EROS
Royaume-Uni, France, Italie, Hong-Kong, Luxembourg – 2004
Support : Bluray
Genre : Érotique, Drame
Réalisateur : Michelangelo Antonioni, Steven Soderbergh, Wong Kar-wai
Acteurs : Robert Downey Jr., Alan Arkin, Gong Li, Chang Chen, Feng Tien
Musique : Enrica Antonioni, Vinicio Milani, Peer Raben
Durée : 104 minutes
Image : 1.78 16/9
Son : Anglais, Mandarin et Italien DTS Master Audio 5.1
Sous-titres : Français
Editeur : Spectrum
Date de sortie : 31 août 2022
LE PITCH
Variations en trois parties sur l’érotisme et le désir par trois maîtres du cinéma contemporain : Michelangelo Antonioni avec The Dangerous Thread of Things, Steven Soderbergh avec Equilibrium et Wong Kar-Wai avec The Hand.
L’amour à 3
Comme de nombreuses tentatives de films à sketchs, Eros et sa triple vision d’une sensualité fantasmée, fut largement boudé lors de sa présentation à la Mostra de Venise, peu fructueux en salles et souvent un peu oublié dans les filmographies respectives de Michelangelo Antonioni, Steven Soderbergh et Wong Kar-Wai. Et ce malgré tout le soin et la sensualité que ceux-ci lui ont apporté.
Coproduction internationale entre l’Europe et Hong-Kong, Eros fut initié par le producteur Stéphane Tchalgadjieff qui n’imaginait pas qu’un homme comme Michelangelo Antonioni puisse cesser de tourner, et ce malgré un physique très diminué à la suite d’un accident cardiaque et l’âge très avancée de 90 ans. Plongeant de nouveau dans le recueil de nouvelles et de notes Ce Bowling sur le Tibre signé par le cinéaste, qui déjà servi de base à la collaboration avec Wim Wenders pour Par-delà les nuages, il décide d’adjoindre au maitre italien deux grands réalisateurs de la « nouvelle génération » venant à la fois explorer leurs propres arts et rendre hommage à l’auteur de l’avventura. Si Wong Kar Wai est une évidence, lui qui à son tour ne cesse de scruter les notions du couple et du désir, la production dû remplacer Pedro Almodovar, trop occupé par son La Mauvaise éduction, par l’américain Steven Soderbergh. Choix étrange de prime abord, même si ce dernier voue une admiration sans borne au magnifique Le Désert rouge. Un triumvirat relié par des illustrations de Lorenzo Mattoti et les airs de bossa nova de Caetano Veloso, et sans doute aussi par une certaine généalogie d’un cinéma à la fois sensitif, cérébral, émotionnel et intensément esthétique.
Tango en trois temps
D’où certainement la petite déception que figure Le Périlleux enchainement des choses, ultime réalisation d’Antonioni qui suit la dispute puis la séparation temporaire d’un couple dans les paysages radieux d’une Toscane minérale. Entre perte de désir et communication rompue, la barrière est autant marquée par les silences que par les obstacles figurés dans des plans souvent magnifiques dont une rencontre étrange avec deux sirènes au bord d’un lac qui renvoi directement au rêve liquide du Désert rouge. Errance forcément poétique où l’homme s’éprend d’une superbe et jeune italienne mais qui trébuche sur le traitement proprement dit de la sexualité et du rapport à la chair, qui manque certainement ici de nuances et de légèreté malgré un joli rapprochement entre les deux corps nus féminins dans le dernier plan.
La femme double, celle qui occupe la vie de tous les jours et celle qui habite les fantasmes, est aussi au cœurs d’Equilibrium, essai comme souvent assez décalé d’un Steven Soderbergh, sorti de Solaris et déjà en gestation du carton Ocean’s Twelve, qui s’amuse avec un récit gigogne mêlant le rêve érotique (sublimement voyeuriste), l’introspection de l’homme fragile et la déconstruction de ses propres obsessions, en alternant les couleurs et le noir et blanc stylisé. L’analyse de la nature du couple y glisse de manière assez rusée sur une vision plus générale d’une certaine idée de la culture américaine. Roublard et osé, et même si certains traits peuvent agacer, la joute verbale entre Robert Downey Jr, le patient, et Alan Arkin, le psychiatre, est un sacré moment d’acting.
Présenté un temps en ouverture du film pour la distribution française, le segment de Wong Kar Wai, le plus long, vient conclure le programme avec une explosion de sensualité et de passion contenue et interdite. En plein chaos du tournage interminable de son 2046, le poétique romantique de In the Mood for Love s’inscrit dans le Hong-Kong des années 30 pour donner corps à une relation amoureuse tragique entre un jeune tailleur (Chang Chen) et une prostituée de luxe (Gong Li) et dont l’exploration charnelle ne se fera que par les mains. Le contact de ses doigts à elle vers son entrejambe (très troublante première séquence), puis les siens sur le tissu de ses robes à elles, raisonnent comme des déclarations d’amour silencieuses et déchirantes. L’intensité fiévreuse des deux acteurs, la photographie chaude et noble de Christopher Doyle, la mise en scène chaloupée et presque tactile de Wong Kar Wai en font un véritable petit bijou interdit. La conclusion parfaite en somme pour ce triptyque inégal soit, mais passionnant et charnel.
Image
Proposé dans sa collection Section Parallèle dédiée aux films ne provenant pas (ou pas exclusivement) des rives asiatiques, Eros est un film devenu plutôt rare depuis sa sortie première en 2004. D’ailleurs, seule la Corée le distribue aussi en HD depuis février dernier.
Le film n’a donc pas pu prétendre à une restauration aussi luxueuse que le nom de ses auteurs aurait pu lui faire valoir et doit se contenter d’une remasterisation à partir de la copie déjà croisée en DVD sans retour à la source. Si les cadres sont propres et stables, que l’ensemble est plutôt homogène, le mélange d’atténuations, de dégrainages et de léger bruit vidéo n’offre pas un rendu des plus éclatant, et surtout la palette de couleurs manque cruellement d’intensité.
Son
La version originale mélangeant donc dialogues en anglais, italien ou mandarin en fonction des segments, est disposée dans un DTS HD Master Audio 5.1 qui offre effectivement une clarté plutôt fine et très agréable. Les effets spatiaux restent plutôt discrets, mais les musiques s’offrent toujours une belle présence.
Interactivité
Même si les suppléments sont assez nombreux, il manque peut-être ici une présentation complète du film, revenant collégialement sur les trois segments et leurs origines. L’intervention du journaliste Frédéric Mercier (Transfuge) se concentre ainsi presque uniquement sur le Equilibrium de Soderbergh et consiste surtout en une longue et passionnante analyse des éléments figuratifs et thématiques du court métrage et leurs liens avec les évolutions du cinéma de son auteur. L’acteur Christopher Buschholz lui revient bien évidemment sur ses souvenirs de tournage avec Antonioni, diminué par l’âge et la maladie mais toujours aussi précis, l’approche de l’érotisme dans le film et ce qui devaient au départ être des scènes de sexe non simulées. Du coté de The Hand, on retrouve les trois petites interventions promotionnelles de Wong Kar Wai, Gong Li et Chang Chen, à l’époque de la sortie du film. Petit retour sur un film qui devait se tourner à Shanghai mais qui dû être rapatrié à Hong-Kong pour cause de pandémie (déjà), sur une atmosphère année 30 très particulière et sur l’implication des deux acteurs.
L’excellente surprise de l’édition est bien entendu la présence de la version longue de The Hand, projeté plutôt récemment dans quelques rétrospectives et présente dans le coffret HD de Criterion. Une dizaine de minutes supplémentaires qui s’intègrent parfaitement, presque discrètement, dans le métrage existant, lui donnant plus que jamais l’apparence d’une œuvre complète, d’un film indissociable de la filmographie de WKW.
Liste des bonus
Interview de Christopher Buschholz, Présentation de Frédéric Mercier, Interviews de Gong Li, WKW et Chang Chen, Version longue du segment The Hand de WKW et Bande-annonce.