L’ÉCHIQUIER DU VENT
Shatranj-e baad – Iran – 1976
Support : Bluray
Genre : Drame, Thriller
Réalisateur : Mohammad Reza Aslani
Acteurs : Fakhri Khorvash, Mohamad Ali Keshavarz, Akbar Zanjanpour, Shohreh Aghdashloo
Musique : Sheyda Gharachedaghi
Durée : 101 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Persan DTS-HD Master Audio 1.0
Sous-titres : Français
Éditeur : Carlotta Films
Date de sortie : 17 mai 2022
LE PITCH
Suite à la mort de son épouse, un commerçant traditionaliste, patriarcal et corrompu, projette de se débarrasser de sa belle-fille, héritière en titre de la fortune et de la belle maison luxueuse dans laquelle ils vivent. Cette femme émancipée et moderne est paralysée et ne peut se déplacer qu’en fauteuil roulant. Pour faire face au complot fomenté par son beau-père, elle se fait aider par sa servante, ignorant que celle-ci joue sur les deux tableaux…
Péril en la demeure
Apparu sur les écrans du monde en 2001, L’échiquier du vent est pourtant une œuvre qui date de 1976, mais qui fut rapidement assassinée par les autorités iraniennes. Un film miraculé, retrouvé par hasard, restauré et enfin visible dans son éclatante beauté. Une vision sans phare de la société iranienne dotée d’une esthétique déroutante de conte gothique.
A une époque où le cinéma iranien se partageait déjà largement entre production de propagande et divertissements grand public, Mohammad Reza Aslani faisait tache avec sa volonté de créer un véritable cinéma moderne, exigeant et libre. Des ambitions qui ne furent que froidement accueillies, voire carrément sabotées, comme il le raconte directement dans le documentaire « Le Majnoun et le vent » présent en supplément de l’édition, puisqu’il fut témoin d’une première projection presse sous-éclairée et où les bobines furent volontairement mélangées. Le retour de la presse fut glacial, et celui de la censure plus brutal encore, interdisant le film de tout diffusion. Lorsque Mohammad Reza Aslani demanda à récupérer les négatifs, on les lui déclara perdus. Un film qui lui interdit aussi tout retour à la fiction, le réalisateur devant dès lors se contenter de la forme documentaire. Pourtant plus de quarante ans après, devenu réalisateur à son tour, son propre fils tombe par hasard, n’en croyant pas ses yeux, sur les bobines du métrage chez un antiquaire dans un souk. Un destin incroyable, une résurrection tout bonnement et qui ajoute encore une aura de mystère, presque de magie noire à cette proposition vénéneuse, troublante et angoissante. Un véritable jeu de massacre qui prend pour cadre une famille bourgeoise iranienne se déchirant pour un encombrant héritage commercial et culturel.
L’Iran en bouteille
Un beau-père brutal et misogyne, présenté comme un ogre en turban, qui rêve de se débarrasser de sa belle-fille, fragile et en chaise roulante, tandis que celle-ci planifie tout simplement son assassinat à l’aide de son prétendant et de sa fidèle servante, alors que toute la maison complote dans un silence qui en devient assourdissant. Comme un drame à la Chabrol, mais filmé comme du Visconti, scrutant les fêlures sociétales et idéologiques du pays et annonçant frontalement l’effondrement alors à venir de la démocratie iranienne devant la dictature islamique. Une lente décadence qui par ses contours troubles, parfois à la lisière du fantastique et de l’horreur, et ses non-dits devenant obsédants (la relation homosexuelle entre les deux femmes, la perversité de certains regards…), fait naitre une atmosphère certes ouatée, souvent calme et figée, mais surtout sulfureuse, étouffante et mortifère. Une étonnante modernité, autant par le propos, le mélange des genres, que par le travail incroyable effectué sur la mise en scène, mélange de cadrages à la précision picturale fascinante et de plans séquences tendus, virtuoses, constamment baignés dans une lumière crépusculaire reprenant le dispositif minimaliste (et pourtant ô combien complexe) du Barry Lyndon de Stanley Kubrick. Alors que les personnages perdent pieds dans leur quête de pouvoir, se trahissent les uns les autres, la riche demeure aux escaliers interminables, disparait peu à peu dans les ténèbres d’une triste époque à venir. Un grand film et un grand cinéaste qui tient enfin, en partie, sa revanche.
Image
Il est incroyable de voir dans quel état miraculeux les négatifs du film ont été retrouvés et le travail prodigieux qui a été nécessaire pour obtenir cette splendide copie 4K. Un travail effectué par la Film Foundation et la Cineteca di Bologna au laboratoire L’Image retrouvée de Paris, avec le soutien et les conseils du réalisateur et de son chef opérateur. Outre le nettoyage effectué, c’est surtout le réétalonnage qui a demandé beaucoup d’effort puisque si les photogrammes étaient en bonnes conditions, leurs teintes étaient totalement passées. En l’état, le master en présence est une sacrée réussite avec sa définition pointue, extrêmement stable, son respect des textures et du grain de la pellicule, tout en affirmant une lumière souvent proche de la pénombre, mais constamment précise et riche.
Son
Retrouvant son mono initial, la piste originale assure elle aussi une restauration appliquée avec une restitution claire et limpide, habilement envahie par les sonorités sourdes de la bande originale.
Interactivité
Le destin même du film est presque aussi intéressant que le film lui-même, et Gita Aslani Shahrestani, fille du réalisateur, en retrace aussi bien la naissance, la fabrication que sa disparition programmée par les autorités iranienne, jusqu’à sa redécouverte quarante ans plus tard, sa restauration et sa diffusion dans divers festivals. Un documentaire forcément très tourné vers le témoignage de Mohammad Reza Aslani, mais il est aussi rejoint par ses actrices, son producteur… ou sa famille donnant à l’ensemble un aspect intime, touchant souvent, mais se croisant parfaitement avec les questions artistiques et politiques du film.
Sur la galette on retrouve aussi deux versions du courts métrage La Coupe Hassanlou, consacré à l’un des objets antiques les plus célèbres d’Iran, dans lesquels le cinéaste explore juste en filmant la surface de l’objet les bousculements philosophiques connus par le pays au cours des dernières décennies.
Liste des bonus
« Le Majnoun et le vent » : documentaire inédit par Gita Aslani Shahrestani (2022, HD, 51’), « La Coupe Hassanlou et l’histoire de celui qui demande » (« Jaam-e Hasanlou », 1964, N&B, 21’), « La Coupe Hassanlou : J’ai dit de contempler cette coupe divinatoire » (« Jaam-e Hasanlou: panjah saal ba’d », 2016, Couleurs et N&B, 28’), Bande-annonce 2021 (HD).