LA CIBLE
Targets – États-Unis – 1968
Support : Bluray & DVD
Genre : Thriller
Réalisateur : Peter Bogdanovich
Acteurs : Boris Karloff, Tim O’Kelly, Arthur Peterson, Monte Landis, Nancy Hsueh, Peter Bogdanovich
Musique : Aucune
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais et français DTS HD Master Audio 1.0
Sous-titres : Français
Durée : 90 minutes
Éditeur : Carlotta Films
Date de sortie : 19 septembre 2023
LE PITCH
Byron Orlok, célèbre acteur de films d’épouvante, a décidé de mettre un terme à sa carrière. Sa dernière apparition publique aura lieu le lendemain à un drive-in où il présentera son dernier film. Ce jour-là, Bobby Thompson, un assureur fasciné par les armes à feu, abat de sang froid sa mère et sa femme. Bien décidé à ne pas s’arrêter là, le jeune homme poursuit sa route, jalonnée de cadavres, jusqu’au drive-in…
L’image du monstre
Pour sa première réalisation Peter Bogdanovich (La Dernière Séance, Daisy Miller, Jack le magnifique…) répond à l’offre du malin Roger Corman. Un film sans le sou, bricolé, à la limite du collage, mais indéniablement passionnant et visionnaire dans sa confrontation entre une légende en fin de carrière, Boris Karloff, et un jeune homme entamant sa tuerie aveugle.
Comme beaucoup donc (Martin Scorsese, Coppola, Jonathan Demme…), Peter Bogdanovich aura fait ses premières armes au sein de l’écurie Corman. C’est d’ailleurs pour le féliciter de son travail d’écriture sur Les Anges sauvages avec Henry Fonda, qu’il propose au jeune homme, déjà critique reconnu (il a croisé John Ford, Hitchcock et Welles) et cinéphile invétéré, de passer à la mise en scène. Mais comme toujours avec ce dernier il y a l’obligation d’une production à frais réduit et un petit hic : Boris Karloff lui doit encore deux jours de tournage. Au débutant alors de les utiliser au mieux, d’y ajouter des morceaux du film gothique L’Halluciné (réalisé par Corman, Coppola, Jack Nicholson et d’autres) et d’y ajouter quelques segments inédits pour aboutir à un produit exploitable. Absurde soit, mais Bogdanovich va faire de cette commande bricolée une véritable force en scindant effectivement le film en deux. D’un coté il sera question d’un acteur qui veut mettre fin à sa carrière, Byron Orlok (Boris Karloff donc), qui accepte sans enthousiasme de se rendre à une ultime apparition publique pour la première dans un drive-in de son dernier film L’Halluciné (justement). Une production datée mise en scène par un jeune réalisateur fasciné par le vieil Hollywood interprété par Bogdanovich en personne dans un élan méta aussi osé que révélateur. De l’autre la caméra suit un jeune homme qui vient de s’acheter une arme et des munitions dans la boutique juste en face du studio. Un américain moyen, dont le milieu familial paternaliste et écrasant typique de l’idéologie des 60’s, semble l’avoir poussé jusqu’à une névrose destructrice. Après avoir abattu sa femme et ses parents, il décide de poursuivre la tuerie, au hasard dans la ville.
Dans la ligne de mire
Deux trajectoires parallèles qui ne se croiseront que lors de la dernière partie, massacre glaçant et gratuit où caché derrière l’écran Bobby tire sur les spectateurs, et pour un unique plan définitif. Un concept brillant, peaufiné à l’écriture par le grand Samuel Fuller (non crédité) bon copain de Bogdanovich, où ce dernier joue justement du contraste entre le cinéma d’horreur à l’ancienne (kitch et carton-pâte) et la violence réelle qui pèse désormais sur une nation hantée par la guerre du Vietnam, l’assassinat de JFK et le massacre aveugle perpétré par Charles Whitman posté sur la tour de l’université du Texas. Comme l’illustrera avec bruit et fureur en 74 Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, l’horreur, la vraie, ne vient plus de frontières lointaines, d’un ailleurs historique ou fantastique, mais bien du cœur de l’Amérique, de ses propres enfants, des restes de son idéologie. L’économie même du film, entre dialogues en intérieurs un peu longuets entre le réalisateur et Karloff, seconds rôles pas toujours renversants de réalisme et tournage guérilla, lui donne une proximité étrange, un réalisme étonnant. En particulier lorsque Bobby se met à tirer sur les voitures lointaines d’une autoroute, le montage reproduisant alors directement les photogrammes du film de Zapruder, pour appuyer l’absurdité terriblement véridique du massacre.
Déjà nourri de multiples références cinématographiques et visuelles qu’il dissémine tout au long du film, Bogdanovich réussit cependant à ne pas se faire envahir (ce qui ne sera pas toujours le cas par la suite), les intégrant directement dans son dispositif narratif, alternant classicisme soigné et montage nerveux plus conceptuel et moderne, multipliant les contrastes entre les deux branches du film jusqu’au point culminant de la rencontre entre les deux personnages. Car c’est bel et bien Boris Karloff, et son double de cinéma dans un superbe effet miroir, qui finira par stopper les agissements du tueur, preuve que le cinéma, même ancien et « dépassé » reste encore et toujours pour Bogdanovich la seule solution possible.
Image
Sortie depuis seulement quelques mois à peine chez Criterion, cette toute nouvelle copie HD a été conçue à partir d’un scan 4K des négatifs 35 mm originaux puis nettoyé consciencieusement et réétalonné sous la supervision de Peter Bogdanovich (l’un de ses derniers actes artistiques donc). On a bien noté quelques remarques et doutes outre-Atlantique sur quelques choix de variations de teintes qui feraient pencher plus volontiers le film de l’esthétique 60’s à celle des 70’s, mais on ne peut qu’apprécier le travail admirable effectué sur un film trop souvent présenté sous la forme d’une copie éreintée et malmenée par le temps. Ici les imperfections ont toutes disparues, tandis que le grain d’origine mais surtout les contours, la profondeur des plans et les contrastes reviennent dans une forme olympique. Quelques segments semblent plus doux (dû à la source ou à un filtre numérique ?), mais le film se présente dans des conditions idéales et performantes.
Son
Les monos d’époque sont retranscrits ici sur des DTS HD Master Audio 2.0 bien rafraichis. Le doublage français un peu bis n’est pas forcément des plus mémorables mais reste appréciable, tandis que la version originale laisse entendre quelques fluctuations dues à un mélange de prises sur le vif et de post-synchronisation tout à fait classique pour ce genre de production.
Interactivité
Nouveau boitier collector du coté de Carlotta (le film est aussi dispo en DVD et Bluray single) comprenant en plus du digipack contenant les deux formats les petits goodies qui font bien : des reproductions de photos d’exploitation, une mini affiche et un fac-similé (carton et transparent) d’une note envoyée par Bogdanovich à Hitchcock pour le remercier de ses conseils. Plus cinéphile, tu meurs.
Coté bonus les suppléments produits pour les anciens DVD sont bel et bien présents avec la très intéressante introduction du cinéaste, qui revient sur la naissance particulière du film, l’importance de Samuel Fueller ou sa collaboration avec Roger Corman et Boris Karloff, et son commentaire audio où il développe plus encore ces sujets en les croisant avec de nombreuses explications techniques sur les choix de plan, la photo, le montage… Passionnant.
A cela s’ajoute désormais une évocation du film par Jean-Baptiste Thoret, auteur de l’ouvrage de conversation Peter Bogdanovich Le Cinéma comme élégie. Il y revient forcément sur la construction particulière du film, mais peut autre aussi surtout sur la cinéphilie du metteur en scène qui innerve toute son œuvre et s’impose ici comme le socle de La Cible.
Liste des bonus
Fac similé d’un courrier de Peter Bogdanovich envoyé à Alfred Hitchcock, Jeu de 12 photos de tournage, affiche, Commentaire audio de Peter Bogdanovich (VOST), « La Cible : une introduction de Peter Bogdanovich », par Laurent Bouzereau (2003, 14’), « Sidération » : entretien inédit de Jean-Baptiste Thoret (HD, 27’), Bande-annonce originale.