C’est la facette que souhaite explorer le dramaturge Henry Denker. Il prend ce sujet difficile et toujours tabou pour mieux appréhender la pression que subissent les soldats. Un groupe d’hommes détenus depuis des mois, harcelés moralement et physiquement peuvent-ils supprimer l’un d’entre eux qui risque de craquer sous la pression ennemie ? Les soldats et officiers sont-ils préparés à tout ?  Est-ce que leur intégrité morale prendra le pas sur leur conscience, l’omerta est-elle à toute épreuve… Les questionnements sont nombreux et l’auteur ne cherche pas à imposer un point de vue. Son but est de questionner. En période de Maccarthisme, le sujet de la délation est sensible, en période de guerre la thématique est brulante.

Pas étonnant que la pièce de théâtre ait tapé dans l’œil de l’acteur Richard Widmark. Malgré ses rôles de durs à cuire, l’acteur est un grand sensible, droit et fidèle. Il défend les causes perdues, milite contre le racisme (son meilleur ami est Sydney Poitier) et aime vivre dans la simplicité de sa campagne. Homme lettré, débutant en professeur de diction et de théâtre, il ne pouvait que prendre à bras le corps le sujet.

Témoin à charge

On a beau être un acteur reconnu, avoir de la bouteille dans le métier, il arrive souvent que les studios refusent leurs projets. C’est le cas de La chute des héros. Ce revers de fortune sera finalement bénéfique pour le film. L’acteur cassera sa tirelire pour monter sa boîte de production afin de tourner le film en toute liberté. Quitte à s’investir, autant faire participer les copains. Le chevronné mais discret Karl Malden est contacté non pas pour jouer mais pour concretiser l’un de ses rêves : réaliser son premier film. Widmark se réserve le rôle de l’avocat militaire chargé de faire la vérité sur l’affaire ; interprétation qui lui va comme un gant (rôle qu’il reprendra dans le magnifique Jugement à Nuremberg-encore un film engagé). Il s’encadre de seconds couteaux comme Rip Thorn et Richard Basehart pour lui donner la réplique. Le film réalisé en noir et blanc ne donne jamais l’impression d’être tourné à l’économie. Au contraire, son montage serré et son ping-pong verbal opposant les différents protagonistes accentue la tension et le suspense obligeant le spectateur à évoluer au gré des révélations de l’enquête. Karl Malden réussit son passage derrière la caméra pour ce qui sera son unique film officiel (il remplacera Delmer Daves sur La colline des potences).

Succès d’estime, le film peut relancer le débat de la moralité en temps de guerre. L’homme n’est pas une machine à mettre sous pression, tout le monde est faillible ; vivre dans la culpabilité est un poison pour l’âme. Héros ou pas.