LA COLOMBE BLANCHE & LE PIÈGE DU DIABLE
Holubice, Dáblova past – Tchécoslovaquie – 1960, 1962
Support : Bluray & DVD
Genre : Drame, Fantastique
Réalisateur : Frantisek Vlácil
Acteurs : Katerina Irmanovová, Karel Smyczek, Vjaceslav Irmanov, Vítezslav Vejrazka, Miroslav Machácek, Cestmír Randa…
Musique : Zdenek Liska
Image : 1.37 16/9
Son : Tchèque PCM 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 69 et 89 minutes
Editeur : Artus Films
Date de sortie : 4 février 2025
LE PITCH
Au nord de la Belgique, un lâcher de pigeons voyageurs est organisé. Au même moment, sur les bords de la mer Baltique, la petite Susanne attend le retour de sa colombe blanche. Mais l’oiseau a été dérouté par une tempête et se retrouve à Prague, se reposant sur un toit. Un jeune garçon infirme, Michal, tire l’oiseau à la carabine. Pris de regrets, il l’emmène au peintre Martin qui va tenter de le soigner.
Moravie, fin du XVIe siècle. Entre deux ravages des troupes suédoises et des périodes de sécheresse, le meunier Mlynár jouit d’une certaine popularité auprès des habitants de son pays. Il est serviable, et a, en outre, le don de trouver les sources. Le régent Valce, jaloux de la position du meunier, va faire courir des rumeurs sur ce dernier : il ne peut qu’être épaulé par le Diable. De plus, il va mandater un prêtre, Probus, afin de mener une enquête sur lui et sa famille.
Œuvres de paix
Poursuivant sa belle exploration des grandes œuvres du cinéma des pays de l’Est, Artus Films complète sa collection dédiée au cinéaste tchèque Frantisek Vlácil entamée avec le sublime Marketa Lazarova et le non moins réussi La Vallée des abeilles, en éditant ses deux premiers longs métrages La Colombe Blanche et Le Piège du diable. Un poème autour de l’enfance et de la liberté pour l’un, une confrontation plus théorique entre la religion et la science pour l’autre, et toujours une maitrise formelle éclatante.
Si effectivement le cinéma de Frantisek Vlácil n’est pas connu pour être forcément le plus facile d’accès, cultivant des rythmes lancinants, des atmosphères souvent lourdes et une austérité toute « communiste », il affiche cependant une qualité qui ne peut que mettre tout le monde d’accord. Une maitrise formelle souvent affolante, pure et majestueuse, d’autant plus prégnante durant cette première partie de carrière entièrement dévouée à un noir et blanc extrêmement contrasté. Des jeux de lumières tout autant impressionnistes que subtiles et délicats, des compositions de plans virtuoses multipliant les strates de profondeur et les reliefs de matières, des cadres incroyablement minutieux voir mathématiques : l’étudiant en histoire de l’art et peintre de nature (par opposition aux autres camarades de la « nouvelle vague » sortis des écoles de cinéma) approche effectivement l’image cinéma comme une succession de toiles.
Ailes d’oiseaux
Une exigence plastique constante mais qui ne se confond pas dans la démonstration froide, se tournant constamment vers une recherche poétique et une mise en évidence des sentiments des personnages, de la vie directrice de l’histoire proprement dite. C’est d’autant plus frappant dans son tout premier long, La Colombe Blanche, projet initié à l’international et remanié par beaucoup avant de lui être confié, et qu’il refaçonna vers une certaine épure. Une simple histoire d’une colombe égarée, attendue en mer baltique par une jeune adolescente, blessée puis soignée par un petit garçon lui-même handicapé. Une histoire de pas grand-chose, quasi-muette, mais où justement la beauté de la mise en scène vient constamment sublimer les sobres thèmes de la guérison, physique et mentale, du pouvoir de l’art (le voisin est peintre et sculpteur) et cette notion surnageant d’un message de paix pouvant traverser les horizons. Bourré de petites inventions visuelles (les plans filmés au travers de la toile de l’artiste) et de trouvailles (ces plages infinies où les acteurs semblent marcher sur l’eau), La Colombe blanche touche au cœur par sa douce candeur.
Ailes d’anges
Intégré par la suite à ce que les spécialistes considèrent comme sa trilogie historique aux cotés de Marketa Lazarova et La Vallée des abeilles, Le Piège du diable travaille toujours cette notion de cinéma comme le révélateur d’un dialogue, mais qui serait ici impossible. Un débat philosophique, politique et théologique entre un prévôt et un simple meunier, dans la Moravie du XVIe siècle, encore habitée par une concomitance entre les vieilles légendes et mythes païens (symbolisés ici par l’aura qui entoure injustement la famille du meunier) et les dogmes religieux qui, bien entendu, ne font que colporter ceux du pouvoir. Le prévôt brandit la sainte croyance comme explication à tout, mettant en danger ses ouailles et les confortant dans l’obscurantisme, tandis que le meunier par son simple sens pratique et sa bonne compréhension de la terre et de la nature, le remet constamment en question. Nettement plus bavard et parfois justement un peu trop démonstratif dans son argumentation, Le Piège du diable semble aussi moins à l’aise avec un pseudo-triangle amoureux entre le fils du meunier et la plus jolie fille du village forcément promise à un prétendant bien plus fortuné. On retrouve ici des thèmes qui seront sans doute plus richement déployés dans les films suivants de Vlácil (comme justement le suivant Marketa Lazarova), mais qui déjà devait ravir le régime communiste régissant la vie culturelle de l’époque, appréciant toujours la célébration de l’ouvrier face au clergé ou à la bourgeoisie.
Mais encore une fois, cette sans doute moins le propos que l’atmosphère profondément mystique et païenne qui séduit fortement, offrant une aura véritablement magique au fameux moulin, aux terres qui l’entourent et surtout à cette gigantesque grotte qu’il cache comme un secret primordial. Ici encore, la caméra de Vlácil dépasse aisément par sa puissance et son inspiration le « simple » propos du texte. Un cinéaste qui doit effectivement être redécouvert.
Image
Les restaurations des films sont en provenance directes des archives nationales tchèques qui ont opéré des remasterisations à partir des « films sources ». Pas beaucoup plus d’informations disponibles mais il semble évident que les deux copies n’ont pas forcément profité de véritables scans des négatifs en 2K ou 4K, affichant une définition encore assez oscillante, parfois légèrement floue, et surtout des cadres encore régulièrement assez abimés, parsemés de petites taches, points blancs et parfois même de longues griffures persistantes. Les films restent un peu dans leur jus en sommes, même si effectivement l’apport de la HD reste indéniable avec une amélioration considérable des contrastes (les noirs et blancs sont superbes) et un piqué qui vient souligner l’esthétique minutieuse des films.
Son
Les versions originales tchèques sont présentées ici dans des prestations stéréo non compressées qui là aussi restent très proches des sensations d’origine avec un dispositif mono clarifié et stabilisé mais qui ne se dépare pas totalement des petites ruptures ou crissements d’autrefois. Pas très gênant cependant.
Interactivité
Artus Films dispose les deux films sous la forme de ses habituels, et toujours réussis, digipack Bluray + DVD avec fourreau cartonné. Les visuels épurés et élégants siéent parfaitement aux deux films. Du coté des suppléments, on retrouve les galeries d’affiches et de photos traditionnelles et bien entendu les présentations toujours aussi éclairées signées Christian Lucas. Ce dernier avait d’ailleurs signé un ouvrage très complet sur le cinéaste Frantisek Vlacil qui accompagnait l’édition précédente de Marketa Lazarova. Ici il revient donc sur les débuts du metteur en scène, ses courts métrages, mais aussi les multiples versions du scénario et de la production de La Colombe blanche avant d’explorer pour les deux films le récit des tournages (mais comment sait-il tout ça !), délivrant nombre d’anecdotes et informations passionnantes.
Liste des bonus
La Colombe blanche : « Colombe blanche et choit noir » : Présentation du film par Christian Lucas (26’), Diaporama d’affiches et photos (1’).
Le Piège du diable : « Le Piège de Vlacil » : Présentation du film par Christian Lucas (25’)
Diaporama d’affiches et photos (1’).