FAUX SEMBLANTS
Dead Ringers – Canada, Etats-Unis – 1988
Support : Bluray
Genre : Fantastique
Réalisateur : David Cronenberg
Acteurs : Jeremy Irons, Genevieve Bujold, Heidi von Palleske, Barbara Gordon, Shirley Douglas…
Musique : Howard Shore
Image : 1.78 16/9
Son : Anglais et français LPCM 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 115 minutes
Éditeur : BQHL Editions
Date de sortie : 27 février 2024
LE PITCH
Beverly et Elliot Mantle sont de « vrais » jumeaux. Tous deux gynécologues renommés, ils partagent le même appartement et les mêmes femmes. Leur dernière conquête, une actrice célèbre et torturée, va créer une dissonance dans leur entente, ce désaccord rompt leur équilibre mental et ils deviennent les victimes du lien surnaturel qui les unit…
Doppelgänger
Sorti sur les écrans en même temps que la comédie familiale Jumeaux (Twins en anglais, un premier titre choisit par Cronenberg), Faux Semblants est l’antithèse du métrage cliché sur la gémellité. En fait rien ne peut être cliché dans cet objet tant sa curiosité vivifiante, mais aussi mortifère, aboutit à une œuvre unique.
« Longue vie à la nouvelle chair » s’écriait James Wood lors du plan final de l’orgiaque Videodrome, mais sous les excroissances de viandes et les transformations monstrueuses, Cronenberg a pourtant toujours autant questionné l’identité physique, réelle et concrète, que l’identité psychologique, celle de l’âme et donc éthérée. Bien entendu avec lui, les deux tendances s’inversent, se mêlent, se pénètrent pour livrer des créations troublantes, uniques à l’instar d’un Jeff Goldblum « mouchiffié » ou Petter Weller discourant avec une machine à écrire / cafard qui parle par l’anus. Des séquences mythiques et graphiques qui justement encadrent un Faux Semblant qui en l’occurrence préparerait plus à la partie plus récente de sa filmographie : A History of Violence, A Dangerous Method ou Crimes of the Future. Ici pas de débordement grotesques et absurdes, mais le récit, à priori très terre-à-terre de deux frères jumeaux symbiotiques partageant, entre autres, la même passion pour la gynécologie. De ces particularités, les frères Mantle en apprennent l’autarcie, mais surtout on mit en place une relation miroir, quasi-incestueuse, passant d’une identité à l’autre (de Bev à Elliot, de Elliot à Bev) partageant passions, femmes, expériences.
Existenz partagée
Les jumeaux parfaits en apparence dont la réussite, et l’étrangeté, reposent sur un tour de passe-passe impressionnant : tous deux sont interprétés par le même Jeremy Irons. Un exercice presque commun à l’heure des CGI, mais qui en 1988 relève du tour de force, autant de la part du jeu de l’acteur (c’est indéniablement son plus grand rôle), mais aussi des artifices de Cronenberg pour dissimuler leurs juxtapositions. Avec des effets de montage magnifiquement précis, des plans collés totalement invisibles et l’utilisation d’une doublure convaincante, le résultat est particulièrement bluffant et réussit à faire oublier en quelques minutes l’existence du moindre artifice. Les deux frères sont donc parfaitement identiques, jubilant dans leurs capacités à s’imiter l’un l’autre… Mais deux peuvent-ils vraiment être un ? Brisé par l’arrivé de la femme (Geneviève Bujold), qui plus est doté d’un triple utérus (nouvelle figure de la mutante sexuellement marquée et assumée), cette perfection laisse apparaitre les plaies, les cicatrices purulentes. Le reflet se trouble, se flétrie et les frères perdent pied. Avec sa mise en scène sobre, sa photographie presque homogène que vient simplement abimer un rouge vif à la fois chaud et violent, David Cronenberg est en pleine étude de caractère, mais ne perd jamais vraiment l’idée parallèle d’une vivisection plus tranchante. Entre opération à cœur ouvert et drame psychologique, Faux Semblant n’a pas à choisir puisqu’il mêle les deux le plus organiquement du monde, provocant alors le lente chute des personnages et du film vers une apocalypse intimiste où perce ici des outils gynéco digne d’un film porno pour fana d’insectes, là une séparation métaphorique aussi provocante que mélancolique. Clairement l’un de ses films les plus maitrisés et les plus exigeants.
Image
12 ans après la précédente édition Bluray française (épuisée) et qui était alors une première, BQHL propose une seconde sortie du titre avec une copie extrêmement proche, si ce n’est la même. En tout cas la source doit être identique puisqu’on y retrouve encore les mêmes reliquats de griffures verticales (assez discrètes) et une définition qui aujourd’hui semble un petit peu moins emballante, mais reste assez honorable. Le grain de pellicule persiste, le piqué peut délivrer quelques superbes plans à la profondeur bien marquée, mais le master est tout de même relativement changeant. En revanche le transfert est très satisfaisant dans son respect de la photographie de Peter Suschitzky (qui ne quittera plus le réalisateur après cette première collaboration), donnant totalement corps aux contrastes froids et aux noirs.
Son
Fidèle à son habitude, BQHL oublie la piste DTS HD Master Audio 5.1, pourtant très réussie, pour revenir à une sonorité d’origine plus sobre en LPCM 2.0. Pas grand-chose à redire, la restitution est claire et équilibrée, frontale avec une légère dynamique bien menée, mais la spatialisation plus enveloppante nous manque un peu.
Interactivité
L’édition en présence ne reprend aucun des anciens suppléments d’Opening, nous privant véritablement uniquement de la featurette promo d’époque, pourtant aussi dispo chez Shout Factory aux USA dont BQHL a repris une bonne part des suppléments. Le commentaire audio un peu laconique mais pas désagréable de Jeremy Irons, et puis les interviews inédites de l’acteur Stephen Lack franchement lunaire, du directeur photo Peter Suschitzky qui évoque sa première collaboration avec Cronenberg et les nombreux défis visuels du film et enfin celle de Gordon J. Smith qui décortique les excellents effets spéciaux et la création de prothèses organiques.
A cela l’éditeur français ajoute un très intéressant sujet par Rafik Djoumi sur les méthodes techniques et cinématographiques mises en place pour figurer les deux jumeaux dans les mêmes plans et une longue présentation du film par Sébastien Gayraud (Joe D’Amato Le réalisateur fantôme) qui évoque tout autant l’intégration progressive de Cronenberg dans un cinéma plus « hollywoodien » dans le prolongement de La Mouche, que les nombreux thèmes qui parcourent l’œuvre en question et qui font échos aux obsessions habituelles du cinéaste. Ce dernier est malheureusement le grand absent du Bluray en présence dont on aurait rêvé une nouvelle interview.
Liste des bonus
Commentaire audio de Jeremy Irons, Interview de Gordon J. Smith autour des effets spéciaux (19’), Interview du directeur de la photographie Peter Suschitzky (12’), Interview du comédien Stephen Lack (23’), Présentation exclusive du film par le journaliste Sébastien Gayraud (44’), « Rendre invisibles les effets spéciaux » par le journaliste Rafik Djoumi (14’).