jousse (31 minutes) / Analyse de séquences par Lionel Grenier : La jeune fille et la mort, Bob l’enfant solitaire, Dr Freudstein & Mr Boyle / La maison des horreurs par Lionel Grenier (12 minutes).