GARDE À VUE
France – 1981
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Policier
Réalisateur : Claude Miller
Acteurs : Lino Ventura, Michel Serrault, Romy Schneider, Guy Marchand, Michel Such, Elsa Lunghini…
Musique : George Delerue
Image : 1.66 16/9
Son : Français DTS HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français
Durée : 87 minutes
Editeur : Rimini Éditions
Date de sortie : 3 décembre 2024
LE PITCH
Le soir du 31 Décembre, dans les bureaux de la P.J., Maître Martinaud est convoqué pour témoigner sur l’assassinat de deux fillettes. Les inspecteurs Gallien et Belmont sont persuadés de la culpabilité de ce témoin et le mettent en garde à vue. Alors que l’enquête piétine et que l’épuisement se fait sentir, la femme de Martinaud porte plainte contre son mari. Quelle aubaine pour l’inspecteur Gallien qui croit tenir son coupable… et un notaire de surcroît !
Duel au sommet
Standard d’un cinéma trop vite estampillé « de papa », classique du dimanche soir à la télé, le multi-césarisé Garde à Vue s’offre une nouvelle jeunesse avec une restauration 4K. L’occasion parfaite de ré-assister à la remuante joute verbale opposant deux monstres sacrés du Septième Art : Lino Ventura vs Michel Serrault.
Libre adaptation du roman policier « A Table ! » signé du britannique John Wainwright, le huis-clos psychologique de Claude Miller résiste plutôt élégamment à l’épreuve du temps. Sur le papier pourtant, pas de quoi se pâmer. Une pesante unité de lieu et de temps, deux flics qui cuisinent un suspect dans une ambiance feutrée de théâtre filmé. Nous sommes à deux doigts de l’exercice de style pénible, voire carrément chiant. Or à l’écran, c’est tout l’inverse. La puissance dramaturgique qui se dégage de Garde à Vue repose justement sur la simplicité faussée de sa mise en place.
Des apparences trompeuses
Une limpidité de traitement qui va peu à peu s’embrouiller, s’embrumer pour glisser vers des contrées bien plus poisseuses, obscures et inquiétantes. C’est la nuit et la pluie s’abat violemment contre les vitres du commissariat de Cherbourg. Un notable local a dû quitter précipitamment la petite sauterie du réveillon du Nouvel An car on le soupçonne de deux odieux crimes pédophiles. Ce notable, c’est Michel Serrault. Et il est magistral (César du Meilleur Acteur). Le comédien abandonne ici le répertoire comique pour se glisser dans la peau du fourbe Martinaud ; un notaire arrogant, pathétique et suprêmement angoissant. Aussi fuyant qu’une anguille. Face à lui ? L’impérial Lino Ventura alias l’inspecteur Gallien, flic expérimenté, intègre et opiniâtre. Un bloc de béton en apparence immuable, mais dont les convictions finissent par se fissurer, se consumer à petit feu. A mesure que défilent les minutes et que les questions tombent comme des couperets, le mystère s’intensifie et les secrets inavouables remontent à la surface. D’abord simple témoin puis suspect numéro un, Martinaud a-t-il, oui ou non, violé et assassiné ces deux petites filles ? Jusqu’au bout, Claude Miller laisse planer le doute, se refuse à donner une réponse claire. Le spectateur se fait chahuter entre déclarations mensongères, confessions obscènes, aveux forcés et brusques coups de théâtre. On navigue en eaux troubles dans une atmosphère étrange, putréfiée, cauchemardesque. Gagnés par l’épuisement, les personnages semblent tomber le masque mais l’énigme demeure totale jusqu’au dénouement aussi tragique qu’inattendu.
La crème de la crème
A l’origine destinée à Yves Boisset puis Costa-Gavras (qui se désistèrent), la réalisation de Garde à Vue fut confiée à Claude Miller. Belle idée. Le cinéaste, ancien assistant de Godard, Demy, Bresson et Truffaut, avait marqué les esprits grâce à son premier film, La Meilleure Façon de Marcher. Une œuvre intense, avec Patrick Dewaere, qui traitait d’identités sexuelles fragilisées et insufflait un malaise diffus. Ce sentiment de malaise imprègne chacun des plans de Garde à Vue. Dans ce comico’ de province qui se meut progressivement en une sorte de geôle mentale particulièrement glauque. Dans la personnalité perverse et visqueuse de Serrault. Dans les révélations de l’épouse bafouée (Romy Schneider, bouleversante, dans l’un de ses derniers rôles). Ou via les éclats de violence du deuxième enquêteur, un peu trop spontané et brut de décoffrage, campé avec éclat par Guy Marchand (qui remporta le César du Meilleur Acteur dans un Second Rôle).
Bénéficiant d’un budget conséquent et entièrement tourné en studios, Garde à Vue s’inscrit à la fois dans un classicisme noir et une modernité plus dérangeante. On songe souvent au Quai des Orfèvres d’Henri-Georges Clouzot (dont le scénario reprend même l’homonyme Martinaud) mais Miller parvient à s’en détacher en recourant à une série flashbacks déroutants et en optant pour un hyperréalisme qui vire à l’onirisme malsain. Mieux, le cinéaste a su s’entourer de véritables cadors du métier. A la musique, Georges Delerue (Le Mépris, Le Conformiste, Platoon, Casino) qui livre une partition toute en tension refoulée. A la photo, le chef-op’ Bruno Nuytten (Les Valseuses, Tchao Pantin, Jean de Florette) qui transforme les lieux en une arène bizarre et oppressante. Et aux dialogues ? L’immense Michel Audiard qui pour la première fois de sa carrière quittait les rails de la gaudriole pour arpenter des sentiers beaucoup plus opaques. Sa noirceur éclate au grand jour. Les confrontations brillent encore par leur vivacité, leur duplicité et leur caractère vicié. D’ailleurs, ce traitement de choc en amènera un autre puisque Miller, Audiard et Serrault collaboreront à nouveau, deux ans plus tard, avec Mortelle Randonnée, thriller stylé et singulier.
Image
En 2016, TF1 avait déjà fait les efforts considérables d’une authentique restauration, et le retour du format 1.66 original, de Garde à vue avec une impressionnante remasterisation 4K qui faisait le pari de préserver les fortes matières du film, son grain prépondérant voire parfois même assez envahissant. De quoi perturber un peu le support Bluray, mais malgré les qualités indéniables de la prestation, l’ensemble peinait parfois à ne pas trop se perdre dans les aplats de finition. L’arrivée chez Rimini de ce même master mais désormais du disque UHD permet de profiter bien plus précisément des textures et reflets organiques, vibrants, parfois même fluctuants sur les arrières. Une image qui assume plus encore son caractère, tout autant que sa palette chromatique volontairement froide, bleutée ou grise. Adieu les anciens visages rougeauds et les décors ternes donc. On se rapproche admirablement de la volonté du chef op Bruno Nuytten et ses éclairages au néon (une première).
Son
Rimini reprend ici directement la bande son telle que présenté sur l’ancienne édition TF1, elle aussi restaurée et installée confortablement dans un DTS HD Master Audio 2.0. Il restitue avec limpidité le mono d’origine, désormais doté d’une propreté nouvelle. A noter que pour des petits soucis techniques, une grande partie du film due être postsynchronisée après le tournage, et forcément cela donne une légère distance à certaines séquences.
Interactivité
La précédente édition Bluray collector (avec livret dans la reliure) étant depuis longtemps totalement épuisée, Rimini Edition prend la suite de TF1 Vidéo et propose sa propre édition de Garde à vue. Pas bête, il en reprend l’excellent making of rétrospectif « Histoire d’un succès » reprenant entre autres des inserts de l’une des dernières interviews de Miller. Deux manières passionnantes de revenir sur la naissance du film, la place centrale qu’il va avoir dans la carrière du metteur en scène mais aussi de Serrault, de décortiquer les petites différences avec le scénario, les prises de bec avec Audiard, la direction d’acteurs, les innovations techniques… Sérieux, précis et parfaitement accessible. On retrouve aussi le petit document d’archive complété par un regard amoureux et légèrement analytique du cinéaste Patrice Leconte sur la mise en scène discrète de Claude Miller.
Pour le reste, Rimini réussit une nouvelle fois à nous dégotter quelques documents télévisuels d’archives on ne peut plus pertinents : Une interview croisée de Miller et Audiard lors de la promo du film pour la RTBF où l’un assume le statut d’œuvre de commande et l’autre revient sur son identité de « dialoguiste », et surtout l’intégralité d’une émission de « Champ Contrechamp » consacré au polar français et enregistré autour de la sortie de Garde à vue. En compagnie une nouvelle fois du réalisateur et du scénariste, participent Michel Serrault, là pour détendre l’atmosphère par ses bons mots, mais aussi Alain Corneau, un véritable Inspecteur de police et des critiques, qui viennent discuter du renouveau du genre, de ses racines et ses particularités. Un dialogue passionnant.
Liste des bonus
Interview de Claude Miller et Michel Audiard (Archive RTBF, 10’), Interview de Michel Serrault (Archive RTBF, 10’), Émission « Champ Contrechamp » (Archive INA, 52’), « Garde à vue : Histoire d’un succès » (36’), « Garde à vue : Une exemplaire leçon de mise en scène » (6’), Bande-annonce.