LA DÉROBADE
France – 1979
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Daniel Duval
Acteurs : Miou-Miou, Daniel Duval, Maria Schneider, Niels Arestrup, Jean Benguigui, Martine Ferrière…
Musique : Vladimir Cosma
Durée : 115 minutes
Image : 1.66 16/9
Son : Français DTS HD Master Audio 2.0 Mono
Sous-titres : Sans
Éditeur : Tamasa Diffusion
Date de sortie : 11 mai 2021
LE PITCH
Parce qu’elle aime Gérard, flambeur et beau-parleur, Marie accepte de se prostituer. C’est le début d’un véritable enfer, ponctué d’arrestations, d’agressions et d’humiliations…
Histoire d’une prostituée
Plus de 2 millions d’entrées et le César de la meilleure actrice pour Miou-Miou. Adaptation du roman autobiographique de Jeanne Cordelier, La dérobade fut l’un des gros succès populaires de l’année 1979, malgré un sujet difficile, abordé de front et sans aucune volonté de séduire. Quarante ans (et le recul qui va avec) plus tard, le troisième film de Daniel Duval fait grise mine, plombé par l’ennui d’une mise en scène boiteuse, une interprétation très inégale et les mélodies insupportables d’un Vladimir Cosma pas très inspiré.
Selon l’adage, la prostitution serait le « plus vieux métier du monde ». Si l’on peut débattre sur l’emploi du terme « métier » (doux euphémisme pour asservissement et esclavage), on ne peut nier que les travailleuses et travailleurs du sexe inspirent l’Art depuis l’Antiquité. Le cinéma, bien entendu, n’est pas en reste sur le sujet. Nana de Jean Renoir et Loulou de G.W. Pabst, en 1926 et 1929 respectivement, exploitent très tôt cette thématique, tournant autour et en révélant le paradoxe : la prostitution est à la fois un fantasme et un cauchemar, une joie et une tragédie, de l’érotisme et du sordide. L’image qu’en donne le cinéma français repose d’ailleurs sur cette double impression, entre le souvenir truculent des bordels et des filles de joie peintes par Toulouse Lautrec et la triste réalité des tapins de Montmartre et de Pigalle.
Paru en 1976, « La dérobade » fait partie de ces ouvrages qui s’emploient à porter de sérieux coups de canifs au mythe d’une prostitution banalisée, nécessaire ou plaisante. De son vrai nom Danielle Coudert, la romancière Jeanne Cordelier y raconte ses années de prostituée, sans filtres. Et elle ne nous épargne rien de l’horreur d’une servitude humiliante où l’on exploite la naïveté, où l’on monnaie l’amour et où l’on broie l’espoir. « La dérobade », c’est l’histoire d’une jeune femme qui tombe sous la coupe d’un homme plus âgé, une romance qui vire à la dépendance. L’homme est un proxénète, un maquereau qui finance ses vices en prostituant la jeune femme, en la battant si elle refuse, en la séduisant et en la manipulant si les coups ne suffisent plus. Succès d’édition, « La dérobade » est une œuvre à la fois poétique, crue et suffocante où le lecteur est amené à espérer la délivrance de l’héroïne comme s’il s’agissait de la sienne.
Calvaire
C’est Miou-Miou qui, la première, pose une option sur le roman de Jeanne Cordelier, fascinée par cette histoire et fermement décidée à en tenir le rôle principal. Et c’est toujours Miou-Miou qui choisit Daniel Duval pour la mettre en scène, séduite par les deux premières réalisations de l’acteur, Le voyage d’Amélie et L’Ombre des châteaux. Et on peut d’ailleurs se demander, au passage, ce qui aura poussé l’actrice à confier un récit profondément urbain à un cinéaste bien plus attiré par la ruralité. Toujours est-il que La dérobade est une œuvre de commande et que la marge de manœuvre de Duval est limitée. Outre la réalisation, Daniel Duval co-écrit le scénario avec Christopher Frank et avec la participation de Jeanne Cordelier elle-même. Il s’offre également le rôle principal de Gérard, le maquereau, et place son vieux complice Albert Dray dans un second rôle que l’on qualifiera de mémorable ou de trash, selon l’humeur.
Comédien de premier plan, au charisme fascinant et malsain, silhouette instable et menaçante, Daniel Duval n’a pas le même talent derrière la caméra. Certaines scènes sont très réussies, à l’image de ce plan d’ouverture superbe et étrange où une vieille dame fatiguée traîne une chaise et finit par s’asseoir au beau milieu d’un carré de verdure dans une banlieue sinistre ou de ce moment effrayant où Miou-Miou se tape la tête contre la vitre d’une maison de passe et jusqu’à la briser et à s’ouvrir le front. On pourrait aussi citer la terrible punition infligée à des « clients » indélicats, aux effluves bis et malsaines. Mais Duval échoue sur le point le plus important : la relation entre Marie et Gérard. On ne croit pas un seul instant à l’histoire d’amour entre la jeune prostituée et le proxénète sadique et looser. Et c’est toute cette spirale infernale, la justification même de la fuite impossible de Miou-Miou qui en prend un coup. La répétitivité dans le glauque lasse très vite quand elle ne nous amène pas à en rire, nerveusement. Un comble.
Surestimé, La dérobade avance laborieusement, ne sachant parfois que faire d’un casting pourtant riche en gueules et en talents divers (Niels Arestrup, Jean Benguigui, Jean-Claude Dreyfus et, plus triste encore, une Maria Schneider complètement éteinte). Miou-Miou elle-même, en dépit d’un courage certain et d’une prestation jusqu’au boutiste et masochiste, ne fait guère d’étincelles. Mais la palme du pire revient à Vladimir Cosma et à ses atroces compositions, totalement cheaps et jamais adaptées à la situation, sans doute les pires de sa longue carrière. Elles achèvent de défigurer les intentions pourtant louables (et même d’utilité publique) de La dérobade.
Image
Fruit d’une restauration minutieuse entreprise par TF1 et le CNC, le nouveau master 4k de La dérobade offre une nouvelle jeunesse à un film jusqu’alors invisible. Couleurs et textures des intérieurs feutrés et sordides des bordels et des « bars à hôtesses » y gagnent considérablement avec un grain discret et habilement filtré. Un rendu cinéma épatant qui aurait sans doute mérité un pressage en UHD. En l’état, Tamasa prouve une fois de plus le sérieux indiscutable de son travail de patrimoine.
Son
Un mono à la pureté cristalline. Les trémolos de la musique ne saturent jamais, les dialogues sont clairs en toutes circonstances avec un mixage équilibré. Très belle présence des ambiances, des bruits de ruelles et de couloirs qui révèle le soin apporté à un montage son très immersif et ce, sans avoir à s’appuyer sur des effets multicanaux.
Interactivité
Dernière compagne de Daniel Duval avant sa mort en 2013, Fabienne Vette revient sur ses souvenirs de La dérobade et révèle la relation douce-amère entre le réalisateur et son film, vexé jusqu’à la fin de l’absence de Miou-Miou à la remise de son César. Ses propos sont entrecoupés avec ceux, nettement plus analytiques, du critique et réalisateur Bernard Payen. Un module passionnant, entre subjectivité et cinéphilie pure, et qui donnerait presque envie de revoir le film. Presque. Car la bande-annonce de L’Ombre des châteaux nous redirige davantage vers les premières œuvres de Daniel Duval avec une indéniable curiosité.
Liste des bonus
« À bonne distance », entretien avec Fabienne Vette et Bernard Payen (45′), Bandes-annonces de La dérobade et L’ombre des châteaux.