LA CHAIR ET LE SANG
Flesh & Blood – Espagne, Etats-Unis, Pays-Bas – 1985
Support : Bluray & DVD
Genre : Action, Historique
Réalisateur : Paul Verhoeven
Acteurs : Rutger Hauer, Jennifer Jason Leigh, Susan Tyrrell, Jack Thompson, Tom Burlinson, Brion James
Musique : Basil Poledouris
Image : 2.35 16/9
Son : Anglais et français DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 127 minutes
Éditeur : Carlotta Films
Date de sortie : 19 avril 2022
LE PITCH
Europe de l’Ouest, 1501. Une troupe de mercenaires menée par le charismatique Martin est engagée par le seigneur Arnolfini pour l’aider à reprendre possession de son fief. En échange, il leur permet de faire main basse sur sa ville vingt-quatre heures durant. Mais Arnolfini ne respecte pas sa promesse et chasse la bande, qui jure de se venger. Pendant ce temps, le seigneur fait venir la jeune Agnes qu’il destine à son fils Steven. Le jour de leur rencontre, les mercenaires attaquent le convoi. Restée cachée, Agnes se retrouve aux mains de la terrible bande de Martin…
Vanités
Grand flop entre les succès commerciaux que furent Le Quatrième homme (en Hollande) et Robocop (dans le monde entier), La Chair et le sang est souvent vu comme la première marche vers une carrière internationale pour Paul Verhoeven et une intégration (perfide soit) du système hollywoodien. Mais plus que tout cela, ce brûlot subversif et dérangeant, cette aventure historique scabreuse est sans doute l’une de ses œuvres les plus riches.
Il est souvent coutume de scinder la filmographie de Paul Verhoeven en deux grandes périodes, hollandaise (ou européenne) et américaine, les films se répondant les uns aux autres en s’inscrivant brillamment dans leurs contextes respectifs à l’instar de Katie Tippel et Showgirls ou Le Quatrième homme et Basic Instinct pour les plus évidents. Il est aussi coutume de dire que La Chair et le sang est le film de la transition, projet développé avec pour la première fois un financement en partie américain, une distribution signé par Orion (avec qui il enchaînera sur Robocop), un tournage en anglais et une vision spectaculaire encore inédite dans sa carrière largement dynamisée par le score puissant un ténébreux de Basil Poledouris, qu’il retrouvera sur son opus suivant et sur Starship Troopers. Le film explore ainsi une mise en scène plus grandiose que jamais, usant avec force de décors splendides entre panoramas naturels, voir naturaliste, des châteaux forts imposants sentant la vieille pierre, d’une ouverture guerrière menée par nombres de figurants en pleine étripages collectif, sans compter sur un rythme soutenu, haletant, qui ne retombera que sur le plan final. Une œuvre épique, mais qui justement semble prendre un malin plaisir à se détourner du divertissement outre-Atlantique pour se plonger jusque-la-lie dans la réalité crue et barbare d’une époque entre crépuscule et renaissance. On y retrouve ainsi avec bonheur toute la liberté de ton qui a fait la richesse du début de carrière de Verhoeven, mais avec un aspect pot-pourri, compression, constamment déroutant, mais absolument fascinant.
Entre terre et ciel
Tout y est question d’opposition de contrastes, dès lors qu’il y décrit un monde entre deux âges (l’obscurantisme et la raison) où l’humanité semble hésiter encore et toujours entre élévation et animalité. Chacun des personnages, et plus encore le trio de héros, troublent toutes les notions de bien et de mal, exorcisant une vision manichéenne du cinéma, au profit d’une hésitation plus crédible entre plaisirs terrestres, morale, sentiments, individualité et partage. Le film fonctionne ainsi comme un creuset, ou plutôt une arène où seuls les plus forts peuvent espérer s’en sortir entre l’éviscération braillarde, les tortures, la dégénérescence symbolisée par l’épidémie de peste bubonique, et une sexualité paillarde qui peut servir d’arme de destruction, en particulier lors d’une séquence de viol horriblement, mais nécessairement, frontale. La chair, la pitance, la bouffe, le cul, le corps dans toute sa franchise et ses excès, sont des thèmes qui passionnent Verhoeven, et qui lui permettent de livrer une fois encore un portrait féminin d’une grande complexité et d’une douceur ambivalente avec Agnès, petite princesse tiraillé entre l’amour courtois qui vient de naître avec le jeune Steven (Tom Burlinson) et son avidité sensuelle éclose entre les bras du viril Rutger Hauer (Blade Runner, The Hitcher). Incarnée par une toute jeune, mais incroyable, Jennifer Jason Leigh le personnage est la clef de voûte du métrage, hypnotisant par ses yeux de braise et son corps constamment offert à la caméra, apprenant à contrôler son destin en usant de ses charmes, mais aussi et surtout de son intelligence de survie. Une question récurrente chez le Hollandais, tout comme son hyperbole politique renvoyant dos à dos l’utopie communiste (les costumes rouges, la solidarisation des biens chez les mercenaires) et le libéralisme totalitaire (la société découpée en caste, la prise du pouvoir de Martin), tout en écrasant sous son ironie vacharde l’opportunisme et la foi aveugle qui ont nourri 2000 ans de christianisme.
Plus qu’un film de transition donc, La Chair et le sang est un film somme, central, célébrant le chaos sous une réalisation élégante et romantique s’inspirant des peintures de Brueghel ou de Bosh, retrouvant toute la dichotomie du moyen âge. Un contraste résumé en une séquence inoubliable où Agnes et Steven, tel Tristan et Iseult pervertis par le point de vue du cinéaste, se jurent un amour immortel aux pieds des cadavres en putréfaction de pauvres pendus. Un film qui sent la chair, le sang… et la mort.
Image
Dix ans après une première sortie Bluray chez Filmedia, La Chair et le sang passe chez Carlotta. Malheureusement, comme le laissait présager les sorties US et anglaise, le seul master HD existant et toujours le même et ce qui passait la corde alors la passe plus difficilement aujourd’hui. La copie a pris un sérieux coups de vieux depuis avec certes des cadres relativement propres et des plans en pleine lumière parfois très agréables avec une définition rehaussée, mais la source vidéo accuse le coup des différentes petites retouches numériques pour à la fois gommer un grain trop prédominant et redonner du boost aux contours. Un bruit vidéo vient donc régulièrement s’inviter, en particulier durant les séquences les plus sombres, avec des effets neigeux sur les bords et un même un halo bleuté. Sans nouveau scan 2K ou 4K à la source on aura jamais mieux. Reste à savoir si un travail de la sorte permettra aussi de faire disparaître cette fameuse poignée de plans « distordus », qui accompagnent le film depuis quarante ans ? Pas sur que l’on ait la réponse prochainement…
Son
Les versions française et anglaise sont toutes deux présentées ici dans leur stéréo d’origine avec de nouveaux standards DTS HD Master Audio qui assurent une restitution un poil plus pointilleuse qu’en 2012. Le doublage français reste fonctionnel, quand naturellement la VO s’en sort beaucoup mieux avec une frontalité imposante, soulignant la puissance de l’inoubliable score de Poledouris.
Interactivité
Même si la copie disponible n’est pas vraiment à la hauteur de la collection, le superbe La Chair et le sang rejoint la belle collection des coffret Ultra Collector de Carlotta. Un nouvel objet livre donc, dont l’ouvrage principal a été confié à l’incontournable Olivier Père. Une étude extrêmement complète du film sur 160 pages accompagnée de rares photos de tournage et d’une interview inédite de François Cognard présent à l’époque sur le plateau pour la revue Starfix. Après une très efficace présentation de la carrière du cinéaste, Olivier Père ne s’encombre pas d’un réel récit du tournage ou de la production, et s’enfonce immédiatement dans les multiples références cinématographiques de Verhoven et rapproche son cinéma d’un réalisme exacerbé à la Sergio Leone, avant de creuser les thématiques, les figures récurrentes, la vision historique et plus généralement la notion de survie qui parcours La Chair et le sang et le reste de la filmographie du bonhomme. Très accessible et passionnant.
Sur le disque Bluray proprement dit, on retrouve la même interview de Verhoeven déjà croisée à l’époque chez Filmedia, mais qui reste toujours aussi agréable et informative. Le réalisateur est manifestement très heureux de revenir sur l’expérience, raconte le statut très particulier de ce film de « transition », les influences qui lui ont servies pendant la préparation (livres, peintures…), mais aussi les nombreux soucis rencontrés pendant le tournage entre des producteurs qu’il juge peu professionnels et une dernière collaboration très difficile avec Rutger Hauer. Ce sera d’ailleurs leur dernière collaboration, l’acteur n’ayant que peu goûté la cruauté du film après sa figure de héros éclatant dans le lumineux et pop Ladyhawke. Franc, le réalisateur ne cache pas qu’il trouve dans son Flesh + Blood quelques défauts agaçants, comme son manque de maîtrise de la langue anglaise entraînant une direction d’acteurs en force. Des sujets qui habitent bien entendu aussi le fameux commentaire audio de Verhoeven, enregistré à l’époque pour le DVD collector américain, et qui fait son grand retour ici et délivrant une masse impressionnante d’informations et d’anecdotes sur le film et ses coulisses. Cotés archives inédites en France, on découvre aussi ici une rencontre avec le scénariste Gerard Soeteman qui évoque les premières version du projet, ses symboliques politiques et ses collaboration avec Verhoeven, et une autre avec le grand Poledouris qui se remémore sa découverte du film, les choix d’orchestration et la construction des thèmes musicaux.
Liste des bonus
« Comment survivre La Chair et le sang » rédigé par Olivier Père comprenant de nombreuses archives et photos exclusives (160 pages), Commentaire audio de Paul Verhoeven (VOST), Rencontre avec Paul Verhoeven (22’), Entretien avec Gerard Soeteman (18’), Composer « La Chair et le sang : entretien avec Basil Poledouris (13’), Bande-annonce (HD).