GERRY & PARANOID PARK
Etats-Unis – 2022, 2007
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Gus Van Sant
Acteurs : Matt Damon, Casey Affleck, Gabe Nevins, Daniel Liu, Taylor Momsen, Jake Miller
Musique : Arvo Part
Image : 2.35 16/9
Son : Anglais DTS HD Master Audio 2.0 et 5.1 / Français & Anglais DTS HD Master Audio 2.0 et 3.1
Sous-titre : Français
Durée : 187 minutes
Distributeur : Carlotta
Date de sortie : 7 février 2023
LE PITCH
Partis en randonnée dans le désert, deux jeunes hommes se perdent. Un adolescent qui a provoqué la mort d’un gardien de sécurité tente de dissimuler les faits mais est peu à peu rongé par la culpabilité…
Quand je marche dans la vallée de la mort
S’il se libère d’Hollywood pour en revenir à ses racines indépendantes, Gus Van Sant ne renonce pas pour autant aux thématiques qu’il creuse depuis ses débuts en 1985 avec le méconnu Mala Noche. Sur un mode expérimental, passant du dépouillement narratif le plus radical à une (dé)construction temporelle labyrinthique, Gerry et Paranoid Park témoignent de la fascination d’un auteur imprégné de contre-culture pour le grand malaise existentiel de la génération Y. Quitte à laisser le spectateur sur le carreau, plongé dans un ennui poli.
Tourné avant Elephant (Palme d’Or à Cannes en 2003) mais sorti peu après dans plusieurs territoires, dont la France, Gerry marque les retrouvailles de Gus Van Sant avec Matt Damon et Casey Affleck, cinq ans après le carton de Good Will Hunting. Des retrouvailles austères, contemplatives et funèbres (enfin, ça, c’est l’intention). Bien que le très long plan d’ouverture de Gerry renvoie ouvertement au tout dernier plan de Good Will Hunting, la comparaison entre les deux films s’arrêtent là. S’inspirant librement d’un fait divers survenu au Nouveau-Mexique en 1999 et où un adolescent avait trouvé la mort après s’être perdu dans le désert, Gerry se rêve comme une expérience unique, un trip lancinant qui ne raconte rien ou si peu. Deux personnages (Damon et Affleck, également « scénaristes » de la chose) dont on ne sait rien, ni leurs noms, ni leur passé, perdus dans l’immensité sauvage de la Vallée de la Mort. Ils marchent, ils souffrent, ils parlent un peu. Point barre. Van Sant vise l’hypnose et le portrait d’une jeunesse à la dérive et qui se précipite vers la mort et l’oubli sans que l’on parvienne à la rattraper à temps. Raté. La photographie d’Harris Savides (The Game) est magnifique et imprime une poignée de tableaux assez mémorables, les influences de Van Sant (Godard et Burroughs, notamment) sont solides et l’implication physique des acteurs est indiscutable. Mais la vacuité et la prétention de cette longue marche au soleil rendent l’expérience ennuyeuse au possible. Et même assez ridicule. Entre la longue hésitation de Casey Affleck à sauter d’un rocher, une discussion au coin du feu sur la mythologie grecque et un « meurtre » aussi léthargique que la poursuite en déambulateur dans OSS 117 – Rio ne répond plus, le réalisateur de Drugstore Cowboy se vautre dans l’autoparodie involontaire.
Nuits blanches à Portland
Après Last Days, évocation feutrée du suicide de Kurt Cobain (et dernier volet d’une trilogie de la Mort entamée avec Gerry et Elephant), Gus Van Sant revient à la fiction pure et adapte Paranoid Park, roman de Blake Nelson, un auteur peu connu en France et un natif de Portland, dans l’Oregon. Cette même ville où le cinéaste a élu domicile, loin du tumulte d’Hollywood. En quête d’authenticité, il s’entoure de jeunes acteurs pour la plupart inconnus ou non-professionnels et engage l’australo-hong kongais Christopher Doyle pour signer la photographie (on lui devait déjà celle du remake de Psycho en 1998). Gus Van Sant écrit le scénario seul et reste fidèle au récit et à la prose de Nelson mais fait le choix gonflé de renoncer à la linéarité du roman. En faisant le pari de la virtuosité, jouant de son montage, de son format (le 1.37:1) et de la source de ses images, mélangeant la pellicule et la vidéo numérique, Gus Van Sant se complaît dans des excès formalistes qui en viennent à nuire à la dimension intimiste de l’histoire d’Alex, passionné de skate, amoureux introverti et peu à peu écrasé par le poids d’un homicide accidentel dans un triage ferroviaire.
Van Sant a de la tendresse pour ses personnages, une pudeur et une sensibilité qui en font une sorte de double poétique du Larry Clark de Kids. Il y a donc une vraie beauté et une compréhension instinctive de la jeunesse américaine dans ce très fragile Paranoid Park. Mais le propos est souvent noyé dans les effets et éparpillé d’un bout à l’autre du métrage sans que cela se justifie réellement. Van Sant affirme vouloir ainsi capturer le caractère instable de la psyché d’Alex. Possible, mais l’excellent Gabe Nevins campe un jeune héros au contraire très articulé dans sa pensée, étouffant comme il le peut un hurlement de douleur qu’il ne poussera finalement jamais et laissant ses aveux se consumer dans les flammes. Et quelle drôle d’idée d’avoir défiguré la très attendue scène du drame par un effet gore aussi gratuit que déplacé (voire putassier) alors que le hors-champ et la suggestion s’imposaient d’eux-mêmes !
Image
Sans parler d’un ratage, la déception est tout de même de taille pour Gerry, édité pour la 1ère fois en haute-définition. La compression n’est pas toujours à la hauteur, la définition s’élève à peine au-dessus du niveau d’un DVD upscalé et les contours sont troublés par un bruit vidéo indésirable. La photographie délicate et naturaliste d’Harris Savides méritait bien mieux qu’un transfert tout juste correct. Le constat est heureusement bien meilleur pour Paranoid Park avec une définition pointue et une copie qui jongle habilement avec les sources et une lumière naturelle pas toujours tendre avec la compression. Le jour et la nuit.
Son
Pas de version française pour Gerry mais le choix entre une stéréo robuste mais sans réelle finesse et un 5.1 très performant sur les ambiances et immersif à souhait. Plutôt que l’arrière-plan sonore, c’est la musique que les mixages de Paranoid Park mettent en valeur avec du 3.1 inhabituel mais hautement satisfaisant. Le doublage français est même plutôt réussi.
Interactivité
La plupart des suppléments des éditions DVD concoctées par MK2 ont fait le voyage vers les nouvelles galettes Carlotta. La plupart, seulement ? Oui, car l’entretien avec Gus Van Sant qui figurait sur l’édition 2007 de Paranoid Park est aux abonnés absents. Regrettable, même s’il reste de quoi faire. L’analyse de Gerry par Serge Kaganski parvient à dépasser un propos que d’aucuns trouveront trop universitaire pour laisser filtrer quelques belles réflexions qui pousseraient presque à s’infliger le film une seconde fois. Axé autour de la réalisation d’un très très long travelling, le making-of donne un aperçu d’un tournage très cérémonial où tout le monde parle à voix basse. Pour ne pas troubler « le maître », sans doute. Nettement plus passionnant est le module réalisé par le formidable Luc Lagier pour analyser la filmographie et les thématiques de Gus Van Sant dans les suppléments de Paranoid Park. Aussi bordélique que le film dont il est issu, le making-of multiplie les effets de style en vain et ne vaut que lorsqu’il laisse la parole aux jeunes acteurs.
Liste des bonus
Gerry : « Sur les traces de Gerry » : entretien avec Serge Kaganski, journaliste et critique de cinéma (15 min) / « Saltlake Van Sant » : Gus Van Sant et Harris Savides dirigent Casey Affleck et Matt Damon sur le tournage d’un plan-séquence de Gerry dans le désert de l’Utah (14 min) / Bande-annonce originale / Bande-annonce 2022 (HD).
Paranoid Park : Préface de Luc Lagier, créateur de Blow Up, le web-magazine d’Arte / « Dans le labyrinthe » : retour sur la filmographie de Gus Van Sant et décryptage du film par Luc Lagier (23 min) / « Making Paranoid Park » : sur le tournage du film à Portland avec Gus Van Sant, son équipe technique et des jeunes acteurs non professionnels (26 min) / Bande-annonce originale