IL Y A DES JOURS ET DES LUNES
France – 1990
Support : Bluray
Genre : Comédie dramatique
Réalisateur : Claude Lelouch
Acteurs : Vincent Lindon, Gérard Lanvin, Annie Girardot, Francis Huster, Marie-Sophie L., Patrick Chesnais
Musique : Francis Lai, Erik Berchot
Image : 2.35 16/9
Son : Français DTS HD Master Audio 2.0, Audiodescription
Sous-titre : Anglais, Français Sourds et malentendants
Durée : 117 minutes
Distributeur : Metropolitan
Date de sortie : 3 janvier 2023
LE PITCH
Pleine lune. Passage à l’heure d’été. Le temps d’un jour – une soirée, une nuit, une matinée –, tous les personnages de cette histoire vont subir les revers de la vie, le changement d’heure et l’influence de l’astre, de plus en plus à cran jusqu’à la croisée inexorable de leurs trajectoires. À la fin, l’un d’eux mourra…
Intersections
En 1990, le style Lelouch est très largement installé. Il est connu, plus rarement reconnu, mais ne dévie que très rarement de sa route solitaire et celles et ceux qui se découvrent sensibles à sa vision aiment le retrouver de film en film, avec ses travellings circulaires, ses chassés-croisés de personnages incarnés par des castings pantagruéliques, sa poignée de phrases-clés qui reviennent inlassablement comme des maximes, ses chansons de Francis Lai et d’autres collaborateurs occasionnels aussi lyriques qu’envahissantes qui fredonnent le titre à l’envi, ses scènes de boxe, de mariage et d’excès de vitesse… Le réalisateur creuse un sillon qui ravit les uns, irrite les autres, multipliant les variations sur la grande valse des vies qui s’entremêlent au gré du hasard et, parfois, de la grande Histoire.
Ici un camionneur jaloux, un patron de restaurant flambeur, une jeune mariée déçue, un chanteur paumé, un motard, un prêtre homosexuel, un médecin-urgentiste qui refuse de divorcer et sa maîtresse enceinte, un physicien à la retraite et sa mystérieuse visiteuse confisquent tour à tour la caméra dans ce qu’il est convenu d’appeler un film « choral » – expression par trop réductrice pour les mille-feuilles de Claude Lelouch dont la structure n’implique jamais une imbrication parfaite des différents éléments du récit. Jamais chez lui les angles ne sont limés ; jamais l’idée n’est de faire culminer tous les arcs narratifs vers une « révélation » finale. La complexité de la vie, son ambiguïté, son absurdité parfois, n’y sont jamais gommées ni simplifiées – voilà ce qui, sans doute, suscite autant l’incompréhension d’un certain public : le cinéma, implicitement, met de l’ordre. Il confère du sens à ce qui en manque. Les spectateurs, consciemment ou non, le savent bien. Or, Lelouch refuse de faire le tri. Il refuse de tailler dans le gras. Ses partitions regorgent de notes fantômes qui pourraient faire pencher ses films de différents côtés à chaque minute et, à la fin de ceux-ci, la vie continue, simplement. Celle des personnages comme la nôtre. Nous avons pris des existences en cours de route, avons tenté de raccrocher les wagons… et n’avons assisté à aucune conclusion – la vie n’en connaît pas à l’exception de la mort.
Le projet est tout autre : « On ne sait jamais les traces qu’on laisse », dit un personnage haut en couleur à sa petite troupe de stagiaires à propos de leur brève rencontre avec un homme au bout du rouleau dans une station-service. Ici la mécanique humaine est moins assujettie à des façons inconciliables de penser le monde, à des choix, à des archétypes, qu’à un brassage permanent et potentiellement toxique où chacun(e) traîne ses humeurs, son cafard, la pression qu’il ou elle a sur le dos, les communiquant à son tour bien au-delà de ses intentions et faisant tous les jours partie des potentialités de la catastrophe. Les météores ne sont dotés d’aucune intention spécifique ; ils dérivent selon des lois et des coïncidences qui leur échappent jusqu’à, de temps en temps, la collision. Les personnages d’Il y a des jours… et des lunes sont des météores ; ils subissent l’attraction des astres. En découle une mystique sous-jacente du cosmos qui confine à la mythologie – laquelle prendra son plein essor dans un film ultérieur : La Belle Histoire. C’est pourquoi le cinéaste choisira de débuter ce dernier par un monologue d’Hubert Reeves… Par toutes ces interconnexions, Lelouch ne filme pas les conséquences d’un prétendu libre arbitre : l’univers de ses films n’est que déterminisme. Du reste, il ne juge ni ne condamne que très rarement ses personnages – et si le ton est parfois grave, rien n’est jamais vraiment sérieux.
Mes lunes sont plus belles que vos jours
Répétons-le, le metteur en scène d’Un Homme et une Femme et de La Bonne Année est sans doute l’un des trois ou quatre grands réalisateurs établis en France qui agacent le plus de monde – depuis ses débuts, mais plus encore durant ces années-là où pour les détracteurs ses constantes sont devenues des « tics », ses obsessions de la « redite » et son écriture un système stérile d’auto-citation complaisante (on a fait la même à Brian De Palma, nous sommes habitués). Le point commun de ces réalisateurs est sans doute de vouloir saisir l’essence du genre humain sans passer tout à fait par les filtres habituels de la fiction, l’enfermer dans cette cage étriquée qu’est l’écran de cinéma sans y mettre tout à fait les formes habituelles. Leurs styles sont déroutants et parfois opposés. Dans certains cas, ils martyrisent. C’est Andrzej Zulawski ou Maurice Pialat, qui secouent leurs spectateurs comme leurs équipes et que tout le monde ne sera pas prêt à suivre vers des extrémités trop perturbantes. Dans la cour d’en face, c’est Lelouch, qui fait tout pour capter la jubilation débordante de ses acteurs sans infléchir, l’encourageant au contraire, leur soufflant de nouvelles options, se laissant guider pas à pas vers un résultat que lui-même n’a pas toujours anticipé.
La démarche est aventureuse, voire franchement marginale – plus marginale que l’ambition populaire du réalisateur ne le donnerait à penser de prime abord. Mais n’oublions pas que feu Jean-Luc Godard (encore un spécimen de ces très agaçants génies que les français aiment détester) était un inconditionnel d’Anthony Mann et de Howard Hawks… et qu’il faisait malgré tout du Godard ! L’amour qu’a Claude Lelouch du cinéma classique hollywoodien et de l’époque Carné/Prévert ne l’exempte pas non plus de s’en démarquer par une méthode inhabituelle et ses inévitables conséquences esthétiques, même lorsqu’il déploie la grosse artillerie et donne dans le grand spectacle, comme pour Toute une vie ou Les uns et les autres. La nécessité de lier toute cette matière qui se structure plus que jamais au montage donne une clé essentielle pour comprendre l’usage de la musique et de la voix-over dans Il y a des jours… et des lunes et dans le cinéma de Lelouch en général : elles en sont le liant, comme des passerelles qui construisent un édifice non pas en juxtaposition, mais plutôt en superposition. La voix d’untel plaquée sur les actions de tel autre commente l’existence de ce dernier mieux que lui-même ne pourrait le faire, par petites touches subtiles ou par l’intervention directe du réalisateur/narrateur… Une chanson écoutée à la radio par un personnage de chanteur qui en est aussi l’interprète, et qui le met donc lui-même en abîme (…et sans doute s’appelle-t-il vraiment Philippe Léotard même si son nom n’est jamais prononcé !), vient par le montage se greffer sur d’autres vies que la sienne pour en figurer le « négatif », la part cachée, la profondeur. Et lorsqu’une troupe d’apprentis-comédiens surréaliste se met à danser à l’unisson dans un moment d’agonie sur la voie publique, ce sont carrément les couches de réel, d’imaginaire, de fantaisie, qui viennent à se superposer.
On aura bien compris que dans un tel projet, la question de savoir « ce que raconte le film » est très secondaire, voire parfaitement tertiaire : le film raconte à sa manière la condition humaine – un bien grand terme qui perd toute sa pompe du moment qu’on le traite, en apparence, si simplement. Dans un cadre délimité (laps de temps court, quelques spécimens français de la fin des années 1980) qui interdit toute folie des grandeurs et se contente de faire exemple, se déploie donc tout en douceur une philosophie, une poétique, et même un embryon de mythologie astrophysique que l’on sent poindre notamment dans les saillies de l’intarissable (et regretté) Paul Préboist. Ce cadre, Lelouch choisira de le faire exploser pour son projet suivant, sorte de seconde partie d’un diptyque secret dont ce film-ci serait le premier tableau. Mais ceci est une autre (belle) histoire…
Image
A l’instar des autres films de Lelouch distribués désormais par Metropolitan, Il y a des jours… et des lunes a connu une nouvelle restauration inédite. Les cadres ont été admirablement nétoyés, et la colorimétrie égalisée. Malgré un très léger bruit numérique qui vibrionne ici et là, l’image est propre et sans défaut majeur.
Son
Dynamique et très clair, le traitement sonore favorise parfaitement l’impact de la musique et les nombreuses juxtapositions d’ambiances.
Interactivité
La section bonus propose (heureusement !) le court-métrage de commande Coup de foudre normand, réalisé par Claude Lelouch pour promouvoir la région et qui, comme d’habitude, ne lésine pas sur l’ambition, reconstituant d’abord le parachutage des Alliés en juin 1944 puis racontant, sur le mode du reportage, le coup de foudre de deux jeunes personnes (Caroline Micla et Jacques Gamblin) qui en profiteront pour nous faire découvrir le patrimoine local et que l’on retrouvera dans la foulée parmi la galerie de personnages d’Il y a des jours… et des lunes, comme une sorte de préface.
Et comme chez Claude Lelouch la fiction n’est jamais bien loin de la réalité, on trouvera également la (vraie) publicité qu’il a réalisée pour une grande marque automobile et dont le tournage fait justement partie de la « fiction » de son long-métrage (le personnage joué par Gérard Lanvin y transportant précisément les modèles ayant été utilisés dans ladite publicité).
[NB : afin que l’immersion et le brouillage de pistes soit totaux, cette édition a l’excellente idée de proposer le visionnage des trois films à la suite : le court-métrage, la publicité et le film principal.]
Figure aussi dans les bonus la bande-annonce très savoureuse, comme souvent chez Lelouch, dans laquelle les comédiens se présentent tour à tour dans la peau de leur personnage (et dans laquelle apparaît même, cerise sur le gâteau, Anouk Aimée). Et puis un making of d’époque nous en dit plus sur la fabrique du film, donnant largement la parole aux comédiens, à chaud. Derrière l’intitulé « matériel promotionnel » se cachent pêle-mêle des éléments de making of muets (accompagnés par la voix de Nicole Croisille qui chante « Il y a des jours… », titre-phare du film), une interview du réalisateur qui présente son projet aux spectateurs… et à nouveau la bande-annonce en basse définition.
Liste des bonus
Court-métrage « Coup de foudre normand » (24′) ; bande-annonce (3′) ; publicité (1′) ; making of (11′) ; matériel promotionnel (10′)