LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE
Last House on the Left – Etats-Unis – 1972
Support : Bluray
Genre : Horreur
Réalisateur : Wes Craven
Acteurs : Sandra Cassell, Lucy Grantham, David Hess, Fred J. Lincoln, Jeramie Rain, Marc Sheffler…
Musique : David Hess
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais et français DTS HD Master Audio 1.0
Sous-titres : Français
Durée : 84 minutes
Editeur : ESC Editions
Date de sortie : 21 février 2024
LE PITCH
Pour fêter son dix-septième anniversaire, Mari, accompagnée d’une amie, décide de se procurer de la marijuana. Lorsque Junior, un jeune marginal, se propose de leur en fournir, elles acceptent, sans se douter que le dealer fait partie d’une bande de sadiques meurtriers dirigée par le terrifiant Krug. Leur calvaire va bientôt commencer.
An Another Fucked-up Family
Trop souvent éclipsé par le majestueux (si, si) Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, La Dernière maison sur la gauche est certainement l’autre cauchemar terminal de l’Amérique des années 70. Une vision toute aussi brutale et désespérée d’un monde plongé dans une violence omniprésence et absurde signée par le futur géniteur de Freddy et de Scream.
Juste à la sortie des années peace and love, et surtout motivé par La Nuit des morts-vivants de George Romero, deux jeunes réalisateurs décident en 1972 de repousser encore plus loin les limites de l’horreur au cinéma. Jusque-là cantonné à quelques comédies oubliées voir à des films pornographiques signés sous pseudo, le monteur Wes Craven et son tout aussi jeune producteur Scean S. Cunningham (futur créateur de la saga Vendredi 13) veulent imposer leur marque dans le cinéma d’exploitation, avec un mélange de volonté farouche et de moyens extrêmement limités qui poussent certainement à quêter non pas un sensationnalisme clinquant, mais une certaine forme de brutalité crasse, voir même à imaginer tirer l’objet dans un premier temps vers des éléments de cinéma hardcore. Une relecture sanglante et plus dérangeante encore de La Source de Ingmar Bergman, dont les bases du fameux rape & revenge sont transposés des paysages historiques suédois, à une certaine banlieue contemporaine américaine. Finalement les aspects plus choquants, voir immontrables, du script seront écartés pendant le tournage (pas de plans X, de scatophilie…), mais le film n’en reste pas moins intensément éprouvant et frontal. Sans doute autant par la volonté de Craven de préserver une esthétique documentaire, prise sur le vif et volontairement peu élégante, que par la réalité d’un tournage éclair avec une équipe quasiment amateurs dans une ambiance lourde où les deux interprètes des victimes sont souvent poussés à bout. Une tension visible à l’écran et qui ne fait qu’ajouter au sordide de ce cauchemar de 80 minutes qui plus de trente ans après reste une expérience éreintante.
Première fois
Et ce n’est pas avec le peu d’horreur graphique que le film reste aujourd’hui encore dans les mémoires mais bien par ses choix de narration et de mise en scène. Avec son esthétique de snuff movie brut et glauque, le premier long de Wes Craven suit la torture et les viols interminables que subissent deux jeunes adolescentes innocentes tombées entre les mains d’une bande de dealers sans scrupules menée par un David Hess absolument tétanisant. Une mise en scène coup de poing, à l’esthétique volontairement cradingue, qui permet à Craven de confronter les spectateurs à la brutalité réelle du monde, et à l’absurdité de la mort à une époque où la guerre du Vietnam n’était qu’un conflit lointain mais qui nourrissait inlassablement l’actualité et la télévision. Tourné au plus près des visages, La Dernière maison sur la gauche ne laisse aucune échappatoire au spectateur et ne fait que souligner l’absurdité du calvaire en parsemant son montage de petites scènes comiques totalement absurdes (personnalisé par deux policiers à la ramasse dont l’un est joué par un jeunot Martin Kove, vilain sensei de Karaté Kid), voire de chansons folks aux airs joyeux presque déplacés, mais aux textes beaucoup plus ambivalents et noirs. En résulte un malaise qui ne vous lâche pas jusqu’à un final vengeur où les parents de l’une des demoiselles se montrent encore plus sadiques que les tortionnaires, n’hésitant pas pour madame à émasculer avec ses dents, où à sortir la tronçonneuse de l’établi pour monsieur. Une version exacerbée de cette horreur désormais devenue intérieure, échappée de ces visions safe de mondes lointains, venant éclore désormais directement au sein même de la sacro-sainte famille bourgeoise américaine.
Un jalon incontournable du cinéma horrifique moderne, qui clairement pave le chemin à son film frère qui sortira deux ans plus tard, avec tout autant de rage et de folie, Massacre à la tronçonneuse donc.
Image
Petit film indépendant tourné « à l’arrache » en double 16mm et dont les sources ont souvent été très mal préservées, oubliées, voir perdues, La Dernière Maison sur la gauche a nécessité un sacré travail d’enquêteur pour que les restaurateurs d’Arrow Video réussissent à produire la version restaurée HD proposée aujourd’hui par ESC. Les négatifs étant totalement perdus, c’est donc à partir d’un scan 2K d’une première génération de tirages négatifs 35mm récupérés chez le producteur Sean S. Cunningham, associée à d’autres éléments interpositifs (en particulier pour les plans inédits ou transformés des deux montages alternatifs) que la restauration a pu être produite. Forcément, même si le nettoyage a été particulièrement soigné et laborieux, de nombreux défauts persistent, que ce soit certains poils collés sur le négatif, quelques altérations et bien entendu les défauts d’une première œuvre : plans flous et collages rustres. La définition tire ici le maximum de son potentiel, pousse le piqué plus loin que jamais sur ce film, mais ne peut naturellement se départir du gros grain qui tache et d’une profondeur qui ne peut être trop poussée sans dénaturer le film proprement dit. Un travail solide et admirable, qui redonne d’ailleurs à la colorimétrie des accents légèrement plus chauds et naturels.
Son
La piste mono d’origine est elle aussi forcément limitée par ses défauts de captation initiaux avec de légers échos très entendables dans les scènes intérieures et des petits décalages de post-synchronisation sur d’autres. Il n’empêche que le mono en DTS HD Master Audio reste toujours clair, direct et efficace. Le doublage français, proposé uniquement sur la version Uncut, est plus propre et homogène mais a lui aussi un petit côté « dans son jus ».
Interactivité
Sacrée édition que propose là ESC avec un coffret à tirage limité bien imposant, sa petite série de goodies (affiches, photos), son traditionnel livret signé Marc Toullec et ses trois disques sertis dans le digipack qui fait bien. Trois bluray remplis à ras-bord d’éléments récoltés et collectés au cours des années et des éditions.
On y retrouve donc les deux making of rétrospectifs (très proches dans leurs formes et dans les infos délivrées) donnant la parole à tous les survivants (d’alors) de l’expérience pour retracer la naissance du film, son tournage parfois limite, sa sortie entre succès et dégouts et même pour régler quelques petits comptes dans la foulée. Tout y est déjà, même si les deux commentaires audios, avec d’un coté le réalisateur et le producteur, de l’autre les acteurs, viennent encore proposer quelques réflexions et souvenirs inédits, tout comme l’interview supplémentaire de Wes Craven, le segment d’archive sur la confrontation à la censure britannique et la musique de David Hess. Des éléments déjà croisés sur l’ancienne édition DVD de Wild Side Video ou sur divers sorties américaines ou britanniques auxquels il faut ajouter le long défilé d’images brutes récupérées sur la table de montage ou le court métrage inachevé et un peu pompeux de Wes Craven.
Mais il serait dommage de s’arrêter là puisque ESC ajoute à ce vaste programme ses propres bonus inédits avec un long entretien croisé entre Célia Sauvage, Clara Sebastiao et Violaine de Charnage autour des notions, codes et représentations du rape & revenge, une conférence intégrale de Stéphane du Mesnildot à la Cinémathèque française autour de la carrière et du cinéma de Wes Craven (à réserver aux néophytes cependant) ou des évocations de l’impact du cinéma de Craven sur trois jeunes réalisateurs français.
Ici les deux segments les plus intéressants restant certainement le témoignage d’Alexandre Aja sur sa collaboration avec le cinéaste et bien entendu l’analyse complète et brillante (comme toujours) de Jean-Baptiste Thoret qui redonne toute sa place au film dans l’histoire du cinéma d’horreur et du cinéma indépendant américain.
Enfin, cette édition ne serait bien évidement pas complète si elle ne proposait pas les trois montages du film. La version intégrale en tête de proue, mais aussi la version censurée largement diffusée pendant des années et le montage américain légèrement plus cut et alternatif (certains angles sont différents tous comme l’ordre de certaines séquences) intitulé Krug & Company. Le dernier disque propose aussi le film dans sa version dégueue et méchamment recadrée de l’ère de la VHS… mais là c’est du sadisme.
Liste des bonus
Le Blu-ray du film en version Unrated (84’), le Blu-ray du film dans son montage Krug & Company Cut (84’) et en version censurée (82’), le Blu-ray du film en version VHS, 1 livre rédigé par Marc Toullec (52 pages), 1 affiche, 5 tirages de photos du film, 5 reproductions de lobby cards du film (photos d’exploitation), Présentation du film par Jean-Baptiste Thoret (5’), Commentaire audio de Wes Craven et Sean S. Cunningham (VOST), Commentaire audio de David Hess, Marc Sheffler et Fred Lincoln (VOST), « Les Femmes dans le rape-and-revenge » : Entretien croisé avec Célia Sauvage, Clara Sebastiao et Violaine de Charnage (72’), « Ce n’est que du cinéma » : making of 29’), « Le Crime qui a changé le cinéma » : Interview de Wes Craven, Sean S. Cunningham et des acteurs 39’), « L’Héritage de Wes Craven » : entretien avec Alexandre Aja (17’), « Wes Craven, l’Amérique sauvage » : Conférence de Stéphane Du Mesnildot dans le cadre de la rétrospective Wes Craven à la Cinémathèque Française du 29 juin au 31 juillet 2016 (67’), « L’Empreinte Wes Craven » : l’influence de Wes Craven sur trois réalisateurs français David Perrault, Yann Gonzalez et Hélier Cisterne (17’), « Toujours debout, l’héritage de La Dernière Maison sur la gauche » : Interview d’archive avec Wes Craven (15’), « La Violence pour elle-même » par Jean-Baptiste Thoret (56’), « Krug fait plier l’Angleterre » (24’), « Images interdites » (8’), « Composer la musique de La Dernière Maison Sur La Gauche » : entretien avec David Hess (10’), « Tales That’ll Tear Your Heart Out, Roy Frumkes » : court métrage inachevé de Craven ( 11’), Scène coupée : « Mari Dying at the Lake » (1’), Prises de vues alternatives (48’), Bandes-annonces internationales.