JE SUIS UNE LÉGENDE
The Last Man on Earth – Etats-Unis – 1964
Support : DVD
Genre : Horreur, Science-fiction
Réalisateur : Sidney Salkow, Ubaldo Ragona
Acteurs : Vincent Price, Emma Danieli, Giacomo Rossi Stuart, Franca Bettoia
Musique : Paul Sawtell, Bert Shefter
Image : 2.35 16/9
Son : Anglais 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 83 minutes
Éditeur : Artus Films
Date de sortie : 6 décembre 2022
LE PITCH
Comme tous les matins, le docteur Robert Morgan se réveille et accomplit avec mélancolie sa routine habituelle : ramasser et brûler les corps qui s’accumulent devant chez lui, réparer les défenses de sa demeure et traquer jusqu’à la tombée de la nuit les vampires qui prolifèrent depuis trois ans. Morgan est un survivant dans ce monde ravagé. Peut-être même le dernier homme sur Terre.
The First Time on Screen
Première adaptation cinématographique d’un roman dont le succès planétaire ne devait évidemment pas cantonner son récit à la seule sphère littéraire, The Last Man on Earth conserve en français le titre original du roman dont il est tiré : Je suis une légende ! Le succès du roman est compréhensible : en 1954, son auteur parvenait à y mêler épouvante traditionnelle (avec le recours à la figure classique du vampire) et modernité du cadre et du propos (une histoire de pandémie qui, propulsant le protagoniste dans un monde post-apocalyptique, le met aux prises avec des créatures malfaisantes aussi bien qu’avec ses propres démons). En cela, on peut comparer l’effort artistique à celui de Suzuki Kōji qui, avec Ring et toute sa série consacrée à la figure de Sadako, a trouvé au début des années 1990 la formule idéale pour concilier les fantômes classiques et les marqueurs sociaux contemporains du Japon.
À l’écriture du film, on trouvera notamment le nom de Logan Swanson, pseudonyme de Richard Matheson lui-même, auteur du roman d’origine, immense écrivain qui a marqué de son empreinte l’épouvante et la science-fiction de son époque. En littérature, on lui doit notamment La Maison des Damnés, Le Jeune Homme, La Mort et le Temps et L’Homme qui rétrécit – tous trois brillamment adaptés dans des films dont Matheson, chaque fois, rédigea lui-même le scénario – mais aussi les thrillers Les Seins de glace et Ride the Nightmare, respectivement adaptés par Georges Lautner et Terence Young. Pour le cinéma proprement dit, il signa entre autres les scripts du Croque-mort s’en mêle de Jacques Tourneur, des Vierges de Satan de Terence Fisher, de l’adaptation de Dracula par Dan Curtis avec Jack Palance, de Jaws 3-D ou du Duel de Steven Spielberg, sans parler de ses innombrables nouvelles et de ses collaborations pour des séries et téléfilms divers ! Que Matheson, si prolifique et si peu frileux à l’idée d’aborder les rivages de la culture audiovisuelle, refuse au dernier moment de placarder son nom au générique de Je suis une légende version ciné trahit sans doute un regret persistant quant au projet du film lui-même : en agrémentant son roman de force digressions scientifiques (qui valent ce qu’elles valent…) et d’enjeux philosophiques importants, l’auteur entend de toute évidence tirer un genre englué dans le folklore vers une modernité nécessaire et roborative. À l’inverse, il a du sentir chez les auteurs du film l’attraction qu’avait exercé un imaginaire gothique encore très présent dans les esprits, et dans lequel ils comptaient bien inscrire leur travail : le choix de Vincent Price n’est pas anodin, ni l’insistance sur les croix, l’ail, les miroirs, les pieux pointus et le poids de la religion jusque dans le mausolée où se recueille le personnage – et l’intérieur de cette église qui clôturera l’histoire.
Sans doute Matheson (adaptateur plus ou moins fidèle de plusieurs textes d’Edgar Poe ayant servi de base à une série de films réalisés par Roger Corman avec, en tête d’affiche… Vincent Price !) voyait dans ce comédien – à raison – une figure « aristocratique » du passé, tournée vers les canevas classiques et l’esthétique gothique, impressionnante mais peu sensuelle. Le jeu d’acteur si particulier de Price ne démentira pas ce constat. Peut-être Matheson, pour incarner son héros solitaire, rêvait-il déjà avant la lettre d’un Charlton Heston qui n’endossera le rôle que sept ans plus tard dans The Omega Man (en français Le Survivant) : une présence plus rugueuse, plus dynamique, dans un film aux atours plus contemporains, plus tourné vers la science-fiction, vers le commentaire sociologique… bref, vers l’avenir ! Mais les prémices de ce qu’on appellera plus tard le « Nouvel Hollywood » devront encore attendre un peu… Reconnaissons, sans en faire une remarque forcément péjorative, que le roman de Matheson était, dix ans plus tôt, bien plus moderne que le film italo-américain de Salkow et Ragona : plastiquement, The Last Man on Earth semble moins vouloir défricher le terrain que continuer de réactiver, dans un dernier souffle, la grande époque de l’épouvante façon Universal ou, à la limite, les succès italiens réalisés par Riccardo Freda / Mario Bava au cours de la décennie précédente, avec leur noir et blanc, leurs effets musicaux old school, leurs titrages caricaturaux et leurs stars d’un autre âge. La différence entre la vision de Matheson et celle des réalisateurs repose peut-être, alors, sur un vrai problème de fond qui les rend irréconciliables : l’auteur de Je suis une légende – et c’est l’essence même de son roman – n’est pas fondamentalement du côté de Robert Neville (devenu ici Robert Morgan) ; les réalisateurs, si ! Ce sera d’ailleurs le cas pour toutes les adaptations suivantes qui épouseront donc, peu ou prou, une vision conservatrice du monde là où Matheson affiche clairement une philosophie progressiste.
The Price of Survival
Mais d’autres enjeux idéologiques sont à l’œuvre en 1964, qui ne demandent qu’à influencer les productions de l’époque ! Depuis les années 1950 jusqu’aux années 1980 comprises, on ne peut envisager le sens profond de ce genre de films sans avoir en tête leur place dans l’histoire des différentes vagues de la « guerre froide », du maccarthysme le plus glaçant jusqu’à l’effondrement du bloc soviétique. Le sénateur McCarthy est en pleine activité dans sa chasse aux sorcières lorsque Richard Matheson rédige son Je suis une légende, et se trouve révoqué l’année de la publication du livre. Le climat pesant qui y règne fait violemment écho à celui du pays, figé dans une paranoïa et un repli sur soi alimentés par la « peur Rouge ». Dix ans plus tard, le souvenir en est encore très vif et la lutte anti-communiste est loin d’avoir dit son dernier mot. Tourné intégralement en Italie (notamment pour cause de budget serré), The Last Man on Earth bénéficie d’une patine qui fait se dérouler le récit à l’échelle humaine, dans des banlieues désertiques au décor familier mais à l’étrangeté indéfinissable. Aussi indéfinissable que ces « vampires » qui prennent, peut-être pour la première fois dans l’histoire du cinéma, l’apparence de morts-vivants décérébrés proches du « zombie ». Aussi indéfinissable que ces deux « clans » de contaminés, aux contours très mal définis, que l’œuvre renvoie dos-à-dos dans un lent requiem dédié aux vestiges d’une humanité perdue, refusant de trancher pour un camp ou pour un autre. Le véritable climat du film est celui de l’incertitude. Et là, il faut reconnaître que Vincent Price est un relais idéal, constamment ambigu, incarnation du spleen, il lui faut moins de dix secondes pour nous faire croire à son personnage.
Plus tranchée – c’est le moins qu’on puisse dire ! – sera la version suivante de Boris Sagal, emmenée par un Charlton Heston très investi qui verra de toute évidence, dans cette histoire, l’occasion d’une critique ciblée et sans réserve du communisme, dans une période dite de « détente » entre les deux blocs idéologiques. Les références géopolitiques pleuvent dans cet Omega Man peu subtil dans son symbolisme, plus moderne dans son approche, qui a surtout le grand mérite d’un autre sous-texte en avance sur son temps concernant le rapprochement des WASP et des afro-américains dans une même communauté libertaire, et dont le final en forme de sacrifice christique, s’il fonctionne parfaitement dans la structure de ce scénario-ci, ouvrira malheureusement la porte à la « vision » (osons le mot…) colportée par Francis Lawrence dans la version de 2007 avec Will Smith, contresens absolu de l’œuvre originale, qui ne raconte d’ailleurs pas grand-chose et constitue une pièce de choix dans cette atroce bouillie hollywoodienne d’actioners post-Roland Emmerich. On ne peut, alors, que revoir à la hausse les précédentes versions, à commencer par la première de toutes qui, en dépit d’une réalisation irrégulière peut-être due à la présence de deux metteurs en scène, conserve jusqu’à présent son pouvoir d’évocation et son charme.
Au carrefour de deux grandes époques historiques et cinématographiques que tout sépare, The Last Man on Earth fait l’effet d’une voiture de collection qui négocie curieusement son virage, comme emportée vers l’avant dans sa course et tentant sans arrêt de rétrograder… Imparfaite et fascinante, cette œuvre sera, de fait, une pierre décisive pour l’évolution du genre. Et il faudra attendre 1968 – l’année du mois de mai, année de sortie du Faces de John Cassavetes, année de tournage d’Easy Rider – pour qu’une petite équipe de jeunes publicitaires emmenés par un fringuant réalisateur en herbe crée, sous l’impulsion évidente et revendiquée du roman de Richard Matheson (et, à n’en pas douter, du film de Salkow et Ragona), le véritable électrochoc sur lequel se fondera l’horreur moderne étasunienne : ce sera La Nuit des Morts-Vivants.
Image
Un film tombé dans le domaine public et disponible un peu partout, d’autant plus s’il est injustement oublié, c’est toujours la tentation de s’en tenir à des copies sales tout aussi disponibles. Artus propose, uniquement en DVD pour sa collection des « classiques », une version certes en basse définition, certes piquée de quelques taches par une pellicule abîmée, mais plus que correcte et sans vraies bavures. Le beau cinémascope et les trouvailles photographiques restent délectables et rien n’offense l’œil. Une bonne raison d’y revenir en confiance, donc !
Son
En mono d’origine, nul miracle n’est à attendre, on se contentera donc de souligner que oui, la musique est parfois étouffée comme sous une cloche, oui, l’ensemble manque évidemment de relief, mais que non, rien n’est à déplorer outre ces évidences : les effets marchent, l’impact est là, et la bande-son du film n’étant pas elle-même d’une complexité affolante et jouant plutôt l’économie en raison de son sujet, nul n’y trouvera à redire.
Liste des bonus
Aucun.