JE T’AIME MOI NON PLUS
France – 1976
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Serge Gainsbourg
Acteurs : Jane Birkin, Joe D’Allesandro, Hugues Quester, Reinhard Kolldehoff, Gérard Depardieu, Jimmy Davis, …
Musique : Serge Gainsbourg
Durée : 89 minutes
Image : 1.66 16/9
Son : Français DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français pour sourds et malentendants
Éditeur : Studio Canal
Date de sortie : 14 septembre 2022
LE PITCH
Krassky et Padovan transportent des déchets dans leur camion benne. Homosexuels, ils nourrissent une relation exclusive. Un jour, Krassky rencontrent Johnny, une serveuse esseulée et timide au look androgyne, et tombe aussitôt amoureux, …
Une histoire d’amour(s)
Et Gainsbourg devint un cinéaste. Ou presque. Car si l’homme à la tête de chou a de belles références dans sa besace et un univers à la dérive qui n’appartient qu’à lui, il noie son potentiel dans une romance anémique et ennuyeuse qui préfère choquer le bourgeois plutôt que faire naître la moindre émotion, le tout pas franchement aidé par une interprétation calamiteuse.
« à Boris Vian … » En plein milieu du générique d’ouverture, Gainsbourg lâche sa première dédicace. Une évidence, bien entendu, puisque l’artiste n’a jamais caché son admiration pour l’auteur de L’écume des jours et de J’irai cracher sur vos tombes. Et il en rajoute même une couche en prénommant Boris le patron crasseux, amateur de champagne et pétomane du restoroute où s’abîme le personnage interprété par sa muse Jane Birkin, ou encore en américanisant à mort ses décors, s’inspirant au passage des toiles iconiques d’Edward Hopper.
D’un plan à l’autre, 89 minutes durant, Je t’aime, moi non plus s’affiche comme une longue lettre d’amour à destinataires multiples. Gainsbourg aime Jane B. et il la filme longuement, langoureusement, le plus souvent nue. Jane prend la pose derrière le comptoir, fait pipi au bord de la route, court, pleure, sourit et danse et pleure encore. Gainsbourg aime Warhol et le Velvet Underground et il pique à Paul Morrissey son acteur fétiche Joe D’Allesandro, puisque Dirk Bogarde a refusé de jouer Krassky. Gainsbourg aime Les valseuses de Bertrand Blier et sa star Gérard Depardieu vient donc tourner gracieusement chaque week-end un drôle de caméo, un paysan gay qui serait aussi bien monté que l’étalon qu’il chevauche. Gainsbourg aime le western, le blues et la mythologie grecque, quitte à le surligner dans certains dialogues. Et Gainsbourg aime éperdument sa chienne Nana, une bull terrier qu’il colle dans un maximum de scène.
Mais Gainsbourg aime t-il le 7ème Art ? Oui, peut-être, sûrement, pas tant que ça en fin de compte. Une passion en dilettante résumée par le titre de ce premier long-métrage, forcément. Ou pas.
Duo à trois
Je t’aime, moi non plus raconte l’histoire classique d’une passion interdite. Séduction, amour et jalousie. L’amour de Krassky pour Johnny met ce pauvre Padovan sur la touche. Un peu trop d’ailleurs, l’amant violent et immature interprété par Hugues Quester étant évacué de l’équation au bout d’une vingtaine de minutes et ne ressortant du chapeau de Gainsbourg qu’à cinq minutes de la fin, simple instrument d’une conclusion brusque et maladroite. Ces facilités d’écriture privent l’intrigue d’une tension et d’une émotion qui auraient pu être salutaires. En l’état, la romance centrale demeure contemplative, sans enjeux, tout à fait anecdotique et chiante. L’auteur et réalisateur préfère manifestement satisfaire ses pulsions de provoc. Un couple gay en débardeur et jeans trop serrés dans les bras l’un de l’autre, une série de strip-teases sordides lors d’un bal de campagne dans un hangar et l’initiation bruyante de cette pauvre Jane Birkin aux plaisirs de Sodome : tout un programme pour faire hurler au scandale la France de Giscard. Une intention pas détestable en soi mais dont la gratuité rend la chose à peu près aussi choquante que les vociférations d’un alcoolique à la fermeture des bars. Il faut dire aussi que les dialogues, le plus souvent ridicules, sortent de la bouche d’un casting en roue libre et au jeu antipathique. Joe D’Allesandro se comporte comme un mannequin et écope d’un doublage en français tout droit sorti d’un mauvais porno, Jane Birkin surjoue la fragilité et la solitude, ânonnant ses répliques, Depardieu, coiffé comme un bichon maltais, anticipe sa partition de simple d’esprit du Tais-toi ! de Francis Veber et Michel Blanc, qui se demande ce qu’il fout là, tente un Jean-Claude Dusse triste à mèches improbables.
Reste donc la maîtrise et le goût certain de Serge Gainsbourg pour la belle image, bien aidé dans sa tâche par son directeur photo, le belge Willy Kurant, collaborateur de Welles, Godard et Varda. Il y a aussi cet univers intemporel, déliquescent, qui sent la sueur, le tabac et la pisse et qui porte la signature de Gainsbarre, l’alter-égo nihiliste au regard méchant, rongés par les excès, le masque punk. C’est à peu près la seule vertu de Je t’aime, moi non plus aujourd’hui : offrir un instantané de la personnalité ambivalente de l’artiste Serge Gainsbourg, juste une pièce du puzzle.
Image
Comme pour tous les autres films de la collection Nos années 70, Je t’aime, moi non plus est présenté dans une copie de tout premier ordre, objet d’une restauration intensive. Les couleurs respectent les teintes jaunes voulues par Gainsbourg et son chef opérateur, le grain demeure on ne peut plus naturel et agréable et la définition est au rendez-vous. Jadis paru en DVD dans la collection Les Introuvables de Wild Side (en 2006), Je t’aime, moi non plus vient de s’offrir un lifting inespéré et une seconde jeunesse.
Son
La musique domine sans partage dans ce mixage très propre mais parfois un peu déséquilibré avec quelques saturations et des dialogues et effets pas toujours audibles. Jouer la carte de l’authenticité et de la fidélité ne va malheureusement pas toujours dans le sens du confort d’écoute.
Interactivité
Riche et très condensé, la présentation de Jérôme Wybon manque sans doute un peu d’entrain mais reste indispensable pour les néophytes. L’interview sur la scène du Lincoln Center à New York, enregistrée en 2016, tourne à l’avantage de Joe D’Allesandro dont l’humour acide et les piques hilarantes contre Paul Morrissey éclipsent les quelques anecdotes lunaires que laisse échapper une Jane Birkin que l’on a connu plus loquace et enjouée. Dans un entretien filmé en 2020 et récupéré chez Kino Lorber, Joe D’Allesandro, s’ouvre un peu plus sur son expérience d’acteur en Europe, ses frustrations et ses souvenirs du tournage visiblement très alcoolisé de Je t’aime, moi non plus. Un reportage d’époque assez court mais regorgeant d’images des coulisses et de propos de Serge Gainsbourg et de Jane Birkin, couple fusionnel à la ville, complète agréablement une interactivité cohérente et généreuse.
Liste des bonus
Introduction de Jérôme Wybon (7 minutes) / Un soir avec Jane Birkin et Joe D’Allesandro au Lincoln Center à New York (26 minutes) / Interview de Joe D’Allesandro (14 minutes) / Reportage sur le tournage (6 minutes) / Bande-annonce.