GIORGINO
France, Etats-Unis – 1994
Support : Bluray & DVD
Genre : Drame, Fantastique
Réalisateur : Laurent Boutonnat
Acteurs : Jeff Dahlgren, Mylène Farmer, Joss Ackland, Louise Fletcher, Frances Barbers, Jean-Pierre Aumont, Albert Dupontel…
Musique : Laurent Boutonnat
Image : 2.35 16/9
Son : Dolby True HD 5.1 Anglais et Français
Sous-titres : Français
Durée : 175 minutes
Éditeur : Potemkine Films
Date de sortie : 2 décembre 2024
LE PITCH
1918. Blessé, le jeune docteur Giorgio Volli est rendu à la vie civile et part aussitôt retrouver le groupe d’enfants dont il s’occupait avant la guerre. Il arrive dans une région perdue aux habitants hostiles et ne trouve qu’un vieil orphelinat vide : les enfants ont disparu dans des conditions mystérieuses. Terrifié et anéanti par ce qu’il apprend, Giorgio fait alors la rencontre de Catherine, une étrange jeune fille dont il s’éprend…
Désenchantés
Assassiné par la critique et boudé par le public en dehors des fans de Mylène Farmer, Giorgino peut-il enfin sortir de la case handicapante des films maudits ? Bien plus qu’un véhicule à star (qu’il n’a jamais été), il est une proposition intensément personnelle signée Laurent Boutonnat (Jacquou le croquant), voyage cauchemardesque et cafardeux dans une France obsédée par la mort.
Au départ il n’y avait pourtant aucune raison que le métrage ne connaisse un tel échec. Véritable pionnier de la forme du clip en France et célébré pour l’ambition démesurée de ses mini films imaginés avec notre chère Mylène (Libertine et ses 18 minutes au format scope), Laurent Boutonnat s’y montrait plus que capable d’imposer de véritables univers et atmosphères. Un formaliste, terme jamais très valorisé en France, et qui forcément se voyait légitimement passer au format long, au vrai cinéma, mais certainement pas par la petite porte de l’œuvre de commande. Giorgino sera donc une imposante fresque, tournée en anglais et avec un casting international (Frances Barber, Joss Ackland mais aussi la Louise Fletcher de Vol au-dessus d’un nid de coucou) dans les contrées enneigées de l’ex-Tchécoslovaquie, financée à plus de la moitié par ses propres économies et atteignant quasiment les trois heures de spectacle. Bien entendu la chanteuse aux cheveux rouges est inévitablement de la partie, retrouvant ici une figure de femme enfant, espiègle, légèrement dérangée et extrêmement sensuelle, mais pas question de pousser la chansonnette ou de prendre le pas sur la fiction. Un film, un vrai, mais qui par son étrangeté, sa noirceur, sa durée et surtout sa lenteur assumée, refroidit les esprits, sans doute aussi déçus / étonnés de ne pas retrouver le clip au format large, le produit attendu. La fréquentation en salle s’effondre et le film est rapidement retiré des écrans, les sorties à l’étranger annulées, tandis que Canal + ne lui offrira que quatre passages peu retentissants. Coup terrible pour le réalisateur qui en reprendra totalement les droits, le retirant de la circulation jusqu’à un DVD inespéré en 2007. Une toute petite carrière, timide, reposant essentiellement sur une mauvaise réputation (on le retrouve même sur Nanarland), mais terriblement injuste et finalement peu compréhensible.
A la lune
Effectivement le film est long, mais cette grande langueur, parfois à la lisière de la torpeur, vient justement imposer une atmosphère délétère, inquiétante, dérangeante, et pousse l’action, comme le spectateur, vers des rives chimériques se détachant peu à peu du contexte purement historique (la fin de la première guerre mondiale) et géographique (la campagne française reculée) pour s’évader dans une réalité de conte. Mais un conte malade, déviant, où tous semblent être entrés de plein pied dans un délire paranoïaque et macabre. Les fantômes de cette guerre lointaine qui a emmené tous les garçons du village, mais aussi les fantômes d’enfants noyés dans un lac gelé, soi-disant acculés par les loups dans une région qui n’en a plus vu depuis longtemps. Entre l’onirisme plastique russe à la Tarkovski, la démence fiévreuse d’un Zulawski et le gothique impalpable anglais (on pense beaucoup aux Hauts de Hurlevents), Boutonnat réveille l’âme damnée d’une vieille Europe et la confronte à ses démons, ses déviances, et ses vieilles croyances. Pas d’espoir ici, pas d’heureux dénouement, rien qu’une histoire d’amour qui ne peut s’achever que dans le précipice et dans la folie la plus totale (mais aussi l’une des plus belles images du film). Torturé pour le moins, assurant une superbe photographie crépusculaire, des séquences flottantes mais à la beauté frappante, Giorgino emboite les longues errances dans des paysages mortuaires, scrute les regards perdus du jeune Jeff Dahlgren propulsé premier rôle, autant que les pulsions dépravées ou les airs mutins de madame Farmer, brisant le fragile confort par une visite sidérante d’un asile aux sous-sols cauchemardesques, imposant constamment un sentiment de fin du monde qui colle aux basques et prend à la gorge.
Certes Giorgino aurait pu proposer un montage plus resserré, une trame plus affermie, des acteurs principaux plus éprouvés et solides, une identité plus normée ou reconnaissable, mais ce sont ces mélanges d’authenticité, de sincérité, de passion, de drame et d’horreur, autant de forces que de faiblesses, qui lui donnent ce visage étonnant d’une œuvre funambule. Une réhabilitation s’impose.
Image
Déjà projeté dans quelques cinémas à l’occasion des trente ans du film, cette toute nouvelle restauration 4K de Giorgino dépasse effectivement aisément l’ancien master utilisé pour le premier DVD. S’il persiste quelques restes de spots ou rares imperfections, l’ensemble a été habilement nettoyé et stabilisé pour un rendu d’une grande fidélité. Les décors et costumes sont parfaitement mis en valeur, les couleurs retrouvent une belle part de leur intensité, la profondeur est bien présente, mais il faut avouer que la photographie souvent vaporeuse, les filtres obstruants et le grain prononcé de la pellicule ne rendent pas la vie facile à la définition sur support Bluray. On aurait été intéressé de voir ce qu’aurait pu apporter là le format UHD.
Son
Les deux pistes sonores se dotent désormais de Dolby True HD réussissant à rester à la fois très fidèles aux premiers intentions du film tout en développant considérablement ses ambiances sonores, enveloppantes, en révélant les nombreux effets dynamiques, tout en mettant en avant les composition omniprésentes et obsédantes de Laurent Boutonnat, également compositeur. La campagne est plus inquiétante que jamais.
Une fois n’est pas coutume, on préconisera le visionnage en version française, aux dialogues plus convaincants et au jeu plus incarné.
Interactivité
Edition limitée à 1000 exemplaires et déjà difficilement trouvable, cette sortie Bluray signé Potemkine propose en supplément matériel un livret exclusif et le CD complet de la bande originale.
Pour les bonus vidéo il faut se tourner vers un DVD dédié qui reprend naturellement l’excellent documentaire produit en 2007 avec le récit du tournage recomposé par le réalisateur, Jeff Dahlgren et la voix off de Mylène Farmer sur de nombreuses images de tournage. Pas de langue de bois, beaucoup de sincérité et là aussi d’amour pour ce projet hors norme et terriblement casse-gueule. Le voyage est prolongé dans une sélection d’autres images des coulisses présentées en versions brutes cette fois-ci, des extraits des dessins de préparations et/ ou de storyboards, les archives des premiers essais caméra et costumes. Bien entendu tout cela est donc présenté en basse définition voir en qualité VHS parfois.
Liste des bonus
Livret, Le CD de la bande originale du film en version remasterisée (26 titres, 68’), Making of avec Mylène Farmer, Laurent Boutonnat et Jeff Dahlgren (2007, 30’), « Moments oubliés » : sur le tournage (19’), Dessins de production : diaporama en musique (4’), Galeries photos : diaporama en musique (5’), « Des instants suspendus » : essais caméra (3’), « Les Premiers regards » : casting (6’), « Les Baignoires du film… 30 ans après » (1’), « Des fantômes et des costumes » (1’), Bandes-annonces.