HUESERA
Huesera : The Bone Woman – Mexique / Pérou – 2022
Support : Bluray & DVD
Réalisateur : Michelle Garza Cervera
Acteurs : Natalia Soliàn, Alfonso Dosal, Mayra Batalla, Mercedes Hernàndez, Sonia Couoh, Aida Lôpez, …
Musique : Gibràn Androide, Cabeza de Vaca
Durée : 97 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Espagnol DTS-HD Master Audio 5.1
Sous-titres : Français
Editeur : Extralucid Films
Date de sortie : 19 décembre 2023
LE PITCH
Valeria réalise enfin le rêve de son couple : devenir mère. La grossesse ne se déroule hélas pas du tout comme prévu. Elle perd du poids, sent et entend ses os craquer sans raison, sans parler des hallucinations qui la poursuivent en tout lieu, …
Y a comme un os…
Premier long-métrage de la réalisatrice mexicaine Michelle Garzia Cervera, Huesera débarque directement en vidéo dans l’Hexagone, portée par une tournée réussie dans différents festivals (notamment au Festival de Tribeca, à New York) et par une réputation flatteuse. Pas aussi flippant ou dérangeant qu’une partie de la critique le laissait entendre, ce chemin de croix d’une jeune femme vivant sa grossesse comme une malédiction fait néanmoins émerger un jeune talent prometteur.
Moins connue qu’El Chupacabra ou la Llorona, la Huesera (que l’on peut traduire approximativement par la « Femme aux Os ») fait partie du folklore mexicain et raconte, sous différentes formes, la légende d’une femme errant dans le désert et creusant la terre pour récupérer des ossements d’humains et de loups. Lorsqu’elle parvient à recomposer un squelette en entier, la Huesera chante pour ramener les ossements à la vie, les recouvrant de muscles et de chair, jusqu’à donner naissance à une nouvelle femme, sauvage, primale, qui court vers sa liberté. Jeune cinéaste de 32 ans biberonnée au cinéma queer et aux péloches horrifiques en tous genres, Michelle Garza Cervera s’inspire du mythe et de sa symbolique et le plie à ses exigences pour un film intimiste où se mêlent les influences de Roman Polanski, de Pedro Almodovar, de David Cronenberg et de la J-Horror.
En apparence épanouie et filant le parfait amour avec son compagnon Raùl dans un charmant quartier résidentiel de Mexico, Valeria va pourtant comprendre, au travers de sa grossesse et de sa maternité à venir, qu’elle se ment à elle-même et qu’elle n’est pas du tout prête à se soumettre à une vie domestique. Les apparitions d’une femme sans visage et se contorsionnant dans des positions improbables au prix de multiples fractures ou cette manie de faire craquer les os de ses doigts lui rappellent avec violence son être profond (elle est bisexuelle, amoureuse d’une femme prénommée Octavia et farouchement indépendante et sauvage) et la poussent à se libérer d’une vie que lui imposent une partie de sa famille et la société. Cette oppression sociétale et même religieuse, la cinéaste la compare à une araignée tissant lentement sa toile autour des femmes au travers de leitmotivs visuels disséminés avec soin dans le cadre. Culminant dans un rituel païen menée par trois sorcières bienveillantes, Huesera oppose, dans une mélancolie déchirante, l’irrationnel et l’instinct au rationnel et à l’aliénation. On ne saurait résumer avec davantage de lucidité les paradoxes culturels de la société mexicaine, constamment prise en tenaille entre le catholicisme et ses origines mayas.
Neuf mois ferme
Forcément subversive aux yeux d’un public sud-américain très croyant, la vision d’une maternité vécue comme un véritable enfer et portée par Michelle Garza Cervera et son équipe ne se traduit pourtant pas toujours à l’écran par le sommet de body-horror qui nous a été vendu par les bandes-annonces et le discours promo. En dépit d’un sound-design très soigné qui donne la chair de poule en multipliant les bruits de craquements d’os et d’une poignée de visions joliment flippantes, Huesera est au final un film très sage, s’orientant très vite vers une horreur purement psychologique et très convenue, ponctuellement pimentée d’effets chocs (mais pas trop) et relevée par un fantastique discret. En permanence sur la réserve et soucieuse de soigner le fond, la cinéaste néglige un peu le potentiel de son histoire et en oublie de chatouiller vraiment le spectateur là où ça fait mal. La faute également à un scénario très compartimenté et scolaire dans son approche du genre, pas du tout organique.
À défaut de bousculer réellement, Huesera est heureusement une œuvre avec sa propre voix et Michelle Garza Cervera est une réalisatrice à suivre de près. Capable de brouiller les repères avec une belle maîtrise et d’imprimer quelques images mémorables, elle se distingue par son talent à diriger et à filmer ses actrices, collectionnant les visages avec une sensibilité tout à fait unique, à la fois solaire et grave. Ce premier film doit également beaucoup à son actrice principale, Natalia Soliàn, superbe de bout en bout. Au centre de l’image, éclairée avec un amour palpable, la comédienne se livre avec audace dans ce portrait de femme au bord de la crise de nerfs. On espère donc à présent que la cinéaste et sa muse fassent de nouveau équipe pour un nouveau film, enfin libéré de ce besoin un peu frustrant de flatter critiques et festivaliers dans le sens du poil.
Image
Au plus proche de sa source numérique, le transfert rend parfaitement justice à une photographie très douce et naturelle, sans artifices. La définition est pointue (ces visages !) et la compression bascule sans accrocs d’une luminosité chaude à des passages nettement plus froids. Du travail d’orfèvre qui ne souffre d’aucun défaut, même lors d’une scène dominée par des effets stroboscopiques.
Son
Une seule piste son (le film n’a pas encore été doublé) avec un travail très poussé sur l’atmosphère, les petits bruits du quotidien et des craquements d’os de plus en plus oppressants. Un cocon acoustique à la précision multicanale discrète mais véritablement stupéfiante.
Interactivité
Il faut saluer la politique éditoriale d’Extralucid Films qui offre au film de Michelle Garza Cervera un écrin particulièrement luxueux. Le coup de cœur se ressent ici à tous les niveaux. En six minutes seulement, la critique Judith Beauvallet (la chaîne internet Demoiselle d’horreur et le site Écran Large) propose une présentation très complète et sincère du film. Une entrée en matière réussie et suivie d’un entretien croisé enregistré en webcam avec la réalisatrice et son actrice Natalia Soliàn. Au programme, bonne humeur, enthousiasme et anecdotes. Plutôt court et monté sous la forme d’un clip vidéo, le making-of témoigne avec énergie d’un tournage à petit budget rondement mené par une équipe très investie. Un peu frustrant par sa durée mais très original par son approche.
On retrouve ensuite deux courts-métrages de la cinéaste, dans de magnifiques transferts en haute-définition. Réalisé en 2018 et tourné en anglais et en noir et blanc, The Original intègre une romance lesbienne et interraciale à un propos de science-fiction où un corps malade peut-être remplacé par un double « sain », moyennant une copie de la mémoire du patient. Quant au sort réservé à l’original, les conséquences ne sont pas aussi faciles à digérer que prévu. Une belle réflexion sur le clonage, l’euthanasie et l’amour malgré une fin trop expédiée. Plus généreux, La Rabia de Clara se paie une étrange ouverture animée et nous offre une métaphore émouvante sur la libération de la femme. Mordue par un chien enragé, Clara est enfermée par son mari et sa mère dans une bicoque en pleine forêt mais elle va parvenir à s’échapper. Avec sa bande-sonore envahie d’aboiements de chiens et sa direction d’acteurs à la fois tendue et délicate, la cinéaste parvient à contourner avec bonheur le symbolisme un peu trop évident de son histoire (la femme est un animal sauvage que les hommes ne peuvent pas domestiquer). Deux courts qui donnent les clés pour comprendre l’univers de la réalisatrice et qui permettent d’appréhender Huesera avec un regard nouveau.
On termine avec un commentaire audio soutenu de Michelle Garza Cervera, accompagnée de sa directrice de la photographie Nur Rubio Sherwell, et qui décrypte le travail sur la lumière, le travail avec le casting et les décisions prises au montage.
Liste des bonus
Commentaire audio de Michelle Garza Cervera et Nur Rubio Sherwell (VOST), Présentation par Judith Beauvallet de la chaîne Demoiselle d’Horreur et journaliste Écran Large (6 minutes), Entretien avec Michelle Garza Cervera et Natalia Solián (26 minutes, VOST), Dans les coulisses du tournage (3 minutes, VOST), Courts métrages de Michelle Garza Cervera (VOST) : « The Original » (2018, 12 minutes) et « La Rabia de Clara » (2016, 21 minutes), Bande-annonce.