INTÉGRALE PIERRE CLÉMENTI
France – 1967-1988
Support : Bluray
Genre : Docu-fiction, expérimental…
Réalisateur : Pierre Clémenti
Acteurs : Pierre Clémenti, Jean-Pierre Kalfon, Etienne O’Leary, Simon Reggiani, Tina Aumont, Maurice Béjart…
Musique : Ivan Coaquette, Cyril Verdeaux, Jean-Pierre Kalfon, Gilbert Artman, Riky Darling…
Durée : 451 minutes
Image : 1.33 16/9
Son : Français Dolby Digital 2.0
Sous-titres : Français, anglais
Éditeur : Potemkine Films
Date de sortie : 17 mai 2022
LE PITCH
On connaît l’acteur Pierre Clémenti pour sa beauté ombrageuse chez Buñuel, Pasolini, Marc’O ou Garrel, mais Clémenti fut aussi cinéaste. Sa production de journaux filmés psychédéliques et libertaires, dans lesquels l’histoire de l’intime se mêle à l’histoire de la société, est éditée en version restaurée, tout comme son unique fiction, un récit punk enlevé, polar paranoïaque et poisseux : « A l’ombre de la canaille bleue. ». Plongez dans l’univers ultra-sensible et ultra-libre de cet artiste unique.
L’énigme Clémenti
Icône du cinéma contestataire et subversif des années 1960-70, héraut de la contre-culture, acteur mi-ange mi-démon ayant joué sous la direction des plus grands réalisateurs de son époque (Visconti, Pasolini, Bunuel, Garrel…), l’insaisissable Pierre Clémenti fut également un cinéaste expérimental, témoin de son temps, ne cherchant aucunement le succès commercial.
« J’aimais énormément Clémenti. Tout le monde aimait Clémenti. Tout le monde était fasciné par Clémenti. Tout le monde ne comprenait rien à Clémenti. » Ce sont par ces mots que Michel Piccoli tentait de définir l’un des acteurs français les plus mystérieux qui soient. Arrivé par hasard dans le milieu du cinéma et embauché sur Le guépard de Visconti en 1962 pour l’un de ses premiers rôles, Pierre Clémenti fut durant les années 1960 un grand espoir du cinéma hexagonal enchaînant les rôles marquants dans Belle de jour, Benjamin ou les mémoires d’un puceau ou encore Les idoles.
Parfaitement bilingue en italien, il tournera ensuite en Italie nombre d’œuvres cultes qui forgèrent sa légende d’acteur mystique. Christ hippie dans Les cannibales de Cavani, pédophile et schizophrène chez Bertolucci (Le conformiste et Partner), cannibale dans Porcherie de Pasolini ou encore ange noir manipulateur dans La victime désignée, l’acteur à la beauté ombrageuse et incandescente multiplie les films expérimentaux et subversifs, tout en démarrant une « carrière » de cinéaste armé de sa caméra à main, une Beaulieu 16mm, qu’il balade sur les tournages, lors des réunions d’amis, sur les barricades de Mai 68…
En nous proposant la quasi-intégralité des films (8 sur 13) de Pierre Clémenti décédé en 1999 à 59 ans, les éditions Potemkine nous permettent de découvrir une œuvre importante, à la fois autobiographique et chronique des temps passés, réalisée sur près de deux décennies. L’occasion d’en apprendre plus sur cet artiste énigmatique et d’apprécier son regard singulier sur notre société.
Des rêves…
Ses premières réalisations sont marquées par une certaine utopie et une liberté totale propre au mouvement contestataire de la jeunesse des « années 1968 ». Visa de censure n°X, son premier court-métrage sorti en 1967 (terminé en 1975) précède ainsi de quelques mois Mai 1968 tout en l’anticipant. Patchwork d’images diverses et variées (archives télé, films de famille, scènes jouées et improvisées, séquence de tournage…), superposées, insertion de slogans… Clémenti le réalisateur expérimente à tout-va, fait feu de tout bois et grâce à un montage bien plus cohérent qu’il n’y paraît et une superbe bande son magistralement insérée au récit livre un film onirique, fascinant et éprouvant, oscillant entre le rêve d’une vie simple et préhistorique où nudité et liberté sont les maître mots, et le cauchemar d’une civilisation autoritaire, en guerre où les drogues s’infiltrent peu à peu…
Dans La révolution n’est qu’un début, continuons le combat. tourné en partie sur les barricades parisiennes de Mai 68 et à Rome alors qu’il tournait Partner avec Tina Aumont et Bertolucci, on retrouve l’imbrication entre fragments de vie privée et considérations politiques. Tournés à partir de 1968, ces autres courts et moyens métrages consacrés à la famille et aux amis (Positano, Souvenirs souvenirs, La deuxième femme) démontrent encore les espoirs de communautés « hippies » anticonformistes vivant l’« amour libre » et ont même valeur de documentaires sur ce sujet.
… Et des cauchemars
Mais en juin 1971, celui qui appelait les policiers « la canaille bleue » et qui voulait voir les CRS « tout nus » se fait arrêter à Rome dans l’appartement d’une amie qui possédait des stupéfiants. Erreur judiciaire, coup monté ? L’État italien trouve en tout cas un bel exemple en la personne de Clémenti, étranger et proche des mouvements contestataires. Après 18 mois de détention, et malgré son blanchiment quelques années plus tard, cette expérience auprès des démunis qu’il raconte dans son livre Quelques messages personnels, marquera une césure nette dans sa carrière d’acteur où peu ou plus de grands rôles lui seront présentés. Ainsi que dans ses propres réalisations toujours aussi expérimentales et psychédéliques, mais de plus en plus sombres et paranoïaques.
Parmi ceux-ci, on retrouve New old (1979) où images des années 1960 et contemporaines se succèdent pour laisser apparaître un climat anxiogène, voir déjà carrément Punk grâce à une sublime musique rock progressif. Entre deux images d’archives du Viêt-Nam ou d’un diable piquant ses victimes à l’aide d’une seringue, on y trouve de nombreuses images tournées sur les plateaux de cinéma avec Klaus Kinski, Marco Ferreri, Michel Piccoli, Catherine Deneuve… La plupart des films de Clémenti sont d’ailleurs en ce sens de véritables documents, des sorte de making-of.
A l’ombre de la canaille bleue
Enfin, cette superbe édition concoctée par Potemkine nous permet de découvrir son unique long-métrage A l’ombre de la canaille bleue, le joyau noir et lugubre de la filmographie de son auteur. Un polar Punk angoissant et déstabilisant proche de la dystopie des Cannibales de Lilia Cavani où on laissait les cadavres des opposants se décomposer dans les rues… Ici dans les rues de Necrocity, ce sont les pauvres, marginaux et drogués qui sont liquidés par la dictature du Général Korzacouille, joué par Clémenti, assisté du Docteur Speed, incarné par son ami de toujours Jean-Pierre Kalfon. Coécrit avec Achmi Gashem, qui joue le rôle du « bougnoule sexuel », le film prend les traits d’un Giallo crépusculaire, urbain et nocturne et à l’image des autres films de Clémenti nous présente une véritable radiographie du Paris d’alors. Soleil (1988), son dernier court-métrage, ferait presque office de testament. Sûrement son œuvre la plus intimiste, elle met en lumière sa mère et une nouvelle fois son aversion envers le système policier.
La présentation des ces huit films en version restaurée est donc un magnifique hommage nous permettant enfin de tenter de comprendre cet artiste hors-normes, musicien, peintre, écrivain, homme de radio sur France Culture, de théâtre et de danse avec Maurice Béjart… Un homme et un artiste insaisissable, libre, anticonformiste qui malheureusement et à l’image de bien d’autres figures d’alors sombrera dans la drogue, la psychiatrie et les méandres de la justice après les espoirs fous de la fin des années 1960.
Image
Tous les films présentés ont été restaurés en 2K par l’institut audiovisuel de Monaco et la Cinémathèque française, à partir des internégatifs originaux. Vu les conditions de tournages de ces bobines, le 16mm, les superpositions etc…le travail a dû être des plus fastidieux !
Bien qu’inégal, le résultat est bluffant, malgré de nombreuses traces du temps qui ne font que donner un cachet supplémentaire à ces œuvres atypiques et hallucinées. La restauration a été efficace, l’image conserve son naturel, les contrastes toniques…Un régal.
Son
Le son s’avère particulièrement dynamique et agréable mettant en lumière la qualité des différentes BO de toutes époques (certaines ont été réalisées en 2021-2022). Toutefois, les dialogues sont parfois difficilement audibles, et Potemkine propose d’ailleurs des sous-titres. Il convient de noter que les films ont tous été postsynchronisés.
Interactivité
Pour conclure cette sublime édition, Potemkine nous gratifie de cartes postales (une par film) ainsi que d’un livret de 24 pages présentant chaque film.
Du côté des bonus vidéo, on découvre avec plaisir l’enquête de la petite-cousine de Clémenti, Laurence Leduc-Clémenti, qui s’avère essentielle pour connaître l’intimité de l’artiste, ses blessures (absence du père, asile psychiatrique, prison, cancer du foie…). Agrémenté de témoignages de la famille, de proches comme Bulle Ogier, Kalfon, Marc’O ou Philippe Garrel, ce documentaire passionnant donne également la parole à Jeanne Hofstetter qui a écrit une biographie romancée, sobrement intitulée Pierre Clémenti.
On a aussi droit à une courte analyse de l’œuvre par Philippe Azoury, critique cinéma. Évoquant « un déluge d’images aux couleurs saturées sur une musique pop improvisée », il nous rappelle la valeur documentaire de ces fragments filmés qui nous rappellent les enjeux des années 1968.
Enfin, le dernier bonus est des plus intéressants en laissant la parole deux cinéastes, eux aussi à la marge du cinéma conventionnel. Véritables fans de Clémenti, Yann Gonzalez et Bertrand Mandico ne tarissent pas d’éloges et reviennent sur le caractère autobiographique des films. Mandico considère le générique de fin d’A l’ombre de la canaille bleue comme l’un des plus beaux jamais réalisés…
Liste des bonus
« Là-bas ici » : analyse de l’œuvre de Clémenti par Philippe Azoury, critique cinéma, sur un montage de Julien Wautier 13’, 2022) ; Entretien avec Bertrand Mandico et Yann Gonzales (20’, 2022) ; « Pierre Clémenti, l’absolue liberté », documentaire de Laurence Leduc-Clémenti, cousine de Pierre Clémenti (69’, 2012).