ESPION LÈVE-TOI & LE SAUT DE L’ANGE
France, Italie – 1971 / 1981
Support : Bluray & DVD
Genre : Thriller
Réalisateur : Yves Boisset
Acteurs : Lino Ventura, Michel Piccoli, Bruno Cremer, Bernard Fresson, Krystyna Janda, Jean Yanne, Senta Berger, Sterling Hayden…
Musique : Ennio Morricone, François de Roubaix
Image : 1.66 16/9
Son : Français DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Aucun
Durée : 98 & 95 minutes
Éditeur : Studiocanal
Date de sortie : 26 juillet 2023
LE PITCH
Espion lève-toi (1981)
Sébastien Grenier, un ancien espion, dirige une société à Zurich. Tandis que les attentats terroristes se multiplient, Sébastien est contacté par un haut fonctionnaire suisse, Jean-Paul Chance. La mort de ses deux amis les plus chers décide Sébastien à reprendre ses activités d’espion…
Le Saut de l’ange (1971)
À Marseille, une bataille électorale oppose la puissante famille Orsini au promoteur immobilier Forestier. Celui-ci fait exécuter les frères Orsini. La fille de l’aventurier Louis Orsini est tuée accidentellement. Fou de douleur, Louis forme un commando et met Marseille à feu et à sang.
Chasses à l’homme
L’indispensable collection Make My Day ! retrouve Yves Boisset (Dupont Lajoie, Le Prix du danger…) pour un nouveau double programme après celui réunissant Folle à tuer et Canicule. Ici deux polars son accolés. L’un offre une approche solide et parano du genre, l’autre hésite entre l’action BD et le vigilante movie. Mais dans les deux cas le casting est accrocheur et l’efficacité au rendez-vous.
On ne va pas refaire tout le parcours d’Yves Boisset, mais cet authentique cinéphile, ancien critique et ancien assistant de quelques grands cinéastes (Melville, René Clément, Riccardo Freda et même Sergio Leone sur Le Colosse de Rhode), a rapidement étalé son ambition de marier deux branches du cinéma qui le passionne. D’un coté le thriller et l’action à l’américaine avec de grands penchants pour la bonne série B, et de l’autre un optique ouvertement politique tirant à boulet rouge sur les pouvoir corrompus. Un croisement entre un cinéma populaire, spectaculaire, rythmé, et un versant plus exigeant, parfois complexe, et bien entendu sensible. Même si c’est bien Michel Audiard qui est à l’origine d’Espion lève-toi, Yves Boisset remplaçant en l’occurrence Andrzej Zulawski dont l’adaptation du roman de George Markstein (créateur du Prisonnier) glissait vers un sulfureux pas franchement aux gouts de Lino Ventura, le film est tout de même on ne peut plus conforme à l’idée que l’on peut se faire du cinéma de Boisset. En l’occurrence la description extrêmement acide et désabusée d’un monde de l’espionnage empêtré dans la Guerre Froide, totalement désincarné et dont les rouages dégraissés tournent vers l’abstraction dans un chaos diplomatique total. Dans l’ombre les gouvernements s’agitent et commanditent au mépris de toute morale, et sur le terrain les hommes se trahissent, s’entretuent, se traquent, sans vraiment savoir qui se tient encore du bon coté de la barrière. Acteur monolithe, solide et direct, Lino Ventura est parfait pour incarner Sébastien Grenier, as de la finance mais aussi agent dormant qui se fait réveiller alors que ses collègues tombent un à un autour de lui. Seul contre tous et contre un système impalpable, mais aussi face à un Michel Piccoli charmant et tortueux en nouvel agent de liaison auto-déclaré. Un face-à-face passionnant et cinématographique en diable, épaulé par une superbe galerie de second rôles (Bruno Cremer en agent froid, Krystyna Janda en épouse suspectée pour ses amitiés gauchistes, Bernard Fresson en camarade franc du collier…) et une marche tendu signée par le maestro Ennio Morricone. Y affleure constamment une certaine radioscopie de l’état du monde de ce tournant de décennie entre l’évocation de l’arrivée de la gauche au pouvoir en France, l’instrumentalisation des mouvements gauchistes dit terroriste, et le maintien de la raison d’état au-dessus de tout.
Retour en ville
A côté, Le Saut de l’ange tourné dix ans plus tôt détonne un peu. Là aussi adapté d’un polar « Série Noir », le film s’ouvre d’ailleurs sur une succession d’éliminations méthodiques non plus dans l’austère Zurich mais dans les rues de Marseilles. La vision directe des jeux de pouvoirs qui habitent la cité (en fait surtout une évocation des manigances de Jacques Médecin à Nice) décris comme une guerre ouverte entre deux familles, plus mafieuses l’une que l’autre. Des tensions qui vont voyager jusqu’en Thaïlande ou Louis Orsini vit en paix depuis quelques années et entrainer la mort de son épouse et de sa fille. On pourrait dès lors croire que le film embrayerait vers le vigilante movie à la française, matiné du retour au bercail façon le Corps de mon ennemi d’Henri Verneuil, mais bizarrement le ton sombre et brutal attendu (accompagné par le thème dramatique de l’excellent François de Roubaix) a surtout tendance à s’échapper vers le délire plus coloré et décontracté. On retrouve bien en filigrane la description d’un milieu politico-financier pourris jusqu’à l’os et un système répressif totalement assumé (« Tu vas voir si j’suis un fasciste, Sale juif ! »), mais les tueurs asiatiques sortis d’un film de Fu Manchu lisent Tintin et Mickey dans l’avion, le grand vilain nourris des vautours dan son loft, et flics, criminels et héros se révèlent très adeptes des bons mots et de l’ironie constante. Boisset expliqua que cette légèreté permit au film d’échapper à la censure et d’obtenir les autorisations de tournage, mais cela semble aussi une amusante manière de revenir, juste après la dureté du Condé et juste avant la complexité de L’Attentat, à un cinéma plus bondissant, plus divertissant et grand public à la manière des anciennes séries B européennes apparues dans le sillage des James Bond. Comme les Coplan, dont Boisset tourna l’épisode Coplan sauve sa peau pour première expérience et qu’il s’amuse ici à citer directement dans une séquence se déroulant dans un drive-in… en banlieue marseillaise. Film un peu schizophrène et donc inégalement convaincant, Le Saut de l’ange reste une belle démonstration de maitrise de l’action à l’américaine pour le cinéaste, et l’une des rares occasions pour l’acteur Jean Yanne de s’essayer à un personnage à la Charles Bronson, viril, implacable et au visage fermé. Un rejeton décalé mais très sympa de ces polars d’action décomplexés à la Française dont Belmondo deviendra rapidement l’unique visage.
Image
Toujours pas vraiment d’infos sur les procédés utilisés pour la restauration des films. Dans les deux cas, on est ici bien au-dessus de ce qu’avaient pu afficher les anciens DVD chez le même éditeur. En particulier pour Espion lève toi qui affiche des cadres particulièrement propres, une définition très solide et un rendu très naturel et creusé. Le Saut de l’ange se laisse cependant aller dans quelques séquences à des matières plus lisses et un traitement numérique plus apparent.
Son
Les monos d’époque se glissent sur des DTS HD Master Audio 2.0 des plus satisfaisants, assurant une restitution ferme et claire, sans perditions audible, et avec un équilibre bien senti entre les dialogues et les compositions marquantes de François de Roubaix et Ennio Morricone.
Interactivité
Disposés aussi bien en DVD qu’en Bluray, les deux films sont accompagnés comme il se doit des traditionnelles introductions signées par le directeur de collection Jean-Baptiste Thoret, ici suivi par des présentations supplémentaires confiées à Jean Ollé-Laprune (auteur du livre Le cinéma policier français : 100 films, 100 auteurs). Les deux intervenants sont tout à fait intéressants mais le second à tout de même tendance à simplement développer le propos du premier. Il y est donc question à chaque fois des romans originaux, du contexte de la production, de l’efficacité de la mise en scène de Boisset, de ses petites faiblesses aussi, et de la confection de casting plus ou moins exotiques.
Dommage de ne pas avoir repris ici les interviews du cinéaste qui étaient présents sur les DVD de la collection Série Noire.
Liste des bonus
Espion lève-toi : Préface de Jean-Baptiste Thoret (8’), Le film revu par Jean Ollé-Laprune (24’).
Le Saut de l’ange : Préface de Jean-Baptiste Thoret (10’), Le film revu par Jean Ollé-Laprune (23’).