EXISTENZ
Royaume-Uni, France, Canada – 1999
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Science-fiction, Horreur, Thriller
Réalisateur : David Cronenberg
Acteurs : Jennifer Jason Leigh, Jude Law, Ian Holm, Willem Dafoe, Sarah Polley, Christopher Eccleston…
Musique : Howard Shore
Durée : 97 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : DTS HD Master Audio 5.1 Anglais, DTS HD Master Audio 2.0 Français
Sous-titres : français
Editeur : L’Atelier d’images
Date de sortie : 15 octobre 2024
LE PITCH
Dans un futur proche, Allegra Geller, une brillante conceptrice de jeux vidéo, a mis au point une révolutionnaire expérience de jeu appelée eXistenZ, qui s’interface directement avec le système nerveux des joueurs. Alors qu’elle présente sa création, un extrémiste tente de l’assassiner. C’est alors qu’un jeune stagiaire en marketing, Ted Pikul, intervient pour la sauver. Une course haletante débute, naviguant à travers la réalité et l’énigmatique monde du jeu.
Dans la chair du jeu
Entre la fin des années 1980, après La Mouche, et le milieu des années 1990 avec Crash, David Cronenberg semblait avoir délaissé un cinéma le genre commercial pour une approche plus auteurisante. Mais en 1999, lorsqu’il signe eXistenZ, il opère un retour à ses racines, rappelant le Cronenberg de Chromosome 3, en jouant résolument la carte du cinéma de série B pour mieux partager ses questions existentielles avec le grand public.
Dans eXistenZ, Cronenberg ressort le cocktail qui a fait sa gloire : une bonne dose de science-fiction relevée d’images d’horreur corporelle, des univers qu’il maîtrise à la perfection. Le film suit Allegra Geller (Jennifer Jason Leigh), une conceptrice de jeux immersifs qui se connectent directement au corps via un « bio-port » implanté dans la colonne vertébrale. Le personnage d’Allegra, en partie inspiré de Salman Rushdie que Cronenberg a rencontré à l’occasion d’une interview, évoque la figure de l’auteur traqué, faisant l’objet d’une fatwa, métaphore des menaces et pressions qui pèsent sur les artistes dans un monde régulé par le contrôle. Avec l’aide de Ted Pikul (Jude Law, en passe de devenir une star internationale), elle se plonge dans le jeu, où la distinction entre le réel et le virtuel devient de plus en plus floue. Ted, d’abord réticent et technophobe, se révèle un personnage fascinant dans cette descente progressive vers l’inconnu. En refusant initialement de se faire implanter un bio-port, il symbolise la méfiance instinctive face à une technologie intrusive. Mais en cédant à Allegra, il embrasse pleinement ce monde virtuel, au point de s’y perdre.
Videodrome 2.0
Ce qui distingue eXistenZ des autres films de science-fiction de son époque, comme Matrix sorti la même année, est son approche de la technologie. Là où d’autres films la présentent comme une entité externe et souvent immatérielle, Cronenberg la rend organique, presque charnelle. Les bio-ports, véritables interfaces avec le jeu, sont une extension du corps humain, brouillant les frontières entre l’organique et le mécanique. Certains plans, très explicites, mettent en scène l’insertion de ces bio-ports avec une imagerie suggestive : pénétrations, jeux de langue et autres gestes intimes, conférant à ces dispositifs une charge érotique indéniable. Cronenberg ne fait aucun mystère de cette dimension quasi-sexuelle, qui rejoint ses obsessions autour de la « nouvelle chair », où le corps humain, modifié par la technologie, devient un terrain d’exploration des pulsions et des métamorphoses. Cette obsession pour la fusion entre la technologie et la chair est une constante chez le cinéaste canadien, comme en témoignent ses œuvres précédentes, notamment Videodrome ou Crash. Dans eXistenZ, cette fusion atteint un nouveau paroxysme, où le corps humain devient un simple réceptacle pour la technologie. Le jeu n’est plus un simple divertissement, mais une extension de leur être, une nécessité vitale.
Souvenirs à vendre
Cronenberg pousse le spectateur à questionner chaque scène : sont-ils dans le jeu ou dans la réalité ? Cette ambiguïté est renforcée par la mise en scène minimaliste et l’esthétique visuelle singulière du réalisateur. Les décors souvent artificiels et stylisés, comme des environnements de jeu vidéo, accentuent cette impression. Ce flou entre réel et virtuel s’inscrit dans une tradition de la science-fiction – le courant cyberpunk en tête – largement explorée par des auteurs comme Philip K. Dick (Ubik, Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?), dont l’influence est ici plus que palpable. Près de 15 ans après avoir envisagé de réaliser Total Recall (qui sera repris des années plus tard par Paul Verhoeven), Cronenberg a finalement réalisé avec le scénario original d’eXistenZ son grand film « Dickien », plus fidèle au style hallucinogène et paranoïaque de l’auteur que la plupart de ses adaptations officielles (oui, même Blade Runner).
eXistenZ est également un film qui parle incroyablement bien des jeux vidéo. Il capte à merveille le culte autour des créateurs — à une époque où Hideo Kojima n’est pas encore le messie qu’il deviendra — ainsi que la mécanique propre au jeu vidéo. On le voit notamment à travers les PNJ qui se répètent en boucle lorsque le joueur n’apporte pas la réponse attendue, un clin d’œil évident aux jeux d’aventure. Mais si eXistenZ explore les mondes virtuels, il s’agit aussi d’une réflexion plus large sur la place de la technologie dans nos vies. Cronenberg, à travers Allegra, nous met en garde contre la tentation de se perdre dans des réalités artificielles. L’évasion dans le virtuel devient ici une métaphore de notre propre dépendance à la technologie.
Rétrospectivement, eXistenZ est peut-être le dernier grand film de « body horror » mêlé de science-fiction de son auteur (vous voulez qu’on débatte sur Les Crimes du futur ?). Il reste d’une pertinence surprenante, et son propos résonne avec une modernité saisissante, même vingt-cinq ans après sa sortie.
Image
Vingt-cinq ans qu’eXistenZ n’avait pas bénéficié d’une sortie sur support physique (DVD) dans l’hexagone ! Autant dire il y avait là un fossé à combler. C’est désormais chose faite puisque L’Atelier d’Images propose une magnifique édition Blu-ray/UHD. Première édition européenne du film en 4K, basée sur la restauration inaugurée par le label américain Vinegar Syndrome, cette nouvelle version offre une nette amélioration par rapport à l’ancien master HD, avec une finesse et un naturel accru. Le grain argentique est bien préservé, malgré une légère épaisseur due à l’utilisation de l’interpositif. Les détails sont plus visibles, notamment sur les visages. La gestion globale des couleurs et du contraste reste satisfaisante, respectant la photographie colorée et saturée du film, pourtant pas vraiment évidente à restituer. On ne boudera pas notre plaisir devant une telle restauration !
Son
Votre ancien DVD Pathé ne proposait qu’une piste 2.0 en version originale et en version française. Avec cette nouvelle édition de L’Atelier d’Images, vous pourrez enfin profiter du film en 5.1 ! Mais uniquement en version originale, tandis que la langue de Molière se contente encore d’un mixage 2.0. La piste anglaise offre, comme prévu, une spatialisation supérieure, avec des effets arrière plus marqués et des basses plus riches, créant ainsi une expérience immersive. En comparaison, la VF manque d’intensité, bien que les dialogues demeurent clairs et bien équilibrés.
Interactivité
L’édition comprend un Mediabook avec les disques Blu-ray et UHD, ainsi qu’un livret de 32 pages. Ce dernier contient des analyses sur la place d’eXistenZ dans l’œuvre de Cronenberg, sa dimension vidéoludique, des notes de production et un glossaire des objets du film.
Parmi les nombreux bonus, on retiendra deux morceaux de choix : « eXistenZ : Une oeuvre à part » au cours duquel Olivier Père revient sur la genèse du film, le contextualise dans la filmographie de son auteur et en propose une analyse. Le genre de bonus toujours intéressant pour qui s’intéresse à une approche thématique de l’œuvre de Cronenberg. L’autre est un bonus d’époque : « L’Art de l’invisible », s’attardant sur le travail de la décoratrice fétiche du cinéaste, Carol Spier. On y découvre son rapport de travail fusionnel avec Cronenberg (elle fait partie d’une poignée de privilégiés à lire ses scénarios en premier) ainsi que toute la masse de travail accompli autour d’eXistenZ.
La présentation des effets spéciaux par Jim Isaac constitue également un bonus intéressant, même si sa forme peut sembler un peu monotone. Le reste des suppléments comprend une featurette promotionnelle, des interviews d’époque de durée variable, ainsi que deux bandes-annonces du film : l’une de 1999 et l’autre pour la ressortie de 2024.
Liste des bonus
Commentaire audio de David Cronenberg, « eXistenZ : Une oeuvre à part » : Entretien avec Olivier Père, Directeur du cinéma sur ARTE France (38’), « L’Art de l’invisible » : Les décors de Carol Spier (53’), Featurette promotionnelle d’époque (10’), Entretien avec David Cronenberg (4’), Entretien avec Jude Law (15’), Entretien avec Jennifer Jason Leigh (1’), Les effets spéciaux par Jim Isaac (26’), Bandes-annonces (3’).