LA LETTRE INACHEVÉE
Неотправленное письмо – URSS – 1959
Support : Bluray
Genre : Aventures
Réalisateur : Mikhail Kalatozov
Acteurs : Tatiana Samoilova, Evgeniy Urbanskiy, Innokentiy Smoktunovskiy…
Musique : Nikolai Kryukov
Durée : 96 minutes
Image : 1.37 16/9
Son : Russe DTS-HD mono
Sous-titres : Français
Éditeur : Potemkine Films
Date de sortie : 15 mars 2022
LE PITCH
Quatre géologues russes partis à la recherche d’un gisement de diamant en Sibérie centrale se retrouvent pris au piège par un gigantesque feux de forêt et tentent de rejoindre la civilisation en affrontant les éléments, …
La mère patrie
Coincé entre la Palme d’Or de Quand passent les cigognes et la redécouverte tardive mais déterminante de Soy Cuba, La lettre inachevée ferait presque office de chaînon manquant dans la collaboration entre le metteur en scène Mikhail Kalatozov et le chef opérateur Serguei Ouroussevski. Au travers d’une édition tout simplement indispensable, Potemkine Films fait toute la lumière sur un survival expérimental, expressionniste et intimiste.
La lettre inachevée s’ouvre sur un texte rendant hommage à l’esprit de conquête soviétique et au courage de ces hommes et de ces femmes cherchant à dompter la nature pour la gloire de la patrie et le bien être des camarades. Une entame patriotique et propagandiste qui ne trouve d’écho sur la durée qu’au détour de certains dialogues et d’un habillage musical vieillot et il faut bien l’avouer un tantinet ringard. Impossible d’en vouloir à Mikhail Kalatozov qui fut obligé de manger son pain noir en raison de la noirceur et du pessimisme du Clou dans la botte, un film de 1932 mal accueilli par les autorités du régime communiste. Revenu dans les bonnes grâces de Staline puis de Kroutchev, le cinéaste a vite compris qu’il était plus profitable d’aller dans le sens du vent et d’obtenir par le compromis une certaine liberté artistique. Flatter le développement industriel de l’U.R.S.S. n’est donc qu’un prétexte et le point de vue de Kalatozov sur le rapport de l’homme à la nature dévie assez nettement de la logique productiviste du communisme, la remettant en cause subtilement.
Adaptation d’une nouvelle de Valeri Ossipov, La lettre inachevée use également comme fil rouge de la correspondance du leader de l’expédition Konstantin à son épouse restée au domicile Vera. En voix-off, le personnage principal raconte ses épreuves et ses états d’âmes, noircissant les pages d’une longue lettre qu’il espère remettre à sa tendre Vera en main propre. En parallèle, un triangle amoureux se dessine autour de Tatiana, la seule femme du groupe, en couple avec Andreï mais convoitée par le guide Sergueï. Cet échantillon du romantisme et du vague à l’âme russe n’est encore une fois qu’un prétexte et le choix dramatique fort de tuer le personnage de Sergueï très tôt permet à Kalatozov d’asseoir son véritable propos et ses intentions : Dame Nature n’a que faire de la Mère Patrie, des camarades, de leurs tragédies intimes et de l’idéal soviétique. Attaquée, la nature riposte, sans faire de quartiers.
Enfermés dehors
Directeur de la photographie largement admiré dans son pays et en dehors pour son usage novateur et ambitieux de la caméra et de la lumière, Sergueï Ouroussevski occupe une position primordiale dans la démarche formaliste et immersive de Kalatozov, au point qu’il n’est pas tout à fait interdit de le considérer comme coréalisateur de La lettre inachevée. Joignant ses efforts à ceux du directeur artistique David Vinitski, Ouroussevski exacerbe les contrastes avec de nombreux tableaux à contre-jour et multiplie les cadres étouffants. Bien que tourné en décors naturels, La lettre inachevée se joue du réalisme documentaire en recréant des pans de forêts bien plus touffue que ce que la Sibérie pouvait mettre à disposition de l’équipe du film. Des branches mortes sont arrangées pour envahir le premier plan et enfermer les protagonistes dans une véritable prison à ciel ouvert. Le feu de la gargantuesque séquence d’incendie ou la neige de la dernière bobine perturbent encore davantage les points de fuite et la ligne d’horizon. Même les instants les plus « réalistes » sont déformés par l’allégresse hystérique de longs plans en caméra portée qui, pour un public contemporain, ne sont pas loin d’évoquer les vues subjectives du démon dans les Evil Dead de Sam Raimi. C’est dire si le film de Mikhail Kalatozov n’est pas loin de flirter avec l’horreur et le fantastique.
La caméra n’est pas le seul allié de Kalatozov qui peut aussi s’appuyer sur un la physicalité et les difficultés climatiques d’un tournage étalé sur près d’un an afin de capter l’ensemble des saisons. Impliqués jusqu’à l’épuisement, les quatre comédiens (parmi lesquels l’héroïne de Quand passent les cicognes, Tatyana Samoylova) ont de toute évidence donné de leur personne pour transformer leurs personnages en silhouette maltraitées, noircies et décharnées, anticipant d’un demi-siècle l’odyssée exténuante de Leonardo Di Caprio dans The Revenant, avec un résultat au moins aussi intense.
Exercice de style d’une beauté tétanisante, La lettre inachevée n’a pas peu de réduire son tissu narratif à peau de chagrin pour mieux rendre compte du combat perdu d’avance de l’homme contre la Nature et témoigne une fois encore de l’inventivité spectaculaire du cinéma russe et de son avant-gardisme formel.
Image
Issue d’une nouvelle restauration en 4k, la copie est absolument superbe. Le grain d’origine est respecté sans jamais être envahissant. Les contrastes mettent en valeur l’exceptionnelle tenue des noirs et la définition est de tout premier ordre. Un must absolu !
Son
Propre et équilibrée, la piste son mono n’est pas là pour offrir un spectacle acoustique total mais elle accompagne efficacement, par sa clarté et sa justesse, l’expérience visuelle.
Interactivité
Le livret de 60 pages est directement lié à la passionnante intervention d’Eugénie Zvonkine puisque cette dernière puise dans le témoignage et les comptes-rendus sur papier de David Vinitski les anecdotes et les arguments qui lui permettent de détailler les intentions de Mikhail Kalatozov et de Sergueï Ouroussevski dans la conception et le tournage de La lettre inachevée. Une telle interaction entre le contenant et le contenu est suffisamment rare pour qu’elle soit ici saluée. Merci Potemkine !
Liste des bonus
Livret de 60 pages, « La lettre inachevée : un diamant noir » : analyse du film par Eugénie Zvonkine (25’).