FLEUR PÂLE & GONZA LE LANCIER
乾いた花, 鑓の権三 – Japon – 1964 / 1986
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Masahiro Shinoda
Acteurs : Ryo Ikebe, Mariko Kaga, Takashi Fujiki, Chisako Hara, Eijirô Tono, Seiji Miyaguchi, …
Musique : Tôru Takemitsu
Durée : 96 et 126 minutes
Image : 2.39 et 1.85:1 16/9
Son : Japonais DTS-HD Master Audio 1.0
Sous-titres : Français
Editeur : Carlotta Films
Date de sortie : 6 février 2024
LE PITCH
Libéré après 3 ans de prison pour meurtre, Muraki, un yakuza désabusé, se réfugie dans les salles de jeu clandestines. Là, il fait la rencontre de Saeko, une jeune femme qui ne vit que pour le goût du risque.
Au XVIIIème siècle, sous le shogunat des Tokugawa, Gonza, lancier et samouraï de renom, est choisi pour officier à une prestigieuse cérémonie du thé. Bannojo, son rival, le fait accuser d’adultère avec la femme de son seigneur et maître, …
Tokyo Vice
Porte étendard de la Nouvelle Vague japonaise des années 60 sous le parrainage du studio Shôchiku, Masahiro Shinoda est à l’honneur chez Carlotta avec la sortie en blu-ray d’un double programme audacieux. D’un côté, Fleur Pâle, romance impossible, nocturne et tragique dans le milieu des yakuzas et des tripots clandestins, marquée par un formalisme minutieux et un noir et blanc funèbre. De l’autre, Gonza le lancier, jidai geki luxueux et ultra-maniéré, produit au milieu des années 80. Entre les deux œuvres, réalisées avec plus de vingt ans d’écart, la même obsession pour les codes et les cérémonies obscures et immuables, pour les sentiments réprimés et pour les destinées inflexibles.
Dixième long-métrage de Masahiro Shinoda, Fleur Pâle est surtout son premier véritable coup de maître. Engagé par la maison de production Shôchiku au début des années 50, il officie d’abord comme assistant de Yasujiro Ozu (de cette expérience, il en retire le soin du cadre et du détail) puis passe à la mise en scène en 1960. Comme bon nombre de cinéastes sous contrat de cette époque, il se montre à la fois versatile et prolifique, réalisant neuf films en seulement deux ans (!). Un début de carrière plutôt méconnu, sauf pour ceux qui assistèrent en 2022 à une rétrospective à l’Étrange Festival à Paris et qui eurent la chance de déguster quelques raretés telles que Mon visage embrasé au soleil couchant, authentique folie pop à ranger auprès des œuvres de Seijun Suzuki ou de Shun’ya Itô.
Fleur Pâle est l’adaptation d’un roman de Shintarô Ishihara, écrivain emblématique et source d’inspiration pour les cinéastes de la Nouvelle Vague nipponne. Une adaptation d’ailleurs reniée par son scénariste, Masaru Baba, tellement mécontent du traitement de Shinoda qu’il parviendra à faire retarder de près d’un an sa sortie sur grand écran, contribuant ainsi, et sans le vouloir, à son succès et à son aura. Célébré par Michael Mann et Martin Scorsese, qui avouent une véritable fascination pour cette œuvre poussant son esthétisme et son naturalisme jusqu’aux limites de l’onirisme, Fleur Pâle impressionne durablement par son travail sur la lumière, sur la composition des cadres, sur le son et la musique et sur une atmosphère délétère et apathique. Tirant son titre des « Fleurs du Mal » de Baudelaire mais aussi des Hanafuda (littéralement « jeu des fleurs »), ces cartes de jeu japonaises traditionnelles, Fleur Pâle est avant tout une expérience sensorielle, quasi abstraite et mystique, qui enchaînent longues scènes de jeu ritualisées, déambulations nocturnes et gros plans sur les visages de marbre de Ryo Ikebe et Mariko Kaga. Un film exigeant donc, et potentiellement très ennuyeux pour ceux qui refuserait d’accepter les règles du jeu, imposées par Shinoda.
Les amants maudits
Drame historique cinq étoiles, Gonza le lancier se veut en quelque sorte la réponse de la Shôchiku au Ran d’Akira Kurosawa, sorti l’année précédente. Et qui de plus qualifié que Masahiro Shinoda pour se retrouver à la barre d’un jidai geki pensé pour flatter le festivalier, la critique et le grand public ? Situé exactement un siècle après le début de la période Tokugawa, Gonza le lancier décrit méthodiquement (avec une pointe de fétichisme et une grosse lampée de préciosité), le quotidien des samouraïs qui gravitent autour du shogun et qui, en temps de paix, travaillent d’arrache-pied à se bâtir une réputation de haut vol. Tel est le cas de Gonza (Hiromi Gô, véritable phénomène pop au pays du Soleil Levant et acteur à ses heures perdues), lancier et bretteur redoutable dont la beauté et l’élégance font fondre le cœur des jeunes femmes et inspirent des chansons. Jalousé par Bannojo, un samouraï plus âgé et très susceptible, Gonza tombe en disgrâce en quelques minutes seulement après s’être fait dérober son Obi (sa ceinture de kimono). Il est contraint de prendre la fuite avec Osai (l’émouvante Shima Iwashita), l’épouse de son seigneur et supposée complice d’un adultère qui n’a jamais eu lieu, dans l’attente d’un destin qui le jugera aussi sévèrement qu’arbitrairement.
Tout en proposant au spectateur un spectacle qui flatte sans cesse la rétine et qui passionne par son rythme hypnotique et sa direction d’acteurs de tout premier ordre, Shinoda en profite pour décortiquer avec le regard d’un entomologiste une société qui n’est qu’apparences, apparats et cérémonies. Le décor et l’harmonie absolue qui le structure occupent le premier plan et le cinéaste prend son temps pour mettre son intrigue en place, avant de la faire basculer en une seule image, celle de deux ceintures richement brodées, jetées au sol dans un moment de colère et de passion. À la fois tragique et ironique, Gonza le lancier prend des allures de fable cruel, soulignant le danger qu’implique une simple émotion, légitime ou pas. Dans ce monde où rien ne dépasse et où règne l’Honneur, le contrôle de soi peut donc sauver une vie. Le climax sanglant sur un pont, duel ambigu et mise à mort consentie, ainsi que l’épilogue et sa tristesse contenue, sont de très grands morceaux de cinéma.
Image
Pour les deux films, Carlotta s’est appuyée sur des restaurations en 4K effectuées en 2022 à partir des négatifs originaux. En résultent une propreté et une stabilité d’image remarquables, avec un grain de pellicule finement restitué dans les deux cas. Plongé dans la pénombre plus des ¾ du temps, Fleur Pâle marque des points par sa définition et ses contrastes. Resplendissante, la copie de Gonza le lancier est toutefois très brièvement parasitée par un bruit vidéo qui joue les trouble-fêtes en intérieur.
Son
Deux pistes mono limpide, sans la moindre trace de souffle et sans saturation. Fleur Pâle bénéficie du soin accordé à la musique très expérimentale de Toru Takemitsu, laquelle se mêle aux effets sonores, tandis que Gonza le lancier séduit par son atmosphère minimaliste et le mixage des dialogues.
Interactivité
L’éditeur a réuni les deux galettes dans un digipack sobre et élégant et en a profité pour récupérer l’un des bonus de l’édition DVD livrée par Wild Side en 2008 dans sa mythique collection « Les Introuvables ». Soit un entretien d’un quart d’heure avec Masahiro Shinoda en personne, ce dernier revenant avec jovialité sur le tournage et la distribution de Fleur Pâle ainsi que sur les thématiques de son film. Spécialement réalisée pour cette édition, l’analyse de Stéphane du Mesnildot se concentre exclusivement sur Fleur Pâle, son esthétique, son casting et sa place tout à fait particulière dans le genre du « yakuza eiga ». Dommage que l’interactivité n’ait pas un mot à dire sur Gonza le lancier, un film sans doute plus « académique » que son illustre aîné mais bien plus accessible et séduisant.
Liste des bonus
« Esthétique de la clandestinité » : Entretien avec Masahiro Shinoda (2006, 15 minutes, VOST), « Fleur du mal » : Entretien avec Stéphane du Mesnildot, essayiste, spécialiste du cinéma asiatique (2024, HD, 23 minutes), Bandes-annonces.